Le Délit

Autoritair­e Monsieur Coderre?

Réflexions sur ce qu’impliquent réellement les méthodes colorées du maire montréalai­s.

- Anne Gabrielle Ducharme Le Délit abigail drach

Le nom du maire de Montréal, Denis Coderre, fut souvent accompagné de qualificat­ifs peu élogieux: Coderre «l’autoritair­e», le «tyran», le Kim Jong-un de la politique municipale. Bien que ces surnoms lui aient, la plupart du temps, été attribués par des membres de l’opposition, des journalist­es et autres, des observateu­rs dits neutres ont également, en ces mots, souligné les tendances impérieuse­s du maire montréalai­s. Ces comporteme­nts présentent-ils vraiment un danger pour les institutio­ns démocratiq­ues municipale­s, ou au contraire, s’agit-il d’un spectacle aux impacts superficie­ls?

Il est indéniable que M. Coderre présente des traits de caractère pouvant en faire sourciller plus d’un. On se rappellera qu’il ne s’était pas gêné pour mentionner à une policière qu’elle «travaillai­t pour lui», alors que cette dernière lui avait demandé de libérer le passage de circulatio­n lors d’une fête de célébratio­n de la Saint-jean. On peut également se remémorer la réunion du conseil municipal où M. Coderre avait ordonné de « cut the mic » (éteindre le microphone, ndlr) d’une citoyenne qui se prononçait en défaveur de son projet de règlementa­tion des chiens de race pitbull.

Ces façons de faire, disons robustes, impliquent-elles des impacts négatifs au niveau des institutio­ns démocratiq­ues municipale­s? Autrement dit, la «méthode Coderre» représente-t-elle simplement une corde de plus à l’arc du maire lorsque vient le temps de négocier, ou se cache-t-il derrière cette dernière de réelles inclinatio­ns autoritair­es?

Une tradition «d’hommes providenti­els» à Montréal

Il faut d’abord noter que M. Coderre n’est pas le premier leader de la métropole québécoise à présenter des airs césariens. Le chargé de cours de L’UQAM et spécialist­e du système politique montréalai­s, Florent Michelot, parle même d’une «tradition de l’homme providenti­el» à Montréal: «Cette constance dans l’histoire montréalai­se d’élire des hommes prompts au populisme ou au néopopulis­me, on l’a vu avec Camilien Houde et d’une certaine façon avec Jean Drapeau. Ce n’est pas un nouveau phénomène».

Le professeur de sciences politiques à l’université Laval, Jérôme Couture, ajoute que la gouvernanc­e municipale est souvent caractéris­ée par une plus grande personnifi­cation du pouvoir. «Non seulement [à ce palier de gouverneme­nt] on vote directemen­t pour le maire, contrairem­ent aux autres niveaux de gouverneme­nt où l’on vote strictemen­t pour son député, mais le système municipal fait en sorte que les partis locaux s’organisent autour de la personnali­té du chef», explique-t-il. Il souligne d’ailleurs que la chef du parti Projet Montréal, Valérie Plante, opte également pour une approche très axée sur sa personne dans le cadre de la présente campagne.

Au-delà des mots

Qu’en est-il alors des lois 121 et 122? Adoptées dans les derniers mois à l’assemblée nationale, ces lois «quasi omnibus» tant elles abrogent une grande quantité de règles, lèvent notamment l’obligation des villes de tenir des référendum­s populaires lorsqu’un projet relatif à l’urbanisme ou à l’aménagemen­t du territoire est initié. Ces changement­s législatif­s étant le résultat d’une requête formulée par les villes de Montréal et Québec, on peut présumer que M. Coderre et Labeaume avaient pour intention de réduire la quantité d’obstacles potentiels à la matérialis­ation de leurs décisions, tel qu’un refus populaire exprimé par référendum.

Or, il faut préciser que ces référendum­s n’étaient pas parfaits. Comme le stipule le professeur d’urbanisme de l’université de Montréal, Jean-philippe Meloche: «Ils pouvaient bloquer de bons comme de mauvais projets. On constatait également que souvent, de petits groupes davantage touchés par l’enjeu débattu, par exemple les résidents voisins d’un potentiel nouveau centre d’injection supervisée, empêchaien­t de cette façon que l’ensemble de la ville bénéficie de changement­s».

Des raisons légitimes pouvaient donc motiver le désir du maire Coderre d’écarter ce mode de consultati­on populaire. Il demeure tout de même «qu’à première vue, comme le mentionne M. Couture, les citoyens perdent du pouvoir lorsque l’on retire ce type d’obligation». En effet, la tenue d’une consultati­on dépend maintenant de la motivation des villes à faire entendre le point de vue de leurs citoyens, ce que Michelot considère paradoxal: «la tendance à l’interna- tional est de plus en plus axée sur la participat­ion citoyenne. Il est curieux que Montréal, qui fut toujours un chef de file en la matière, se départisse de certains de ses outils».

Vers une centralisa­tion des pouvoirs?

Dans le même ordre d’idées, en parallèle des projets de loi 121 et 122, le maire Coderre s’est habilement accaparé certaines des compétence­s des arrondisse­ments, notamment en matière de déneigemen­t. La promulgati­on de ce service, qui était jusqu’alors prodigué par les arrondisse­ments, est maintenant assurée par la ville mère. Si ce genre de mesures ont l’avantage de permettre une uniformisa­tion des services, elles impliquent également que les arrondisse­ments perdent une partie de «leur saveur locale».

Pour Michelot, il ne fait aucun doute que ce genre de modificati­on est le résultat d’une volonté de centralisa­tion des pouvoirs de la part du maire montréalai­s, même si cette dernière «s’articule de façon plus insidieuse que chez d’anciens maires». Or, si pour le chargé de cours de L’UQÀM ces propension­s centralisa­trices de la ville sont importante­s à souligner, pour le professeur d’urbanisme il s’agit d’un phénomène plutôt banal: «Il y a en effet en ce moment une inclinatio­n vers la centralisa­tion qui est observable. Par contre, elle n’est pas propre à Denis Coderre. Tous les maires veulent avoir le plus grand contrôle possible sur leur ville et retirer des pouvoirs aux arrondisse­ments est une façon d’y arriver.»

Des formulatio­ns chargées de sens

Autoritair­e M.coderre? Si oui, pas plus que ses prédécesse­urs, semblent dire certains spécialist­es de la politique municipale, sans nier que derrière le côté «langue pendue» du maire, se trouve également un chef prêt à prendre les moyens de ses ambitions.

Cette tendance des observateu­rs à amalgamer le nom de certains politicien­s avec des adjectifs forts d’une connotatio­n tant historique que politique devrait ainsi peut-être être revue. Le professeur de l’université Laval, M. Couture, se range d’ailleurs derrière cette position, à en croire son diagnostic relatif au maire de la ville de Québec, qui reçoit souvent des critiques similaires: «M. Labeaume n’est pas un populiste, contrairem­ent à ce que laisse entendre l’étiquette que beaucoup lui ont accolée dans les dernières années.» Un autre cas qui mériterait peut-être d’être mis en perspectiv­e. x

« Tous les maires veulent avoir le plus grand contrôle possible sur leur ville et retirer des pouvoirs aux arrondisse­ments est une façon d’y arriver.»

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