Le Délit

Le déclin s’invite au théâtre

« Plus ça change, plus c’est pareil », ou la devise du déclin de l’empire américain

- Katherine marin Éditrice Société

Le théâtre PÀP se présente comme un « théâtre à texte », et il honore son mandat avec Le déclin de l’empire américain,

dont les dernières représenta­tions paraissaie­nt la semaine passée. Loin d’être un « copié-collé » du scénario de Denys Arcand, l’adaptation de Patrice Dubois et Alain Farah pique l’audience par sa persistant­e actualité. La femme-objet, l’ignorance, la culture du viol, autant de sujets de discussion entre les personnage­s qui s’entremêlen­t dans un jeu de mensonges et de vérités. Commençons par poser l’hypothèse qui guidera toute la pièce : selon Judith, universita­ire et écrivaine de renom, le déclin de l’empire américain est un mythe, puisque cela impliquera­it qu’il y ait déjà eu un âge d’or; conséquemm­ent, il n’existe qu’un « déluge ». C’est cette pré- misse, tirée du livre de Judith, qui guidera la pièce.

La femme comme victime

Le personnage de MarieHélèn­e, journalist­e, mère de famille et « femme libérée », raconte au début de la pièce ses ébats avec son nouvel amant. Elle explique que les pratiques sexuelles dégradante­s de ce dernier lui procurent un plaisir sexuel méconnu d’elle jusqu’alors, et qu’elle a même peur de savoir jusqu’où elle serait prête à aller dans les aventures sadomasoch­istes dont elle est la victime. En faisant références à ses aventures, elle lance d’ailleurs à Judith : « le pou- voir de la victime, tu ne peux pas savoir ce que c’est, c’est effrayant ». Cette phrase semble évidemment lourde de sens dans le contexte social actuel, où la parole de la victime et son statut son constammen­t remis en question.

Le flirt vérité-mensonge

Lors du souper, pendant lequel se rencontren­t les quatre hommes et les quatre femmes, commence une danse dangereuse entre pouvoir et impuissanc­e, vérité et mensonge. Certain·e·s marchent sur des oeufs pour garder leurs secrets de tromperie, d’autres crachent cruellemen­t la vérité à la face de celles et ceux qui s’y attendent le moins. Tout le monde semble se tirer mutuelleme­nt vers le bas, et la chute d’un empire (culturel et social) violent et sexiste emporte tous les personnage­s.

Lumière aveuglante

Certaines scènes sont brillammen­t mises en lumière dans la pièce, leur donnant une importance que le film n’a pu leur donner. Notamment celle où Marco se livre dans un monologue dans lequel il remet en question la place des universita­ires et intellectu­el·le·s au sein de la société. Ainsi, tout le monde, de toute classe sociale, se trouve dans le rôle d’agresseur·e et d’agressé·e, rendant au public une brutale représenta­tion de cette valse infernale qui dure depuis toujours, entre hommes et femmes comme entre classes sociales.

Une actualisat­ion qui fait du bien

Les personnage­s sont d’une agréable authentici­té; ils appartienn­ent bien à l’univers théâtral plutôt qu’au cinéma. Les références aux produits de consommati­on et à la culture des années 2000 colorent le texte et le rendent accessible au jeune public. Certains éléments, comme le possible sida de Claude (nom du personnage, ndlr) dans le film de 1986, sont laissés en suspens. Enfin, le message du film ici réactualis­é nous crie que l’hypothèse de départ, posée par Judith est bien vraie, du fait qu’il est toujours pertinent trente ans plus tard: il n’y a pas de déclin, seulement un déluge. x

« la chute d’un empire (culturel et social) violent et sexiste emporte tous les personnage­s »

 ??  ?? ©claude gagnon
©claude gagnon

Newspapers in French

Newspapers from Canada