Portrait d’une journaliste contemporaine
Le Délit a rencontré Marie-michèle Sioui, correspondante parlementaire du Devoir à Québec.
Le Délit ( LD): Qu’est- ce qui vous a poussé à devenir journaliste?
Marie-michèle Sioui (MMS): J’ai toujours aimé écrire, mais je ne me suis pas décidée comme ça. Plusieurs choses m’intéressaient, et puis je me suis dit que c’est un métier qui me permettrait de couvrir plusieurs sujets, ce qui pourrait satisfaire ma curiosité. Je savais aussi que je ne voulais pas travailler de 9 à 5 tous les jours. Quand j’ai commencé à travailler durant mon baccalauréat en journalisme à L’UQAM, j’ai su que c’était ça que je voulais faire.
LD: Comment vous sentez-vous en tant que femme dans le milieu journalistique, qui a souvent été qualifié de boys club, étant dominé par des hommes?
MMS: Il y a, d’après moi, de plus en plus de place pour les femmes dans le journalisme, notamment ici à Québec. Mais ça reste un métier qui valorise des traits de caractères traditionnellement associés aux hommes, comme la pugnacité, ou le fait de travailler sans emploi du temps précis. D’autre part, il existe encore des patrons qui cantonnent les femmes à certains sujets, traditionnellement féminins, par exemple dans les soft news, qui ne sont pas des nouvelles d’actualité brûlante. En parlant de mon expérience personnelle sur la colline parlementaire, la majorité des élus sont des hommes plus âgés que moi, tout comme les journalistes. Ça rend la connexion plus facile entre eux. LD: Selon votre expérience, à quoi devraient s’attendre les journalistes de demain?
MMS: Le désintérêt de la population est un enjeu majeur que je constate aujourd’hui. Dans mon entourage, mes amis ne suivent pas les journaux. Ça peut être assez désespérant de travailler cinquante heures, et de se demander qui se préoccupe des affaires qu’on couvre. Les gens se disent « les nouvelles, je ne suis pas ça, c’est trop négatif » ou « la politique, ça ne m’intéresse pas, c’est tous des menteurs». Ce désintérêt est causé par le cynisme. Un autre enjeu est le numérique. Aujourd’hui, les gens ont accès aux informations en continu sur leur téléphone, ils reçoivent constamment des alertes et des notifications. Il y a de moins en moins besoin de journaux papiers. Un troisième problème est la crédibilité. On l’a vu aux États- Unis avec la mode des fake news, ( fausses nouvelles en français, ndlr) c’est certain que ce phénomène arrive à présent au Québec. Des journalistes que je connais, et moimême, se sont déjà fait accuser d’être des fake news.
LD: En parlant des fake news, comment pensez-vous que les journalises peuvent lutter contre ce phénomène?
MMS: On voit un exemple de comment faire avec la rubrique: «Les Décodeurs» dans Le Monde. Il faut mettre à l’épreuve les faits. Plus les médias appuieront leurs articles par des faits, plus ils seront difficiles à démentir. Il faut écrire des choses collées sur les faits, et qui ne semblent pas être dans le jugement. Par exemple, il est préférable d’écrire « le parti X est passé de 50% à 42% des intentions de vote» à « le parti X est en perte de vitesse » . La deuxième, c’est la suivante, il y a une expression de journaliste qui dit « don’t let the facts interfere with a good story » ( « ne laissez pas les faits interférer avec une bonne histoire » en français, ndlr), mais il faut être prudent avec ça. Les humains ne sont pas des êtres objectifs, il faut être conscient de la subjectivité du public. Il y a une sensibilité supplémentaire à avoir. LD: L’année dernière lors de la remise du prix de la presse étudiante des Amis du Devoir, dans votre discours, vous aviez insisté sur l’importance pour les journalistes de savoir vulgariser des sujets parfois complexes, qui n’intéressent pas forcément la majorité du grand public. Pouvez-vous développer?
MMS: Le journalisme est un milieu très compétitif, et la capacité de vulgariser un sujet est une compétence de base. Mais se concentrer et se spécialiser là- dessus peut aussi permettre à un journaliste de se démarquer.
LD: Dans votre carrière, quel a été le sujet que vous avez le plus aimé couvrir?
MMS: Bonne question! J’ai beaucoup aimé travailler en patrouille. J’étais en voiture toute la journée avec un photographe, nous écoutions les fréquences des services de police, et couvrions les faits divers. J’aime aussi vraiment ce que je fais en ce moment à Québec, sur la colline. La politique à Québec couvre un éventail tellement vaste. J’ai aussi un attrait pour les sujets sociaux, notamment les sujets qui touchent les autochtones. J’ai d’excellents souvenirs de reportages faits dans les communautés autochtones, les gens étaient tellement gentils et généreux, notamment avec les journalistes. Ils étaient toujours d’accord pour nous parler.
LD: Quel a été l’article le plus difficile à écrire?
MMS: Je me rappelle une fois avoir dû écrire un article sur un bateau qui racle le fond des fleuves pour permettre le passage des navires. C’était difficile car je ne savais rien là-dessus avant de devoir en parler, mais c’est une bonne représentation de ce qu’est parfois le travail de journaliste. Parfois, on nous attribue un sujet sur lequel on ne connait rien, et sur lequel on doit écrire. Un autre exemple, c’est quand j’ai dû interviewer le Quatret du dialogue national Tunisien, lauréat du Prix Nobel de la Paix en 2015, pour Le Devoir, alors que je n’avais eu que le temps du trajet en taxi pour préparer mes questions à cause d’une erreur de communication. C’était un de mes pires moments. LD: Quelle est, pour vous, la plus grande qualité qu’un journaliste peut avoir?
MMS: La débrouillardise. La curiosité est importante, mais de toute façon les gens qui ne sont pas curieux ne deviennent pas journalistes. Une fois qu’on est journaliste, il faut être débrouillard. Il faut travailler en fin de semaine, tard le soir, des fois sur des sujets qu’on ne maîtrise pas. Parfois, une nouvelle tombe, et il faut vite écrire un article et trouver un expert sur le sujet un dimanche. Il faut vraiment se débrouiller pour trouver des gens à qui parler, trouver les informations... C’est vraiment une question de débrouillardise.
LD: Quel conseil donneriez-vous à un lecteur qui souhaiterait se lancer dans le journalisme?
MMS: D’écrire le plus tôt possible dans votre vie, en s’impliquant dans les journaux étudiants, par exemple. C’est en forgeant qu’on devient forgeron, et c’est aussi en écrivant qu’on devient journaliste. Il faut aussi avoir des contacts, développer un réseau, par exemple avec les professeur·e·s des écoles de journalisme. C’est un milieu assez petit et très compétitif, donc c’est primordial. x
« Une fois qu’on est journaliste, il faut être débrouillard. Il faut travailler en fin de semaine, tard le soir, des fois sur des sujets qu’on ne maîtrise pas. »
« Aujourd’hui, les gens ont accès aux informations en continu sur leur téléphone, [...] il y a de moins en moins besoin de journaux papiers. »
« Plus les médias appuieront leurs articles par des faits, plus ils seront difficiles à démentir. »