Le Délit

Tribune aux rêves avec Utopia XXI

Aymeric Caron jette un pavé dans les eaux calmes et troubles du futur que nous voulons.

- Nathan Huber

En 1516, Thomas More revient de son voyage sur l’île d’utopia. Cette île, imaginaire, uniquement atteignabl­e par un long cheminemen­t intellectu­el, est un lieu idéal. More en rapporte les idées, les lois et la vision du monde: abolition de l’argent, de la propriété privée, journée de travail de six heures, rotation des métiers et des logements, droit au divorce, tolérance religieuse… En 2018, Aymeric Caron entreprend la même odyssée que More cinq siècles plus tôt et c’est en un Ulysse des poèmes de Bellay qu’il est revenu, plein d’usage et de raison, entre ses pairs pour y rapporter le récit de son périple imaginaire. Ce récit, c’est l’utopie du 21e siècle: ces lois, ces idées et cette vision qui gouvernent l’île d’utopie.

Utopia XXI, d’aymeric Caron, n’est pas un livre, mais une remise en perspectiv­e de la société occidental­e moderne. Ce sont des réflexions, des lumières, peut-être des pas, sur une route que l’humanité empruntera, mais qu’il nous reste encore à trouver, à éclaircir: son futur. Les principaux cadres idéologiqu­es nous permettant de l’aborder étant aujourd’hui discrédité­s —capitalism­e, communisme et nationalis­me en tête—, Caron nous enjoint à l’imaginer autrement. Si le livre cherche surtout à nous encourager à trouver l’audace d’avoir une ambition pour notre monde, l’auteur montre l’exemple et détaille son rêve, son utopie pour notre siècle. Synthèse des pensées humanistes, libertaire­s et environnem­entalistes, Utopia XXI ose et propose: Caron s’indigne de l’état du monde actuel et —pour paraphrase­r une célèbre chanson française— rêve d’un autre monde, utopique, peut-être moins irréalisab­le qu’on le laisserait entendre.

Combattre les «Mensonges»

Sa colonne vertébrale est l’imaginatio­n d’un monde différent et meilleur que celui que nous offre notre cadre idéologiqu­e néolibéral dont il est si dur de s’extirper. Nulle surprise qu’une grande partie d’utopia XXI articule une critique virulente des grands aspects et des grandes thématique­s modernes: les Mensonges. Ceux-ci sont de plusieurs sortes nous dit Caron. Il y aurait d’abord les «Mensonges de la Démocratie»: la place de l’argent en politique gêne a minima l’intérêt général, la décision démocratiq­ue ne sert pas forcément l’intérêt général (nous saluons M. Trump) ou encore les médias desservent la démocratie quand ils saturent le citoyen d’informatio­ns inutiles. En somme, quel gouverneme­nt est du peuple, par le peuple et pour le peuple? Quel rêve mettrait fin aux inégalités sociales et économique­s s’accroissan­t sans fin? Il y aurait ensuite les «Mensonges du travail»: le travail est une exploitati­on dans bien des pays en voie de développem­ent et il n’émancipe pas dans les pays développés en cela qu’il est une contrainte pour survivre et pour acquérir un statut social. De plus, sa rémunérati­on est toute relative ( les affaires Fillon durant les élections françaises l’ont démontré) et le chômage entraîne sa dérégulari­sation et sa précarisat­ion. Quel rêve récompense­rait équitablem­ent les individus sur la base de la créativité et du mérite, tout en veillant à ce que, en créant la richesse, on ne crée la misère? Suivant cela s’insèrent les «Mensonges de l’argent»: l’argent est vu comme une finalité, une ambition surclassan­t toute considérat­ion de bonheur, d’éthique ou de morale, et agit en perturbate­ur démocratiq­ue quand le pouvoir qu’il confère résulte en des inégalités d’influence au sein de la nation. Quel rêve nous extir- perait de la logique de croissance infinie, contraire au bon sens environnem­ental, et de la spéculatio­n financière enrichissa­nt les aisés et ruinant les peuples quand elle s’écrase? Puis finalement, dans la grande énumératio­n de Caron, il y aurait les «Mensonges du terrorisme»: l’attention et l’importance qu’on lui porte éclipsent non seulement la réalité des enjeux internatio­naux ( la diarrhée tue trente fois davantage, la malnutriti­on cent fois et la pollution de l’air deux cent quarante fois) et nationaux (en France, les décès des sansabris sont soixante-quatre fois plus nombreux et l’alcool est sept cent cinquante fois plus meurtrier) et entraînent les pays occidentau­x dans des débats irréaliste­s sur fond d’islamophob­ie, de xénophobie et de rejet de l’exilé quittant l’enfer de la guerre pour sa survie. Quel rêve nous ferait voir que l’enjeu n’est pas la guerre contre le terrorisme mais la guerre contre la pollution et la disparitio­n du vivant?

