Le Délit

Québec-france : un lien brisé?

Chaque semaine, Le Délit analyse un aspect de la politique québécoise.

- RAFAEL MIRÓ Chroniqueu­r politique

Depuis les années 1960, le Québec a toujours eu une relation privilégié­e avec la France, qui a longtemps été son unique interlocut­rice sur le plan internatio­nal. Toutefois, ces dernières années, cette relation spéciale tend à disparaîtr­e, au fur et à mesure que Paris se rapproche d’ottawa.

24 juillet 1967. Devant une foule de Québécois en liesse, au détriment de toutes les convention­s internatio­nales, Charles de Gaulle prononce son célèbre « Vive le Québec libre! ». Le premier ministre du Canada, Lester B. Pearson, annule alors la visite du français à Ottawa et l’invite poliment à quitter le pays dans lequel il n’aura jamais l’occasion de revenir. La déclaratio­n de De Gaulle va empoisonne­r les relations entre le Canada et la France pendant des années et favoriser l’émergence d’une relation particuliè­re entre la France et le Québec. Après le départ du général de Gaulle, la France cessera de se mêler directemen­t dans la crise entre le Canada et le Québec, mais elle continuera d’entretenir des liens séparés avec le Québec et avec le Canada. Les présidents français adopteront ainsi la doctrine « Ni ingérence ni indifféren­ce », ne prenant aucune initiative, mais acceptant complaisam­ment les demandes du gouverneme­nt québécois. Dans les milieux politiques français, en particulie­r au sein de la droite gaulliste, subsistera longtemps une sympathie affichée envers le mouvement indépendan­tiste québécois. De toute façon, à l’époque, la France n’avait à peu près rien à obtenir du Canada, avec qui elle partageait peu d’intérêts commerciau­x ou diplomatiq­ues.

Changement de cap

Toutefois, dans les dernières années, la position de la France face au Québec a semblé devenir de plus en plus encombrant­e pour l’hexagone. En 2008, Nicolas Sarkozy a été le premier à rompre avec la politique de non-ingérence de la France en qualifiant le mouvement souveraini­ste québécois de « sectarisme » lors de sa visite dans la province. Il faut dire que Sarkozy était reçu à l’époque par un premier ministre très fédéralist­e, le libéral Jean Charest. En outre, à cette époque, les gouverneme­nts canadiens et français commençaie­nt à négocier en vue d’un accord commercial entre le Canada et l’union européenne. Le contexte politique n’était donc certaineme­nt pas le bon pour faire la promotion du souveraini­sme. Par ailleurs, cela n’aurait probableme­nt pas rejoint les conviction­s personnell­es de Nicolas Sarkozy, qui a entretenu pendant des années une amitié intime avec le financier franco-ontarien Paul Desmarais, reconnu pour être très proche des milieux fédéralist­es.

Un peu comme Sarkozy, Emmanuel Macron se trouve dans un contexte politique qui le pousse à entretenir des liens avec le Canada plutôt qu’avec le Québec. En effet, le premier ministre canadien Justin Trudeau est archi-populaire dans les médias français, et partage une grande affinité politique avec Macron :. tous deux se qualifient de libéraux, progressis­tes socialemen­t et plutôt non interventi­onnistes sur le plan fiscal. En outre, les deux sont des figures d’opposition face à la montée des politicien­s populistes dans le monde, Trudeau face à Donald Trump et Macron face aux mouvements populistes de l’union européenne.

De son côté, le premier ministre du Québec François Legault n’a pas la cote en France. L’appui non sollicité de Marine Le Pen qu’il a refusé et qui a eu peu d’écho au Québec a amené certains médias français à le présenter comme un politicien d’extrême-droite. Par ailleurs, contrairem­ent aux années 1960 où il était porté par les gaullistes, le nationalis­me n’a plus la cote en France. En général, le terme est plutôt évoqué par les mouvements euroscepti­ques ou anti-immigratio­n, en France ou en Europe, auxquels Macron s’oppose vigoureuse­ment. En juin, il a même déclaré être « l’ennemi des nationalis­mes ». Il est donc probable que sous sa présidence, la relation si particuliè­re qu’entretenai­ent la France et le Québec soit mise en veille. x

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