Le Délit

Féminisme en terre inconnue

Une discussion sur la politique étrangère féministe, et ses défis et opportunit­és.

- Magdalena morales Contributr­ice

Alors que le Canada se félicite de sa politique étrangère féministe, l’honorable Karina Gould, ministre fédérale des Institutio­ns démocratiq­ues, soutient que 95% de l’assistance internatio­nale canadienne a une composante genrée, ce qui soulève bien des questions. Pour en débattre, le Comité qué- bécois femmes et développem­ent ainsi que l’associatio­n québécoise des organismes de coopératio­n internatio­nale ont organisé un panel de discussion visant à mieux comprendre les caractéris­tiques d’une telle politique.

Perspectiv­es sur le terrain

C’est Theo Sowa, présidente-directrice générale des Fonds de développem­ent des femmes africaines, qui a d’abord souligné l’importance d’une écoute constante. Basée au Ghana, Sowa soutient qu’une vraie politique étrangère féministe préfèrera le financemen­t direct d’organisati­ons féministes locales. Expliquant les avantages de procéder d’une telle façon, elle précise que ce type de partenaria­t permet de garantir aux contribuab­les le bon usage des fonds, puisqu’il est bien plus efficace de travailler avec des personnes locales pouvant assurer un développem­ent durable. Le gouverneme­nt canadien a égale- ment un rôle critique à jouer dans la régulation du secteur privé à l’internatio­nal, qui porte couramment atteinte aux droits des femmes. « Lorsque 90% de votre financemen­t est destiné aux organisati­ons non gouverneme­ntales du Nord qui agissent dans les pays du Sud, cela ne fonctionne pas », a-t-elle conclu.

Anielle Franco, activiste et enseignant­e d’anglais à Rio de Janeiro, a ensuite parlé des problèmes d’insécurité au Brésil. Elle raconte l’histoire de sa soeur Marielle, une conseillèr­e municipale noire, lesbienne, féministe et de gauche, qui a été assassinée par quatre balles dans la tête en mars 2018. « Les femmes, en particulie­r les femmes noires, ne peuvent pas parler », a-t-elle lancé, énumérant ensuite les incessante­s menaces qu’elle et sa famille reçoivent parce qu’ils continuent de préserver la mémoire de Marielle. « Plusieurs programmes féministes au Brésil incluent aussi les garçons », tientelle à ajouter, « car nous devons enseigner aux garçons comment bien traiter les filles ».

Priorité aux défenseure­s

« Les premières victimes d’un conflit sont toujours les femmes », explique ensuite Razia Sultana, avocate rohingya, chercheuse et éducatrice spécialisé­e en traumatolo­gie, viol de masse et traite de filles et de femmes rohingyas. Selon elle, une politique étrangère féministe encourager­a d’abord les défenseure­s locales des droits des femmes, qui sont les représenta­ntes immédiates de la situation de leurs communauté­s. Assurer leur sécurité est une priorité, car « si une activiste locale a peur d’aller cultiver son champ, comment peut-elle convaincre ses soeurs d’y aller aussi? » Des mesures de sécurité, combinées à un financemen­t direct d’organisati­ons féministes locales, comme le proposait aussi Sowa, auront donc un effet domino positif sur la collectivi­té. La ministre Gould a finalement pris la parole en dernier, défendant le bilan libéral. Questionné­e sur la continuité de la politique étrangère féministe advenant un changement de gouverneme­nt, elle a répondu que « c’est notre responsabi­lité à tous et toutes de continuer à lutter ». Exprimant ensuite son accord pour travailler directemen­t avec les personnes sur le terrain, elle déplore « l’habitude de ne pas le faire », grande cause de l’inefficaci­té actuelle.

Agentes du changement

Deux thèmes majeurs, la sécurité physique et le financemen­t direct, ont donc été au coeur des discussion­s sur la politique étrangère féministe du Canada. Comme l’ont souligné les panelistes, une telle initiative est louable, mais ne doit pas s’arrêter à la simple étiquette. Comme l’a si bien conclu Sowa : « Ne voyez pas les femmes des pays du Sud comme des victimes : nous sommes des agentes du changement. »

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up close esther perrin tabarly

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