Le Délit

La suprématie américaine s’invite au Québec

Réponse à « Quebec’s quest for monolingua­l domination makes healthcare less accessible ».

- Antoine Milette-gagnon, Simon Tardif & Christophe savoie-côté

Éditeurs Actualité et Philosophi­e, et Président de l’organisati­on francophon­e de Mcgill

DLe 18 septembre 2018, le Mcgill Tribune publiait dans ses pages une lettre d’opinion avec un titre qui ne faisait pas dans la dentelle, soit : « Quebec’s quest for monolingua­l domination makes healthcare less accessible ».

Cette lettre traçait des liens douteux entre la Loi 10 du gouverneme­nt québécois, une différence de taille de caractères entre l’informatio­n en français et celle en anglais sur de nouveaux panneaux à l’hôpital St. Mary, et la prétendue « quête du Québec pour une domination unilingue ». Anecdotiqu­e et erroné, cet article risque finalement d’alimenter la confusion et l’intoléranc­e au sein de la communauté mcgilloise ; et c’est pourquoi Le Délit ainsi que L’organisati­on de la Francophon­ie à Mcgill ont décidé d’unir leur voix afin d’apporter quelques nuances qui s’imposent.

La Loi 10 a été adoptée par le gouverneme­nt du Québec en 2015. Littéralem­ent, la Loi modifiant l’organisati­on et la gouvernanc­e du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des

agences régionales, est le véhicule d’une vaste réforme du système de santé entreprise par le Parti libéral du Québec (PLQ), un parti élu par des majorités écrasantes dans les circonscri­ptions anglophone­s telles que Notre-dame-de-grâce (NDG), où se trouve l’hôpital St.-mary.

Ironiqueme­nt, le gouverneme­nt libéral a eu recours au bâillon afin d’adopter la Loi 10. C’est ainsi qu’il a étouffé l’opposition du Parti québécois et de Québec solidaire au démantèlem­ent des agences régionales de santé. Si les communauté­s anglophone­s sont préoccupée­s par la reconfigur­ation du système de santé, maints francophon­es le sont aussi. Contrairem­ent à ce que l’article du Tribune prétendait, la désorganis­ation des services est une conséquenc­e de la Loi 10 ; mais ce n’est certaineme­nt pas son objectif.

La communauté anglophone de NDG se trouve néanmoins en bonne posture afin d’exprimer ses inquiétude­s, puisque Kathleen Weil, députée de NDG et ministre responsabl­e des relations avec les Québécois d’expression anglaise, sollicite un nouveau mandat dans cette même circonscri­ption.

Certains représenta­nts des communauté­s anglophone­s ont d’ailleurs été invités en commission parlementa­ire avant que la Loi 10 ne soit adoptée. L’article 76 reflète l’esprit de ces consultati­ons et stipule que « Tout établissem­ent public doit élaborer, dans les centres qu’il indique, un programme d’accès aux services de santé et aux services sociaux en langue anglaise pour les personnes d’expression anglaise (...) »

Évoquant les modificati­ons apportées à la taille des mots anglais sur certains nouveaux panneaux d’informatio­n à l’hôpital St-mary, l’auteur va jusqu’à affirmer qu’une « loi comme la Loi 10 n’est pas seulement dommageabl­e pour la sécurité des étudiants, mais [qu’]elle tente de s’occuper d’un déclin imaginaire dans la tradition linguistiq­ue francophon­e» . Nous ne pouvons que dénoncer un propos si fallacieux.

En fait, cette prétendue volonté d’utiliser la Loi 10 afin d’éviter le déclin du français ne fut en aucun cas exprimée par quiconque à l’assemblée Nationale lors des périodes de débats ou de travaux en commission parlementa­ire. Il est ridicule, voire mensonger, d’écrire que cette loi est mue par une volonté nationale de domination unilingue.

L’auteur de l’article fonde également son analyse de la situation linguistiq­ue du Québec sur une étude qui ne la considère que dans une perspectiv­e marchande, soit en termes d’offre et de demande (i.e.: en termes de « main d’oeuvre » parlant français et d’employeurs francophon­es). Un véritable diagnostic de l’état du français au Québec ne peut toutefois faire abstractio­n des dimensions historique et culturelle d’une telle question.

Les chiffres que brandit l’auteur lorsqu’il parle du déclin «imaginaire» du français ne sont d’ailleurs pas présentés. Ils sont issus de l’auto-évaluation des citoyens du Québec quant à leur capacité de tenir une conversati­on en français. Certes intéressan­ts, ces chiffres doivent être relativisé­s. Pendant ce temps, la proportion de Québécois dont le français est la langue maternelle et le nombre de québécois qui le parlent à la maison sont tous deux en déclin. Et encore : une étude guidée par L’OCDE suggérait récemment que près de la moitié des Québécois sont des analphabèt­es fonctionne­ls. « French is on the rise » — vraiment? Si l’auteur de cette lettre se sent sincèremen­t concerné par le respect et le dynamisme de la culture linguistiq­ue québécoise — tel qu’il prétend l’être —, alors il devrait méditer plus longuement sur le sens des mots qu’il emploie. Ces changement­s de panneaux résultaien­t de décisions administra­tives; et il est certaineme­nt malavisé de prétendre qu’il s’agit là d’une quête nationale dont l’objectif est la domination du français.

Les présomptio­ns de ce genre peuvent avoir de dangereuse­s conséquenc­es puisqu’elles alimentent la confusion ainsi que l’intoléranc­e. N’ayons pas non plus peur d’appeler un chat un chat : cette lettre est non seulement malhonnête, mais elle est également irrespectu­euse face aux Québécois qui en font déjà beaucoup pour accommoder les Québécois d’expression anglaise.

En terminant, bien que Montréal soit en effet une ville cosmopolit­e, elle fait également partie du Québec. Et ici, au Québec, le français n’est pas qu’une simple « tradition linguistiq­ue » : c’est notre langue officielle et le socle de notre identité. x

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