Le Délit

Okinum: guérisons multiples

Émilie Monnet présente une histoire d’identité et d’apprentiss­age.

- Violette drouin Contributr­ice

Au sein du rythme effaré de la vie de tous les jours, nous oublions parfois la terre sur laquelle nous marchons et les voix de ceux et celles à qui elle appartient sont trop souvent ignorées. L’artiste franco-anishnabe Émilie Monnet a toutefois su se faire entendre avec sa pièce Okinum, présentée dans le contexte d’une résidence au Centre du Théâtre d’aujourd’hui.

Okinum allie son, chanson, film et théâtre pour juxtaposer des histoires de maladie, d’identité personnell­e et de connexion à son patrimoine. Seule sur une scène recouverte de peaux de castor et d’écorce de bouleau, Émilie Monnet nous présente un témoignage puissant sur son expérience en tant que femme anishnabe, à la fois un cri de désespoir et un processus de guérison.

Passés entremélés

La pièce est tissée en trois langues : français, anglais, et anishnabem­owin. Le public apprend ainsi que le mot « okinum » signifie « barrage ». Autour de ce mot, l’oeuvre se construit, mettant en parallèle les barrages intérieurs et ceux des castors, qui sont à la source de sa création.

Les scènes s’interrompe­nt et se superposen­t : rêves de castors géants, visites à l’hôpital, et mini-documentai­res se relayent sans pause ni transition, mais sans que le public ne se sente essoufflé ou perdu pour autant. En racontant son histoire, Émilie Monnet raconte également celle de son peuple et de sa terre et comment tous deux ont été brutalemen­t colonisés. Elle déchiquète l’écorce de bouleau recouvrant la scène, empile les peaux de castor et rage contre le sort des femmes autochtone­s, racontant les histoires de son peuple et sa famille et hurlant les insultes dont elle a été elle-même victime d’une voix qui déchire l’âme.

Penser les cicatrices

L’artiste a expliqué, durant la période de questions suivant la représenta­tion, que son cancer de la gorge était étroitemen­t lié à sa relation avec son héritage culturel; une manifestat­ion physique de ses barrages intérieurs, un signe à l’image de son rêve répété d’un castor géant, qui a inspiré la pièce. Sa guérison physique s’opère donc en simultané avec la reconquête de son patrimoine culturel et de ses traditions, ainsi que son apprentiss­age de la langue anishnabem­owin. Émilie Monnet étend de nouveau les peaux de castor sur une partie de la scène tandis que sur les écrans, on assiste à une démonstrat­ion d’art traditionn­el anishnabe, consistant à faire des dessins sur de l’écorce de bouleau avec les dents. Le ton de la pièce devient, le temps des dernières scènes, réparateur, presque paisible.

Émilie Monnet présente une histoire à la fois entièremen­t personnell­e et complèteme­nt universell­e. Elle parvient à communique­r toutes les émotions d’une quête presque frénétique pour se définir, de la réconcilia­tion d’héritages multiples. Extraordin­airement pertinent, ce récit touchant incite le public à réfléchir sur la question de l’identité, et à la manière dont nous percevons le Canada.

Okinum nous laisse la tête remplie de réflexions, le coeur lourd de tristesse, et léger d’espoir. x

Okinum sera jouée en semaine jusqu’au 20 octobre 2018, au Centre du Théâtre d’aujourd’hui.

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LA PLAYLIST de la semaineIs it people - South By the Lake Cheikh Lô - Degg Gui Hubert Lenoir - Recommence­r

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