Le Délit

Mosaïque théâtrale

Alter-ego dépeint avec humour les égarements de notre société contempora­ine.

- Le Délit hannah raffin

Franc-jeu, la seule troupe de théâtre francophon­e de Mcgill, nous présentait son spectacle d’hiver du 24 au 27 mars au théâtre l’espace Libre. Création originale, Alter-ego caricature des situations et des personnage­s auxquels on pourrait (presque) tous être confrontés dans notre vie d’adulte. La troupe met en scène des petites histoires d’individus dans la norme, qui pourtant nous paraissent absurdes quand leurs réactions sont à peine exagérées. Retour sur quelques exemples de ces fictions, pourtant si réalistes.

Histoires (a)normales?

Quoi de plus banal qu’un couple pour qui la passion s’affffffaib­lit et qui va donc faire une thérapie ensemble à la recherche d’une solution miracle? Le «thérapeute» leur donne des conseils qui ne correspond­ent pas du tout à ce dont ils ont besoin, et nous montre ainsi comment nous essayons aujourd’hui de rationalis­er nos relations amoureuses, dans un monde où l’idéologie de la raison et de l’efficacité formate chaque élément de notre vie. On suit aussi la détresse d’une jeune cadre, constammen­t sous pression, tant profession­nelle que sociale: elle redoute que son petit ami ne la trompe et pousse la paranoïa si loin qu’elle se met à acheter quantité d’outils pour l’espionner. Son ordinateur, incarné par un comédien, ne cesse de l’étouffffff­er de questions pour connaître son taux de bonheur, de satisfacti­on dans son couple et représente ainsi très bien la pression que l’on subi tous en quête d’une vie parfaite.

Dans un autre registre, FrancJeu aborde un thème récurrent dans nos sociétés contempora­ines: le chômage. Au sein d’un centre social pour chômeurs, des adultes désabusés doivent suivre des séances de formation obligatoir­e pour toucher leurs allocation­s. Leur profil contraste avec leur tuteur, un chef d’entreprise qui semble avoir tout pour lui. Il prône la déterminat­ion, «ne rien lâcher!» dit-il... mais on perçoit ses veines gonfler sur son cou tant il est tendu et hargneux. Ses tocs — il se balance compulsive­ment sur sa chaise — ou encore ses pics de nerfs, qui trahissent un état de stress extrême. Tout lui réussit profession­nellement mais est-t-il heureux? On sait que ce n’est pas le cas quand on découvre dans une autre scène qu’il est désespéré ( la vie de son fils étant en danger) au point d’essayer d’acheter des mendiants pour un test médical.

Toujours sur le même thème, les comédiens de Franc-jeu rendent compte des relations contradict­oires entre éthique et réussite profession­nelle. Ainsi, pour gravir les échelons dans son entreprise, un personnage sera tenté de forniquer avec des mendiantes qui lui promettent qu’en échange il deviendra «le plus grand de tous les siens». En effffffet, ses supérieurs disparaiss­ent les uns après les autres de morts accidentel­les et il arrive à obtenir la position la plus importante dans son entreprise. Cependant on ne voit sur son visage que du dégoût, d’autant plus que c’est sa propre femme qui l’a poussé à commettre cet adultère. Encore plus dérangeant: la pièce nous place face à un homme qui nous explique comment il a tué sa femme pour pouvoir annuler ses dettes et s’acheter une voiture de luxe...

Entre rires et pleurs?

Quant aux effffffets scéniques, ils sont sobres mais très modernes. Des vidéos projetées sur le grand mur de la salle, comme la vidéo «mode d’emploi pour un couple réussi», ou l’échange Skyped’un couple. Des effffffets sonores sont utilisés pour retransmet­tre avec justesse les petites voix dans nos têtes qui nous dévorent de l’intérieur.

En somme, c’est un pari réussi pour la compagnie étudiante. On rigole tout le long, on pleure presque aussi à certains moments. La pièce transmet un vrai message sur la société dans laquelle on vit tous aujourd’hui et qui nous pousse parfois au fond du gouffffffr­e. x

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