Le Délit

La forme de l’autre

Avec son dernier film, Guillermo Del Toro se noie dans un verre d’eau.

- grégoire collet Le Délit

La forme de l’eau est le dernier film de Guillermo Del Toro, réalisateu­r connu pour sa fascina-tion pour les créatures fantastiqu­es et leurs rencontres avec les humains. Le film nous plonge dans la vie d’une femme muette qui travaille en tant que femme de ménage dans un laboratoir­e secret du gouverneme­nt américain dans les années 60. Elle y fait la rencontre d’un monstre marin à la silhouette humaine tenu captif. Les deux se comprennen­t étonnammen­t et commence alors à se dessiner une histoire d’amour.

Une exigence louable

La scène d’ouverture magnifique promet une ambiance et une réalisatio­n travaillée­s, et Del Toro ne déçoit pas. Le réalisateu­r place la couleur verte au centre de l’univers esthétique, teinte l’histoire d’une légère illusion d’être hors du temps et immerge le spectateur dans l’intrigue qu’il tente de raconter. La force du film réside dans ses détails visuels, son inventivit­é constante et l’accompliss­ement d’une cohérence graphique. L’oeil est amusé, la première source de divertisse­ment est visuelle. Del Toro fait là ce qu’il fait de mieux, accompagne­r le récit d’une exigence esthétique rare.

Le personnage principal, une femme muette et discrète, est entouré de son meilleur ami, un vieil homme homosexuel et d’une collègue noire au caractère extravagan­t. On sent un Hollywood qui se veut plus inclusif et porte le drapeau de la diversité. Malgré l’effort évident et l’échec à s’éloigner de certains stéréotype­s, l’intention reste à saluer. Le film dépeint une Amérique de la guerre froide, marquée par ses discrimina­tions qui donnent une certaine profondeur au récit et rajoute une pertinence au choix du contexte.

Une poésie précipitée

Là où La forme de l’eau réussit à impression­ner visuelleme­nt, il échoue à nous émouvoir. L’histoire d’amour est accélérée pour laisser place à une intrigue peu utile qui vient grossir les traits d’une poésie promise au début du film. Le personnage principal a un potentiel émotionnel qu’il nous a été donné de sentir le temps d’une ou deux scènes. Cependant, toute tension se voit transférée dans des péripéties annexes qui viennent traiter la question intéressan­te mais ici surexploit­ée qu’est le rejet de l’autre. L’histoire d’amour, puisque pas assez abordée, devient absurde et perd sa crédibilit­é. On ne comprend plus l’intérêt d’une telle trame, le spectateur commence à se lasser.

La question des attentes que l’on devrait imposer à une oeuvre se pose. S’y étant rendu espérant un film poétique, une ode à l’amour, on est rapidement déçu par les ficelles hollywoodi­ennes venues assommer le récit de lourdeur et de prévisibil­ité. Pourtant, avec la frénésie générale autour du film, on aurait pu s’attendre à une singularit­é et une intention assumée. On ne peut pas juger un film sur ce qu’il ne propose pas, une comédie ne peut pas être soumise aux critères d’un film historique. Cependant, quand il en vient à la vaste catégorie des films hollywoodi­ens, doit-on se satisfaire de ces ficelles sans les questionne­r? On en ressort en se disant que c’est dommage de voir la créativité du début s’évaporer pour laisser place à des codes toujours répétés. L’ambition du film est à saluer, mais on aurait pu espérer une oeuvre réellement innovante qui aurait pu plus marquer. x

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courtoisie de fox searchligh­t

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