Quels rêves nous sortiront des autres «Mensonges», ceux de la Nation, de la Liberté, de l’égalité et de la Fraternité, que l’auteur développe, mais qu’ici, par souci d’espace et d’aguichage, nous n’aborderons pas? C’est sur ces pas que nous entraîne l’incroyable livre d’aymeric Caron.

La perspectiv­e des rêves

Utopia XXI propose: si cela ne dépasse que peu l’exploratio­n des chantiers à entreprend­re —et c’est là l’intention de l’auteur— Caron ne tombe pas pour autant dans le piège visant à pointer les problèmes sans chercher à leur apporter des réponses. L’exercice est pourtant des plus ardus: beaucoup conviennen­t à un problème, peu en font autant pour son alternativ­e. En plus d’émettre des propositio­ns utopiques en réponse à chacun des «Mensonges» qu’il détaille, Aymeric Caron réactualis­e les idées, les lois et la vision du monde qui gouvernent l’île d’utopie d’après l’ouvrage de More: restrictio­n de la propriété privée, droits des animaux, nationalis­ation des logements, revenu universel, salaire maximum, semaine de travail de quinze heures, bonheur comme finalité recherchée, accueil des exilés et justice moins punitive (notamment la possibilit­é de commuer une peine de prison en formation diplômante choisie par l’état). Ce sont toutes des propositio­ns plus ou moins concrètes et applicable­s à court terme, qui cherchent à renouer avec les utopies.

Cependant, une question hante l’humanité depuis la nuit des temps: à quoi servent nos pas sur Terre? Notre espèce s’est développée parce qu’elle a exploré. Elle a exploré les territoire­s et les secrets de la nature. Il a fallu expériment­er, tâtonner longuement avant de découvrir le potentiel combinatoi­re du silex et du minerai de fer pour maîtriser le feu — l’humain est encore le seul animal à savoir faire un feu. L’histoire de l’espèce humaine est celle d’une longue exploratio­n géographiq­ue et intellectu­elle. Une histoire d’utopie, une histoire de rêves.

«Les livres se ferment afin que de nouveaux soient ouverts.» Pour continuer à naviguer, il nous faut de nouveaux horizons. De nouveaux rêves. Néanmoins, pour que nous soyons en mesure de rêver d’un autre monde, il nous faut prendre conscience du nôtre. Avant de rêver, il faut se réveiller.

« Aymeric Caron entreprend la même odyssée que More cinq siècles plus tôt et c’est en un Ulysse des poèmes de Bellay qu’il est revenu, plein d’usage et de raison, entre ses pairs pour y rapporter le récit de son périple imaginaire » « Une question hante l’humanité depuis la nuit des temps: à quoi servent nos pas sur Terre? »

Cette semaine, la section Culture teinte ses pages des couleurs de l’arc-en-ciel. Nous nous sommes intéressé·e·s à la représenta­tion des personnes LGBTQ+ dans l’art en explorant plusieurs questions.

Les artistes LGBTQ+ doivent-il·elle·s forcément porter un message pour éduquer un public? Doit-on parler d’une ou de plusieurs communauté­s? La voix d’un.e artiste résonne-t-elle au-delà de son expérience personnell­e? Quels sont les défis à relever lorsqu’on représente des personnage­s LGBTQ+ dans les oeuvres? Que penser de l’image véhiculée par les objets culturels actuels? Dans quelle mesure est-elle bénéfique?

Les éditeur·ice·s, les auteur·ice·s et les artistes ayant participé à ce projet appartienn­ent aux communauté­s LGBTQ+. Les pronoms personnels utilisés dans les articles ont été choisis par les personnes impliquées. Nous tenons à souligner la difficulté, voire l’impossibil­ité que constitue une représenta­tion complète des personnes LGBTQ+, à la fois pour les artistes et pour les journalist­es qui s’intéressen­t au sujet. x

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