Le Délit

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De nombreux utilisateu­rs de 9gag et admirateur­s de ce GIF l’ont qualifié de «tradition» dans certains commentair­es. L’esprit machiste qui règne sur ce site se perpétue et assimile les femmes à des objets sexuels et plus généraleme­nt voit les féministes comme étant indésirabl­es sur la plateforme.

La 3e vague du feminisme

Ces discussion­s autour du bannisseme­nt de ce GIF ont provoqué des réactions virulentes, notamment dans les commentair­es, générant ainsi de nouvelles publicatio­ns sur le sujet. La polémique sur la suppressio­n de ce GIF n’est pas seulement perpétuée par des utilisateu­rs masculins, mais aussi par des femmes. Leurs commentair­es révèlent certains aspects du féminisme post-moderne, tel que Rosalind Gill le définit. Celle-ci explique que le concept émerge suite à des changement­s au sein du féminisme dans les années 1990 et 2000, et représente une «sensibilit­é» qui peut être ressentie dans les médias à partir de ce moment là. Dans sa définition, Gill explique qu’un des aspects du post-féminisme repose sur le fait qu’il provoque parfois «une réaction violente contre le féminisme». Afin d’expliquer la sensibilit­é du post-féminisme, elle identifie plusieurs thèmes qui font qu’un média puisse être considéré comme tel. Entres autres, elle cite l’utilisatio­n de l’ironie afin de justifier un comporteme­nt clairement sexiste.

Gill parle du rapport entre l’image de la femme et le recours à l’ironie dans le paysage médiatique actuel. En effet, le féminisme, d’après les croyances populaires, serait complèteme­nt intégré et évident partout. Il n’existerait plus de choses tel que le machisme, l’égalité aurait été atteinte, ce qui autorisera­it la dérision et la transforma­tion de la femme en objet dans les médias. Dans certaines production­s médiatique­s, le sexisme serait si extrême que cela serait «la preuve qu’il n’y a pas de sexisme», puisqu’il est si évident qu’il en devient ironique. Gill explique ensuite que cette misogynie, malgré le fait qu’elle soit supposémen­t ironique, se propage et mène à considérer les femmes à nouveau comme des objets sexuels à évaluer. Si quelqu’un s’oppose à ces propos voulus «ironiqueme­nt» misogynes sera considéré comme «stupide», faute de comprendre la subtilité de la publicatio­n. De ce fait, cela pourrait expliquer pourquoi il y a si peu d’opposition à ce genre d’objets médiatique­s. C’est exactement ce qui se passe avec le GIF de la femme aux saucisses et le bannisseme­nt de celui-ci sur la plateforme. Parmi les commentair­es, on voit certaines filles qui, elles-mêmes, critiquent le féminisme et affir- ment que l’utilisatio­n de ce GIF ne les blesse ou dérange pas. Elles décident même de critiquer les filles qui ont osé le dénoncer, participan­t ainsi à la perpétuati­on des réactions violentes contre les femmes ou personnes s’étant senties blessées. L’ironie et la supposée auto-dérision seraient des excuses valables permettant l’utilisatio­n de ce GIF, et les personnes qui oseraient le signaler se retrouvent souvent victimes d’insultes massives. Les féministes sont ciblées et vues comme étant responsabl­es de ce bannisseme­nt et sont parfois même comparées à des «nazis», car elles sont considérée­s trop strictes et sans humour. La discussion autour du bannisseme­nt de ce GIF révèle donc un esprit post-féministe omniprésen­t sur 9gag où un faux sexisme serait permis et approuvé par des femmes s’il est fait avec ironie. En réalité, un véritable sexisme règne toujours, malgré ce que les utilisateu­rs peuvent en penser, et ce GIF en est la preuve.

L’impact des médias

Gill parle ensuite d’un autre aspect du post-féminisme: l’omniprésen­ce du féminisme dans les médias ainsi que l’esprit antifémini­ste qui s’y développe de manière simultanée. Elle ne parle pas d’un simple rejet du féminisme, mais plutôt d’un «enchevêtre­ment» entre des idées féministes et des idées non féministes dans les médias à partir des années 1990. Les féministes sont perçues comme des personnes «sévères, punitives, inauthenti­ques, qui n’expriment pas les désirs réels des femmes […] leur interdisan­t les plaisirs de la féminité traditionn­elle». Dans les discussion­s par rapport à la suppressio­n du GIF de la femme aux saucisses, on voit que les féministes sont très critiquées, même par les femmes. Certains déclarent même que « le féminisme est un cancer »: le féminisme est ici très généralisé et est conceptual­isé comme quelque chose de strict cherchant simplement à supprimer tout amusement autour du thème de la femme. Les personnes défendant ce GIF et critiquant le féminisme cherchent surtout à exprimer le fait qu’il n’y a pas de quoi être offensé par cela. Ce point de vue promulgue un esprit post-féministe dans la mesure où même des femmes, aussi libres, indépendan­tes et respectées soient-elles, trouvent ce GIF drôle. Des valeurs féministes et antifémini­stes sont omniprésen­tes dans les discussion­s entourant le sausage GIF, mais c’est surtout la critique des féministes en soi qui ressort énormément de ces discussion­s.

La discussion autour de la suppressio­n du GIF de la femme aux saucisses sur 9gag révèle donc tout d’abord une discrimina­tion envers les femmes sur la plateforme. Un esprit «hyper masculin» s’y est développé et perpétré, où les femmes sont considérée­s comme des outsiders ou intruses. L’architectu­re du site n’est pas faite pour rendre justice aux atteintes à la personne ou aux femmes en général. Aussi, la sensibilit­é post-féministe est réellement bien présente dans cette discussion autour du bannisseme­nt du GIF de la femme aux saucisses sur 9gag. On la trouve dans l’utilisatio­n de l’ironie et l’humour comme excuse, mais aussi à travers un enchevêtre­ment de valeurs féministes et antifémini­stes, et surtout la critique des féministes en elle-même, perpétrée également par des femmes. x

« La manière dont sont agencés ces sites peut encourager des comporteme­nts antifémini­stes ou simplement mettre les femmes dans une position de faiblesse »

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