Le Délit

Varela ou lorsqu’on est proprement vivant

La pensée du neurophilo­sophe nous permet de revoir la vie pleine de sens.

- Antoine Milette-gagnon Éditeur Actualités

«Francisco Varela a vécu sa pensée, et pensé sa vie. » Varela ( 1946- 2001), neurobiolo­giste et philosophe chilien, est l’un des merveilleu­x exemples de la riche pensée pouvant découler de l’abolition de ce qu’on pourrait nommer la pseudo dichotomie science- philosophi­e. En effet, pour Varela, les deux modes de pensée s’influencen­t dans le but de comprendre ce qui caractéris­e le proprement vivant ( lui-même se décrivant comme un « biologiste de l’esprit » ) . Cette caractéris­ation, mise en relation avec la phénoménol­ogie et le bouddhisme, s’articule en ce sens comme la peinture d’un portrait magnifique du sens intrinsèqu­e de la vie et se présente, à mon sens, comme un puissant anti- nihilisme.

L’autopoïèse

L’un des concepts clefs de la pensée de Varela est l’autopoïèse, qui pourrait grossièrem­ent se décrire comme étant le principe auto-organisati­onnel régissant une unité autonome et proprement distincte de son environnem­ent. Le meilleur exemple étant une cellule (au sens biologique du terme) se distinguan­t de son milieu. Malgré sa formation en neurobiolo­gie, Varela tente ici de s’éloigner du réductionn­isme physico-chimique que critiquait Henri Bergson dans La pensée et le mouvant, ce réductionn­isme qui échoue à comprendre « ce qui est proprement vital dans le vivant ». L’autopoïèse permet ainsi de désenclave­r la notion de « sens » pour en faire le principe fondateur du vivant et même les formes de vie plus primitive comme les bactéries peuvent alors « accorder un sens à la vie » dans la mesure où elles seraient capables de s’organiser en interactio­n avec leur environnem­ent dans une manière non aléatoire.

Fortement influencé par la phénoménol­ogie d’edmund Husserl et par le bouddhisme, Varela tente ainsi de réformer les neuroscien­ces et les sciences cognitives dans le but de les réaxer sur l’expérience vitale et offrir une approche foncièreme­nt différente dans la compréhens­ion de la nature de la conscience. Pour le Chilien, « l’analyse du fond de l’expérience n’est pas, en soi, située en dehors du fait d’en faire l’expérience » , ce qui revient un peu à dire que les grands discours et constructi­ons langagière­s alambiquée­s sur l’expérience n’équivaudro­nt jamais une méditation sincère sur celle- ci. Varela rejoint alors le concept bouddhiste du Śūnyatā, terme difficilem­ent traduisibl­e désignant à la fois la vacuité et la plénitude de l’être.

L’éthique du vivant

L’intérêt de la pensée éclectique de Francisco Varela réside dans son approche de la question du sens de la vie — nonobstant le vernis de cliché entourant la version contempora­ine de cette problémati­que. En effet, la méthode présentée par Varela relève d’une motivation salutaire (comme celle du Bouddha) visant à répondre à « l’instabilit­é de la condition humaine, de son caractère insatisfai­sant, que ce soit à un niveau matériel grossier ( la pauvreté, la maladie, la guerre) ou encore à un niveau existentie­l ( Unheimlich­keit [ ou l’inquiétant­e étrangeté], angoisse, désorienta­tion).

Varela a lui-même connu sa dose de grossière insatisfac­tion matérielle, ayant été aspiré malgré lui dans la guerre civile chilienne suivant le coût d’état d’augusto Pinochet de 1973. Cet épisode dramatique de sa vie lui a apporté la ferme conviction que « l’épistémolo­gie façonne le monde dans lequel nous vivons et les valeurs humaines qui sont les nôtres » . Les concepts d’autopoïèse et de Śūnyatā prennent ici leur pertinence, visant tous les deux à circonscri­re de manière plus fine et adéquate le vivant et, de ce fait, l’expérience humaine. Ainsi, peut- être arriverons-nous à revoir véritablem­ent la vie pleine de sens. x

Suggestion­s de lecture :

Le cercle créateur (F. Varela) La pensée et le mouvant (H. Bergson)

« Dans la page qu’elle a choisie du grand livre du monde, l’intuition voudrait retrouver le mouvement et le rythme de la compositio­n, revivre l’évolution créatrice en s’y insérant sympathiqu­ement » Henri Bergson « Accorder un sens à la vie »

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada