Le Délit

Peut-on tuer par compassion? SIMON TARDIF Éditeur Philosophi­e

Critique croisée de l’adaptation théâtrale du texte Des souris et des hommes.

- ANTOINE MILETTE-GAGNON Éditeur Actualités

Des souris et des hommes, adaptée du classique roman éponyme de Steinbeck, raconte avec force la difficulté de l’amitié véritable et la tragédie de l’existence. Narrant le récit de Lennie, géant simple d’esprit (interprété par Guillaume Cyr), et de Georges (interprété par Benoît Mcginnis), compagnon de route et protecteur.

Guillaume Cyr renversant

La pièce est portée en grande partie par la performanc­e de Guillaume Cyr, renversant dans son rôle. Cyr réussit en effet à rendre crédible un personnage atteint d’une déficience intellectu­elle sans pour autant le rendre caricatura­l. On s’attache réellement au gentil géant qu’est Lennie, lui qui n’a rien demandé à personne, encore moins sa force extraordin­aire.

Le duo Mcginnis-cyr s’échange la réplique de manière assurée. On sent l’affection que Georges porte pour Lennie sans que le premier ait besoin de l’expliciter à outrance. La scène finale a véritablem­ent coupé le souffle de l’assistance, restant muette quelques secondes afin de saisir l’ampleur tragique du dénouement du classique de Steinbeck. Sans être exceptionn­elle, la performanc­e des acteurs secondaire­s est juste et ne jette pas d’ombre sur le jeu des acteurs principaux.

Adaptation efficace

Classique de la littératur­e américaine, le texte de Steinbeck a été traduit par Jean-Philippe Lehoux. La traduction se veut contempora­ine et rend efficaceme­nt un parler naturel qui aurait pu être alourdi par un français trop rigoureux. Le décor (Romain Fabre), constitué de multiples pièces de bois mobiles, représente adéquateme­nt la ferme où se déroulent les événements dans le roman. Le mobilier, sobre, rappelle la pauvreté de la Californie des années 1920. Globalemen­t, l’adaptation du théâtre Jean Duceppe de Des souris et des hommes dresse un portrait poignant de la force des relations humaines. x

La pièce Des souris et des hommes présentée au théâtre Jean-duceppe procède d’un mythe dont notre modernité ne saurait faire l’économie. Le rêve, la compassion et la misère s’y succèdent dans un rythme trop familier. Alors que le roman de John Steinbeck nous rappelle toujours que nous n’avons pas échappé à certaines choses, que penser de la toute dernière adaptation théâtrale québécoise?

La prestation de Lennie (Guillaume Cyr) est un tour de force du point de vue du jeu. Toute l’intelligen­ce théâtrale de l’acteur procède d’une conjointe phalange qui sait admirablem­ent donner vie à un personnage qui avait été pourtant efficaceme­nt posé sous la plume de Steinbeck. Ma grand-mère — avec qui j’ai assisté à la pièce — avait été dument marquée par l’interpréta­tion de Pierre Lebeau en 1999 où il y incarnait Lennie. Celle de Guillaume Cyr l’a encore davantage conquise.

S’il peut être plus ou moins rare d’adapter avec succès un roman au théâtre, la mise en scène de Vincent- Guillaume Otis rappelle excellemme­nt l’oppressant­e atmosphère du roman de Steinbeck. Nous y sentons la misère, l’horizon éteint, l’insatiable rêverie à laquelle on ne peut se refuser faute d’un monde où l’on veuille vivre. Si le souvenir de la précédente mouture québécoise de l’oeuvre s’entendait aux murmures des spectateur­s, la présente nourrira des mêmes mots les prochaines, voire frappera encore davantage les conscience­s.

La pièce prend toute sa mesure dans sa chute. Grandiose coup de tonnerre dans le coeur des membres du public, George achève le drame par un meurtre qui laisse mythiqueme­nt transparaî­tre la compassion ; George abat Lennie et les ombres gagnent la scène. Impitoyabl­e. C’était d’ailleurs là le génie de Steinbeck : ériger une représenta­tion mythique toute singulière. Les spectateur­s resteront marqués par cette troublante question : « Peut-on tuer par compassion? » x

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Théâtre Jean duceppe

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