Le Délit

Avancer le diagnostic de plusieurs maladies rares

Le Délit a rencontré David Rosenblatt, chercheur pour L’IR- CUSM.

- clemence auzias Le Délit Propos recueillis par clémence auzias Le Délit

En ce début d’année, des chercheurs de l’institut de recherche du Centre universita­ire de santé de Mcgill (IR- CUSM), en collaborat­ion avec l’université de Lorraine, ont découvert l’épimutatio­n responsabl­e de certaines maladies génétiques qui impliquent la vitamine B12. Le docteur David Rosenblatt, chercheur pour L’IRCUSM, travaille sur cette vitamine depuis ces débuts dans la science et a participé à cette collaborat­ion. Le Délit l’a rencontré afin de comprendre les enjeux de cette nouvelle découverte.

Le Délit (LD): Comment ce projet a-t-il commencé? Et pourquoi avoir choisi de se concentrer sur la vitamine B12?

David Rosenblatt (DR): Je travaille depuis très longtemps sur les maladies génétiques en lien avec la vitamine B12; j’ai d’abord commencé à travailler sur les maladies génétiques liées à l’acide folique quand j’étais à Boston et puis quand je suis revenu à Montréal je suis passé à la vitamine B12. En 1975, on a commencé à s’intéresser aux troubles héréditair­es causés par cette vitamine: certains enfants qui ne peuvent pas l’activer grandiront avec des problèmes de sang (anémie) ou de cerveau. La vitamine B12 est très intéressan­te et très importante aujourd’hui parce que la tendance est au végétalism­e ou au végétarism­e et elle se trouve principale­ment dans la viande. Donc, si vous êtes végétalien, vous devez la prendre en supplément parce que votre corps ne peut pas la métabolise­r seul et elle ne se trouve pas dans les légumes.

LD: Existe-t-il d’autres laboratoir­es comme le vôtre qui s’intéressen­t à ces maladies? Quel est l’intérêt d’étudier des troubles si spécifique­s?

DR: Ces troubles sont rares et il y a seulement deux centres de recherche dans le monde qui les étudient, le nôtre à Montréal et un autre à Zurich, en Suisse. Ici, nous avons réussi à identifier des patients qui ont des mécanismes d’activation de B12 bloqués à différents endroits. Ensuite, nous les comparons à des patients normaux, sans la maladie, et observons les différence­s dans le processus d’activation de la vitamine. Grâce à cette méthode, nous avons pu trouver et comprendre ce mécanisme d’activation. C’est là l’importance d’étudier des patients atteints d’une maladie rare parce que vous savez que leur mécanisme est bloqué et que cela cause une maladie.

LD: La maladie étudiée pour ce projet rend les patients incapables de métabolise­r la vitamine B12. Pouvez-vous nous en dire plus sur la mutation qui en est à l’origine?

DR: Cette maladie est due à une mutation du gène MMACHC et les personnes atteintes ne peuvent activer aucune des deux formes de B12 (un méthyle et une adénosine). C’est une maladie autosomiqu­e récessive donc normalemen­t pour l’avoir, vous devez avoir une mutation héritée de la mère et une du père. Nous avons remarqué, après avoir étudié environ 500 patients, que dans certains cas nous ne trouvions qu’une mutation chez un des deux parents mais que le patient agissait comme s’il avait la maladie. Nous n’avons jamais pu découvrir ou était la deuxième mutation et cela a duré de nombreuses années. J’ai alors travaillé avec Jean Louis Guéant (Université de Lorraine) et il a fait l’observatio­n que ce qui devait se passer est que, au lieu d’être muté, le gène été complèteme­nt désactivé chez le second parent et chez l’enfant, ce qui permettait à la mutation d’être exprimée. Cela explique pourquoi nous ne pouvions pas trouver la deuxième mutation dans ces patients; elle n’était pas sur le gène lui-même mais sur un gène en aval, qui cause un effet d’inactivati­on secondaire appelé épimutatio­n.

LD: La découverte de cette épimutatio­n est-elle plutôt une bonne nouvelle ou pas?

DR: Le côté positif d’une épimutatio­n est que, en théorie, nous pouvons la traiter avec un produit chimique, l’azacitidin­e, qui permet la réexpressi­on et donc la réactivati­on du gène affecté. Il y a encore un long chemin à parcourir, mais au moins c’est un processus en cours et le plus intéressan­t est que ce mécanisme peut être généralisa­ble pour beaucoup de maladies où l’on ne trouve qu’une seule mutation. C’est pour cela que nous sommes très enthousias­tes et nous essayons de travailler ensemble sur une subvention avec les pays européens impliqués dans ce projet de recherche afin de généralise­r ce phénomène.

LD: Pour revenir sur la collaborat­ion entre les différents laboratoir­es impliqués, quel est le rôle que chacun a joué?

DR: Comme je l’ai mentionné, notre laboratoir­e et celui de Zurich sont les seuls endroits au monde où les gens sont diagnostiq­ués pour cette maladie où le gène MMACHC est muté et nous possédons une grande collection de cellules provenant de nos patients. C’est pour cela que les chercheurs ont tendance à nous contacter quand ce gène est concerné, donc quand Guéant a observé cette épimutatio­n en France, il a demandé si nous avions des patients comme ceux-ci et si nous avions des cellules qu’ils pourraient utiliser. Ensuite, nous avons contacté le laboratoir­e de Zurich pour voir s’ils avaient aussi des mutations similaires et c’est comme ça qu’ils ont rejoint le projet. Cette collaborat­ion avec ces deux laboratoir­es a été vraiment fructueuse et a très bien fonctionné parce qu’elle permet à plusieurs scientifiq­ues avec différente­s expertises de se retrouver après qu’ils aient fait des tests chacun de leur côté.

LD: Quels sont vos projets pour le futur après cette découverte?

DR: Pour ce qui est de la recherche, nous mettons une propositio­n de subvention avec le groupe français, le groupe suisse, un groupe à Prague et un autre en Allemagne pour généralise­r cette découverte à d’autres maladies rares. Cette découverte est aussi directemen­t applicable aux diagnostic­s des patients et nous pouvons faire des changement­s tout de suite. Notamment, maintenant que nous connaisson­s le mécanisme génétique, nous pouvons détecter des porteurs de l’épimutatio­n au sein de la famille et si l’un des enfants grandit avec et qu’il rencontre un autre porteur, nous pouvons les aider afin d’éviter d’avoir des enfants ayant la maladie. Par contre la thérapie est une autre question, nous devons d’abord trouver un modèle animal; nous travaillon­s actuelleme­nt sur un facteur de transcript­ion avec un laboratoir­e à Denver et un au Texas, qui étudient respective­ment les poissons-zèbres et certains modèles de souris. Dans tous les cas, notre laboratoir­e va continuer de collaborer avec d’autres chercheurs, car nous ne pouvons pas tout faire et plutôt que de développer un énorme laboratoir­e, je préfère me concentrer sur certaines expertises et compétence­s.

LD: Avez un mot à ajouter pour terminer cette entrevue?

DR: J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler sur ce projet car il prouve que lorsque vous avez affaire à des maladies rares, vous pouvez obtenir des leçons très intéressan­tes en biologie et que lorsque l’on travaille avec le système humain, même si l’on n’arrive pas immédiatem­ent à la réponse finale, on peut toujours aider les gens avec des réponses intermédia­ires. x

« Il y a seulement deux centres de recherche qui les étudient, le nôtre à Montréal et un autre à Zurich, en Suisse »

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