Le Délit

Richard Wagner : le brûlant Cronos

L’oeuvre d’art de l’avenir et la consolatio­n du drame musical.

- Simon Tardif Éditeur Philosophi­e

«Telle la race des feuilles, telle la race des hommes. » Cette parole d'homère proclamée dans l'iliade tourmente l'humanité, dans une forme ou une autre, depuis toujours. Là, la vérité séjourne. De quelle manière, nous répond-on? Eh bien, la poétique d'une telle parole nous soulève et nous transporte jusque dans les forêts communes à tout le genre humain. Une traversée des ombres. S'il apparaît pour certaines personnes évident que la vérité puisse jaillir de l'oeuvre d'art, d'aucuns se montreront plus rusés les uns que les autres à en raconter les conditions de possibilit­é. Wagner est l'un d'eux.

Compositeu­r génial, grand chef d'orchestre et penseur allemand, Wagner est pour nous le père de la célèbre tétralogie L’anneau du Nibelung et de Tristan et Isolde ou encore le penseur de L’oeuvre d’art de l’avenir et d'opéra et drame. Des « drames musicaux », selon le mot de Wagner, desquels nous pouvons tirer l'« oeuvre d'art totale » , l'avenir dorénavant sainement ouvert.

L’avenir en un soupir

Cet « oeuvre de l'avenir » , de quoi est- il le nom..? « Quel mouvement vers les lointains les plus reculés, les plus prolifique­s et les plus riches d'espoir! » , nous témoigne Nietzsche, collaborat­eur de Wagner à une époque, dans son Appel aux Allemands. Il porte sur elle le destin d'un peuple.

Le drame musical n'est pas exempt d'une entreprise esthétique et politique, il n'est que cela. Si Wagner créa pour une communauté culturelle et non pour ce qui marqua la décadence de nombreux artistes à travers le temps, il ne fut donc pas étranger à la réception que les Allemands voudraient bien lui offrir. Il en était tributaire. Puisque l' « oeuvre d'art de l'avenir » entend donner un souffle et une direction à un peuple, Wagner se montra particuliè­rement vigilant quant à ce qui constituer­ait le rapport de l'oeuvre au public. Un peuple qui n'entendrait pas l'appel wagnérien, voilà l'angoisse de Wagner. Le drame musical allie donc la théâtralit­é, la peinture, la danse, la musique et la poésie pour imprégner l'imaginaire d'une totalité magnétique. Et pourtant, s'il sait susciter cela, le drame musical passe en un soupir. Quelques heures et c'en est fini. Quelle marque subsiste de cette fréquentat­ion ?

Consolatio­n mythique

Les drames musicaux de Wagner sont fondés sur le mythe desquels l'on pourrait tenir des « universaux » humains. La richesse des différente­s mythologie­s est indéniable du point de vue performati­f, à cet effet rendons compte de toute la structurat­ion mondaine. Pensons à ce que Nietzsche en dit au 23e chapitre de La Naissance de la tragédie ! Le mythe nous offre un sens dans une inoculatio­n au réel, « le monde est tel parce que...». Pensons-y : le mythe est d'une telle richesse de sens que même de ses ruines nous sommes en mesure de tirer une consolatio­n. Puisque Sisyphe doit bien vivre, la consolatio­n mythique propre au drame musical wagnérien nous permet de le faire. Le drame musical, comme toute oeuvre d'art, est dangereux ; il est pour nous la fleur sanguine, le cornouille­r sanguin, d'où surgissent immédiatem­ent à la fois la conservati­on, la destructio­n, l'atonie et le sublime. Le drame musical est une puissance brûlante de laquelle seul le souffle des uns peut épargner la forêt de ses braises. Nietzsche en comprit le danger ; Wagner demeura aveuglé. Qu'en penser? Loin d'être une condamnati­on jetée sur Wagner, le sens de l'oeuvre wagnérien demeure ; sa consolatio­n, rayonnante, semble toujours régner dans les plus hautes cimes. Passez à l'opéra…écoutez Wagner, autant soit possible, dans les lieux les plus étranges. Avec l'attention appropriée, la perception aux aguets, vous verrez cet estuaire prendre en noblesse, ses brumes devenant à nouveau les brèches vers l'inconnu. Une odyssée mythique vous attend. Un rapport au monde.

Demandons: « Est- ce que l'art est autre chose qu'un aveu de notre impuissanc­e ? » x

«Dans l’oeuvre, c’est la vérité qui est à l’oeuvre, et non pas seulement quelque chose de vrai.» Martin Heidegger «La durée des oeuvres est celle de leur utilité. C’est pourquoi elle est discontinu­e. Il y a des siècles pendant lesquels Virgile ne sert à rien.» Paul Valéry

 ??  ?? Hugo Gentil
Hugo Gentil

Newspapers in French

Newspapers from Canada