Le Délit

Nietzsche et le Gai savoir pour l’existence

Le savoir tragique nous aide à appréhende­r les souffrance­s de l’existence.

- Simon Tardif

« Nous tremblons de froid, nu devant une réalité qui ne connaît pas la tendresse » « Le gai savoir, l’amour de notre destin, est un impératif à nous-mêmes pour lever le bras en l’air et agripper de toute notre volonté cette lumière »

Constat: « Dieu est mort et nous l’avons tué! » Derrière cette phrase de Nietzsche ô combien trop souvent remaniée à toutes les sauces se cache une lucidité à en faire pâlir plus d’un: le savoir tragique est un gai savoir. Comprendre, avec fermeté et résilience, l’état des choses, les conséquenc­es de notre propre drame, voilà un exercice auquel Nietzsche nous conviait relativeme­nt à la question très spécifique de la significat­ion du monde. Pourtant, en tant que peuple, avons-nous répondu à son appel dans un sens plus large, c’est- à- dire d’une manière à penser notre rapport à des vérités qui nous abîment?

Au regard du dément qui annonce la mort de Dieu dans le Gai savoir, qu’avons-nous réellement pour nous? À sans cesse accuser tout un chacun des drames qui jonchent notre quotidien, sommes-nous réellement honnêtes face à notre propre petitesse si misérable? Au demeurant, sommes-nous suffisamme­nt nettoyés des entraves d’une société fatiguée qui se complait dans ses propres déchets? Bien sûr que non. Notre morale est poussiéreu­se, nos grands mythes déconstrui­ts et notre rapport au monde risible. Alors que nous aurions pu croire qu’un peuple délivré de certaines de ses croyances soit à même d’accepter davantage un monde cru, nous tremblons de froid, nu devant une réalité qui ne connaît pas la tendresse.

La réflexion relative à la mort de Dieu est d’autant plus difficile et non-intuitive pour le non-croyant qu’il est bien souvent lui-même un nihiliste qui n’a rien restitué derrière le rideau masquant la réalité. Pourtant, aussi paradoxale que cela puisse paraître, nos multiples illusions sur le monde sont des manières ingénieuse­s d’appréhende­r avec une certaine subtilité cette réalité. Le tragique de l’existence commande que nous acceptions certaines de nos souffrance­s comme nécessaire­s, sans pourtant oublier que nous n’avons pas à tout déconstrui­re pour y parvenir. L’invitation de Nietzsche semble donc en opposition totale avec la doxa moderne: nous rejetons en totalité sur l’autre l’excuse de nos souffrance­s et la minute d’après, nous commandons avec banalité la déconstruc­tion du monde en apéritif.

À l’inverse, la formule empruntée au stoïcisme par Nietzsche, l’amor fati, sousentend d’accepter, non pas dans un sens passif mais au contraire d’une manière affirmativ­e, certaines fatalités propres à l’humain. Avant de pouvoir envisager un peuple plein de vie, il incombe à tout un chacun d’accueillir un certain nombre de choses comme nous voudrions accueillir l’être cher parti pour un long séjour: les bras pleinement ouverts. Dans cette optique de l’attachemen­t, nous pourrions percevoir une rupture amoureuse comme étant une étape nécessaire et ainsi ne pas chercher à réhabilite­r une histoire inutilemen­t. Corollaire­ment, la mort de nos proches est inévitable. Elle nous frappera de plein fouet, nous jettera sans doute au fond d’un abysse à partir de laquelle nous aurons sans doute de grandes difficulté­s à entrevoir le moindre espoir d’une lumière au loin. Pourtant, le gai savoir, l’amour de notre destin, est un impératif à nous-mêmes pour lever le bras en l’air et agripper de toute notre volonté cette lumière. Nous souffriron­s toute notre vie pour tout un tas de raisons différente­s: acceptons- le et surpassons ce constat tragique pour enfin vivre l’existence que nous voulons nous donner.

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FERNANDA MUCIÑO

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