Le Délit

Moi aussi je voulais l’emporter

Julie Delporte nous montre qu’auteur et dessinateu­r s’accordent aussi au féminin.

- Fanny devaux Contributr­ice

Julie Delporte a été nominée au prix ACBD de la bande dessinée québécoise 2018 pour Moi aussi je voulais l’emporter. Elle y écrit : « J’en ai un peu marre d’admirer les hommes je crois, je ne veux plus aimer (regarder en boucle) ce cercle de poètes dont je ne fais pas partie. » Avec ce roman graphique, elle ne se crée pas une place dans le cercle de poètes. Plutôt, elle ouvre un nouveau champ composé de couleurs pastel et d’écriture en attaché, unique, original. Sa nomination au prix ACBD en atteste : son style occupe désormais une place majeure dans le paysage de la bande dessinée québécoise.

Doux oxymore

« À quel âge ai-je commencé à me sentir flouée d’être une fille? ». La question est en suspens sur la première page du roman graphique, à côté d’un dessin de l’auteure enfant, baignant dans un ciel bleu et lumineux. Commence alors un doux voyage au fil des crayons de couleur. Un roman d’oxymores, qui trouve sa justesse dans le fil tendu entre mélancolie et violence. Sur un ton autobiogra­phique, l’auteure nous emmène avec elle sur les traces de Tove Jansson, bédéiste finlandais­e du 20ème siècle ayant connu un succès fulgurant avant de s’exiler sur une île avec sa compagne pour y peindre loin de la gloire. Entre identifica­tion au parcours de Tove Jansson et questionne­ments sur sa propre enfance, Julie Delporte articule les mots et les couleurs pour dénoncer la violence d’être une fille, à laquelle succède la violence d’être une femme.

Le masculin l’emporte

Le titre du roman graphique cristallis­e le sexisme de nos règles de grammaire. À l’intérieur du roman, elle dessine un tableau noir, sur lequel est écrit, en blanc et en attaché « Ça fait mal les règles de grammaire ». La dénonciati­on est d’autant plus forte que le sexisme inhérent à nos mots se traduit encore plus cruellemen­t dans nos univers graphiques. Le monde de la bande dessinée est dominé par des représenta­tions masculines du monde. Selon l’associatio­n des Critiques de Bande-dessinée, les hommes représente­nt presque 90% des auteur·e·s de bande dessinée. Dès lors, les femmes, lorsqu’elles sont faites personnage­s de bande dessinée, ont le choix entre être objectivée­s ou être invisibili­sées. Faire-valoirs d’un héros masculin, systématiq­uement sexualisée­s ou simplement absentes d’intrigues pensées par et pour des hommes.

Depuis 2013, Julie Delporte est membre du collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme. Plus de 250 dessinatri­ces unies pour témoigner sur leur expérience dans l’industrie de la bande-dessinée. Dans Moi aussi je voulais l’emporter, Julie Delporte se réappropri­e sa place en tant que femme dans la société, mais participe aussi à une lutte plus large contre le sexisme dans l’industrie de la bande dessinée.

Dans Moi aussi je voulais l’emporter, Julie Delporte s’accorde au féminin en se réappropri­ant la poésie des poètes et le dessin des dessinateu­rs. Elle est une poétesse, elle est une dessinatri­ce. x

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courtoisie des éditions pow wow

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