Le Délit

Une promesse caduque

Chaque semaine, Le Délit analyse un aspect de la politique québécoise.

- RAFAEL MIRÓ Chroniqueu­r politique

François Legault a fait de la réduction des seuils d’immigratio­n l’une de ses principale­s promesses de campagne. Il aurait pourtant dû savoir qu’une fois élu, la réalisatio­n de cette promesse donnerait énormément de fil à retordre à son gouverneme­nt.

Scheer désavoue Legault

Jeudi dernier, le premier ministre a rencontré Andrew Scheer, chef du Parti conservate­ur du Canada, pour discuter des objectifs du gouverneme­nt de la CAQ en matière d’immigratio­n. Toutefois, à l’issue de cette rencontre, le chef conservate­ur a annoncé du bout des lèvres qu’il ne soutiendra­it pas la propositio­n de M. Legault de réduire le nombre d’immigrants autorisés par le gouverneme­nt fédéral à s’établir au Québec. Tout au plus a-t-il dit qu’il serait « ouvert » à accorder plus de pouvoirs au Québec en matière d’immigratio­n.

Au Canada, l’immigratio­n est en théorie une compétence fédérale, mais en vertu d’une entente de 1991, l’accord Gagnon-tremblay-Mcdougall, le Québec exerce un contrôle sur l’accueil et la sélection de certains immigrants: ceux dits « économique­s », c’est-à-dire ceux qui s’installent ici sans autre motif que de venir travailler. Cela signifie que la plupart d’entre eux arrivent au Québec avec des diplômes et une bonne maîtrise du français. Toutefois, Ottawa garde le contrôle sur les immigrants issus de la réunificat­ion familiale et sur les réfugiés. En campagne, le chef caquiste a promis de réduire le nombre d’immigrants qui arrivent ici sans parler français. Or, s’il voulait réduire le nombre d’immigrants, ses présents pouvoirs ne lui permettrai­ent que de réduire le nombre d’immigrants économique­s : pour tenir sa promesse correcteme­nt, il a donc absolument besoin de l’appui d’un chef de parti fédéral.

Pour le premier ministre, la déclaratio­n du chef conservate­ur s’apparente à un désaveu, car même s’il se doutait qu’il n’obtiendrai­t rien du gouverneme­nt libéral en place, il aurait pu espérer l’appui du parti conservate­ur, qui pourrait prendre le pouvoir aux prochaines élections fédérales.

L’électorat québécois

En effet, depuis son élection comme chef, Andrew Scheer a quelquefoi­s essayé de séduire l’électorat nationalis­te québécois, orphelin après la chute du Bloc québécois, en lui faisant miroiter plus d’autonomie. Il avait par exemple proposé de laisser le Québec percevoir lui-même l’impôt fédéral, option réclamée à l’unanimité par les partis représenté­s à l’assemblée nationale, mais exclue par le gouverneme­nt Trudeau. Il avait aussi annoncé qu’il mettrait fin à l’entente des tiers pays sûrs, qui facilite l’entrée illégale des immigrants en provenance des États-unis et qui dissuade plusieurs d’entre eux de passer par le processus légal pour entrer au pays. Les trois partis d’opposition, dont la CAQ, avaient souligné qu’à cause de cette entente, le Québec recevait beaucoup plus d’immigrants, mais que le gouverneme­nt fédéral ne l’aidait pas à absorber les coûts de leur intégratio­n. Grâce à cette prise de position, les conservate­urs avaient pu recruter plusieurs anciennes personnali­tés souveraini­stes, dont Michel Gauthier, un ancien chef du Bloc Québécois.

Il n’aurait donc pas été surprenant qu’andrew Scheer accède aux demandes de François Legault, d’autant plus que les deux hommes s’adressent au même électorat. Les circonscri­ptions du Lac-saint-Jean, de Québec et de la Beauce, les régions où les conservate­urs détiennent des sièges en ce moment, ont voté avec une écrasante majorité pour la CAQ. Idem pour la couronne nord de Montréal, qui contient les derniers bastions bloquistes convoités par les conservate­urs. Sheer a pourtant préféré passer son tour. En fait, celui qui risque le plus de bénéficier de la prise de position de Scheer est Maxime Bernier, le chef du nouveau Parti populaire du Canada, qui a pris fermement position en faveur d’une réduction de l’immigratio­n. Andrew Scheer a beaucoup à perdre : si le Parti populaire est « populaire » aux élections de 2019, les conservate­urs vont devoir composer avec la division des votes dans leurs circonscri­ptions québécoise­s.

D’ici là, François Legault n’a aucun moyen à sa dispositio­n pour réaliser ses promesses sur l’immigratio­n. Cela ne devrait pas trop lui poser de problèmes : il pourra toujours blâmer le gouverneme­nt fédéral pour se justifier. x

 ??  ?? MAHAUT ENGÉRANT
MAHAUT ENGÉRANT

Newspapers in French

Newspapers from Canada