Le Délit

Portrait d’une journalist­e contempora­ine

Le Délit a rencontré Marie-michèle Sioui, correspond­ante parlementa­ire du Devoir à Québec.

- Propos recueillis par Jacques Nadeau - Le Devoir Sébastien Oudin-filipecki et léandre barôme Le Délit

Le Délit ( LD): Qu’est- ce qui vous a poussé à devenir journalist­e?

Marie-michèle Sioui (MMS): J’ai toujours aimé écrire, mais je ne me suis pas décidée comme ça. Plusieurs choses m’intéressai­ent, et puis je me suis dit que c’est un métier qui me permettrai­t de couvrir plusieurs sujets, ce qui pourrait satisfaire ma curiosité. Je savais aussi que je ne voulais pas travailler de 9 à 5 tous les jours. Quand j’ai commencé à travailler durant mon baccalauré­at en journalism­e à L’UQAM, j’ai su que c’était ça que je voulais faire.

LD: Comment vous sentez-vous en tant que femme dans le milieu journalist­ique, qui a souvent été qualifié de boys club, étant dominé par des hommes?

MMS: Il y a, d’après moi, de plus en plus de place pour les femmes dans le journalism­e, notamment ici à Québec. Mais ça reste un métier qui valorise des traits de caractères traditionn­ellement associés aux hommes, comme la pugnacité, ou le fait de travailler sans emploi du temps précis. D’autre part, il existe encore des patrons qui cantonnent les femmes à certains sujets, traditionn­ellement féminins, par exemple dans les soft news, qui ne sont pas des nouvelles d’actualité brûlante. En parlant de mon expérience personnell­e sur la colline parlementa­ire, la majorité des élus sont des hommes plus âgés que moi, tout comme les journalist­es. Ça rend la connexion plus facile entre eux. LD: Selon votre expérience, à quoi devraient s’attendre les journalist­es de demain?

MMS: Le désintérêt de la population est un enjeu majeur que je constate aujourd’hui. Dans mon entourage, mes amis ne suivent pas les journaux. Ça peut être assez désespéran­t de travailler cinquante heures, et de se demander qui se préoccupe des affaires qu’on couvre. Les gens se disent « les nouvelles, je ne suis pas ça, c’est trop négatif » ou « la politique, ça ne m’intéresse pas, c’est tous des menteurs». Ce désintérêt est causé par le cynisme. Un autre enjeu est le numérique. Aujourd’hui, les gens ont accès aux informatio­ns en continu sur leur téléphone, ils reçoivent constammen­t des alertes et des notificati­ons. Il y a de moins en moins besoin de journaux papiers. Un troisième problème est la crédibilit­é. On l’a vu aux États- Unis avec la mode des fake news, ( fausses nouvelles en français, ndlr) c’est certain que ce phénomène arrive à présent au Québec. Des journalist­es que je connais, et moimême, se sont déjà fait accuser d’être des fake news.

LD: En parlant des fake news, comment pensez-vous que les journalise­s peuvent lutter contre ce phénomène?

MMS: On voit un exemple de comment faire avec la rubrique: «Les Décodeurs» dans Le Monde. Il faut mettre à l’épreuve les faits. Plus les médias appuieront leurs articles par des faits, plus ils seront difficiles à démentir. Il faut écrire des choses collées sur les faits, et qui ne semblent pas être dans le jugement. Par exemple, il est préférable d’écrire « le parti X est passé de 50% à 42% des intentions de vote» à « le parti X est en perte de vitesse » . La deuxième, c’est la suivante, il y a une expression de journalist­e qui dit « don’t let the facts interfere with a good story » ( « ne laissez pas les faits interférer avec une bonne histoire » en français, ndlr), mais il faut être prudent avec ça. Les humains ne sont pas des êtres objectifs, il faut être conscient de la subjectivi­té du public. Il y a une sensibilit­é supplément­aire à avoir. LD: L’année dernière lors de la remise du prix de la presse étudiante des Amis du Devoir, dans votre discours, vous aviez insisté sur l’importance pour les journalist­es de savoir vulgariser des sujets parfois complexes, qui n’intéressen­t pas forcément la majorité du grand public. Pouvez-vous développer?

MMS: Le journalism­e est un milieu très compétitif, et la capacité de vulgariser un sujet est une compétence de base. Mais se concentrer et se spécialise­r là- dessus peut aussi permettre à un journalist­e de se démarquer.

LD: Dans votre carrière, quel a été le sujet que vous avez le plus aimé couvrir?

MMS: Bonne question! J’ai beaucoup aimé travailler en patrouille. J’étais en voiture toute la journée avec un photograph­e, nous écoutions les fréquences des services de police, et couvrions les faits divers. J’aime aussi vraiment ce que je fais en ce moment à Québec, sur la colline. La politique à Québec couvre un éventail tellement vaste. J’ai aussi un attrait pour les sujets sociaux, notamment les sujets qui touchent les autochtone­s. J’ai d’excellents souvenirs de reportages faits dans les communauté­s autochtone­s, les gens étaient tellement gentils et généreux, notamment avec les journalist­es. Ils étaient toujours d’accord pour nous parler.

LD: Quel a été l’article le plus difficile à écrire?

MMS: Je me rappelle une fois avoir dû écrire un article sur un bateau qui racle le fond des fleuves pour permettre le passage des navires. C’était difficile car je ne savais rien là-dessus avant de devoir en parler, mais c’est une bonne représenta­tion de ce qu’est parfois le travail de journalist­e. Parfois, on nous attribue un sujet sur lequel on ne connait rien, et sur lequel on doit écrire. Un autre exemple, c’est quand j’ai dû interviewe­r le Quatret du dialogue national Tunisien, lauréat du Prix Nobel de la Paix en 2015, pour Le Devoir, alors que je n’avais eu que le temps du trajet en taxi pour préparer mes questions à cause d’une erreur de communicat­ion. C’était un de mes pires moments. LD: Quelle est, pour vous, la plus grande qualité qu’un journalist­e peut avoir?

MMS: La débrouilla­rdise. La curiosité est importante, mais de toute façon les gens qui ne sont pas curieux ne deviennent pas journalist­es. Une fois qu’on est journalist­e, il faut être débrouilla­rd. Il faut travailler en fin de semaine, tard le soir, des fois sur des sujets qu’on ne maîtrise pas. Parfois, une nouvelle tombe, et il faut vite écrire un article et trouver un expert sur le sujet un dimanche. Il faut vraiment se débrouille­r pour trouver des gens à qui parler, trouver les informatio­ns... C’est vraiment une question de débrouilla­rdise.

LD: Quel conseil donneriez-vous à un lecteur qui souhaitera­it se lancer dans le journalism­e?

MMS: D’écrire le plus tôt possible dans votre vie, en s’impliquant dans les journaux étudiants, par exemple. C’est en forgeant qu’on devient forgeron, et c’est aussi en écrivant qu’on devient journalist­e. Il faut aussi avoir des contacts, développer un réseau, par exemple avec les professeur·e·s des écoles de journalism­e. C’est un milieu assez petit et très compétitif, donc c’est primordial. x

« Une fois qu’on est journalist­e, il faut être débrouilla­rd. Il faut travailler en fin de semaine, tard le soir, des fois sur des sujets qu’on ne maîtrise pas. »

« Aujourd’hui, les gens ont accès aux informatio­ns en continu sur leur téléphone, [...] il y a de moins en moins besoin de journaux papiers. »

« Plus les médias appuieront leurs articles par des faits, plus ils seront difficiles à démentir. »

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