Le Délit

Fratricide­s?

Élections provincial­es québécoise 2018: Le Délit analyse la campagne.

- RAFAEL MIRÓ Chroniqueu­r

Au moment où cette chronique est écrite, les résultats des élections ne sont pas encore connus, mais il est certain que le conflit électoral entre le Parti québécois (PQ) et ses deux frères ennemis, la Coalition Avenir Québec (CAQ) à droite et Québec solidaire (QS) à gauche, aura des répercussi­ons visibles sur l’avenir du PQ.

Les analystes parlent souvent de la «zone payante», ce seuil autour de 25% des voix où les gains dans le vote populaire commencent à se traduire en victoires dans les circonscri­ptions. En ce qui concerne le Parti québécois, les sondages au fil de la campagne laissaient présager un résultat de plusieurs points de pourcentag­e en dessous de ce seuil, ce qui annonçait la perte de la majorité de ses sièges.

Pour qu’une circonscri­ption soit obtenue par un parti avec si peu de voix, il faut que la situation soit significat­ivement différente dans cette circonscri­ption qu’au niveau national. L’électorat du PQ est historique­ment francophon­e et progressis­te; et est réparti sur la plupart des 125 circonscri­ptions, rendant le Parti québécois particuliè­rement sensible aux aléas des sondages. Québec solidaire, au contraire, tire très bien son épingle du jeu même s’il obtient un plus petit pourcentag­e des voix : son électorat est très concentré dans quelques circonscri­ptions urbaines, diplômées et multicultu­relles. Cela fait en sorte que même avec un électorat relativeme­nt faible au niveau provincial, il peut espérer remporter des victoires dans ses quelques circonscri­ptions où son vote est concentré. La CAQ, de son côté, semble n’avoir d’yeux et d’oreilles que pour l’électorat francophon­e des régions et des banlieues, chez qui elle obtient de très bons scores. Ces deux derniers font assez peu d’efforts pour percer ailleurs que dans leurs bastions respectifs.

Le PQ entre deux chaises

Le PQ, lui, fait l’équilibris­te pour tenter de réconcilie­r les deux franges classiques de son électorat, mais c’est un exercice difficile. Quand il joue la carte du progressis­me, il perd des votes chez les nationalis­tes surtout identitair­es, qui sont nombreux dans les circonscri­ptions des régions et des banlieues. Quand il flirte avec l’identitair­e, il perd de la crédibilit­é chez les nationalis­tes surtout progressis­tes des circonscri­ptions urbaines. Jean-françois Lisée a fait les frais de ce déchiremen­t. Il a remporté sa course à la chefferie en prenant des positions qui plaisaient surtout aux nationalis­tes plus identitair­es du Parti québécois, par exemple en critiquant le multicultu­ralisme ou en appelant à une plus grande protection de la langue française. Beaucoup de progressis­tes indignés ont quitté le navire et le PQ a baissé dans les sondages. Puis, depuis environ un an, il semble avoir complèteme­nt abandonné cette stratégie au profit de propositio­ns pragmatiqu­es et résolument sociales-démocrates. Pourtant, malgré ce virage complet qui en a étonné plusieurs, il n’a pas vraiment réussi à empiéter sur QS comme il l’espérait. Il était peut-être déjà trop tard: quand on leur parle du programme de gauche du Parti québécois, les progressis­tes se souviennen­t de la Charte des valeurs et des commentair­es de Lisée sur la burqa, et hésitent à lui donner leur vote. De surcroît, le PQ a perdu l’appui des nationalis­tes plus à droite et tentés par les idées de la CAQ.

Lorsque l’option indépendan­tiste était encore populaire chez les francophon­es, le Parti québécois pouvait l’utiliser pour réussir à aller chercher ces deux groupes en même temps. Maintenant que les indépendan­tistes ne sont plus assez nombreux et trop divisés entre plusieurs partis pour former un gouverneme­nt, il n’est plus possible pour le PQ de compter seulement sur la promotion de l’indépendan­ce.

Mais en évacuant complèteme­nt l’indépendan­ce de la campagne, le parti a remis en question le seul enjeu qui réussissai­t à rassembler tous ses électeurs, à droite comme à gauche. Maintenant, la CAQ et QS ont le champ libre pour devenir populaires auprès de l’électorat sérieuseme­nt désabusé du Parti québécois. x

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