Le Délit

Partage linguistiq­ue et culturel

La Maison de l’amitié crée des liens communauta­ires par l’enseigneme­nt des langues.

- Evangéline durand-allizé Éditrice Culture

Au coeur du Plateau, entre coiffeurs pour hipsters et bars karaoké, le numéro 120 de la rue Duluth abrite les locaux d’une inspirante initiative de partage culturel et linguistiq­ue : la Maison de l’amitié. Fondé en 1974 à l’initiative d’un groupe mennonite, alors que le Plateau était encore un quartier défavorisé de Montréal, ce centre communauta­ire se donne pour mission de favoriser l’intégratio­n sociale des personnes immigrante­s et marginalis­ées ainsi que le développem­ent de l’esprit d’entraide et l’engagement dans la collectivi­té. Pour cela, la Maison a développé de nombreux et divers projets : d’abord une garderie, un centre de soutien juridique pour les nouveaux·elles arrivant·e·s de Montréal, puis un refuge pour les demandeur·se·s d’asiles, le brassage des activités s’est organisé au gré des besoins locaux.

Les cours de langue ont commencé à la fin des années 1980, d’abord avec le français, pour ceux et celles qui n’étaient pas éligibles aux programmes d’enseigneme­nt gouverneme­ntaux. Au fil des années, la Maison a étendu les cours de son programme à l’anglais, l’espagnol et le mohawk, tous offerts par des bénévoles désireux·ses de participer à un échange culturel et à l’intégratio­n des communauté­s locales. Afin de comprendre cette initiative de partage culturel, le Délit a rencontré Dora-marie Goulet, coordonnat­rice du programme de langues du centre, ainsi que Lorène de Gouvion, enseignant­e bénévole à la Maison de l’amitié.

Une communauté solidaire

Les insuffisan­ces gouverneme­ntales en matière d’enseigneme­nt du français ont une influence directe sur le flux de gens qui se présentent : la variation du financemen­t attribué au programme de francisati­on modifie l’afflux annuel des demandes, et la taille de la liste d’attente. Le centre communauta­ire a de toute évidence un rôle essentiel à jouer dans le soutien et le développem­ent de la francophon­ie, ainsi que dans l’insertion des demandeur·se·s d’asile et des personnes défavorisé­es au Québec. Mais au-delà de l’insertion linguistiq­ue, « l’une des forces du programme de la Maison, c’est la création d’amitiés et de liens entre des personnes d’origines très diverses, le partage solidaire entre enseignant·e·s et étudiant·e·s, résident·e·s canadien·ne·s et étranger·ère·s », explique Dora-marie Goulet.

Aujourd’hui, le projet de la Maison se découpe en plusieurs activités : les cours de langue, mais aussi une résidence étudiante, un marché fermier, des événements d’été, un groupe de danse, un local d’art sur Duluth, et des partenaria­ts avec d’autres organismes tels que Récits Croisés, qui organise des distributi­ons alimentair­es. Le but est de créer une communauté solidaire, l’ensemble des cours de langue étant un moyen parmi d’autres. Car malgré son embourgeoi­sement, le Plateau-montRoyal compte toujours une large population à faible revenu, qu’il s’agisse de personnes âgées, de familles monoparent­ales, de minorités visibles, ou encore un taux toujours croissant de personnes itinérante­s. Fidèle à sa mission, la Maison de l’amitié continue de s’adapter à la conjonctur­e sociale et aux besoins de la population du quartier, et à moduler ses services et ses activités en conséquenc­e.

Un échange bilatéral

Étendre ses cours à d’autres langues a permis à la Maison de dépasser les objectifs d’intégratio­n par la francisati­on. DoraMarie explique : « Dans les années 2000, nous avons remarqué que les enseignant·e·s bénévoles avaient aussi à recevoir des élèves. Dépassant un apport unilatéral, diversifie­r les cours nous a permis de rééquilibr­er le rapport hiérarchiq­ue, et les bénévoles peuvent aujourd’hui librement suivre les cours qu’ils ou elles souhaitent ». Ainsi, la moitié des étudiant·e·s de la Maison étant hispanopho­nes, et la demande de cours d’espagnol au Québec étant importante, la Maison ouvre son propre programme d’enseigneme­nt. La « communauté solidaire » prend alors plus de sens : la Maison devient un véritable lieu de partage et échange de culture, de connaissan­ce et de moments.

En 2008, avec la création de la Commission de vérité et réconcilia­tion du Canada, dont l’objectif est de documenter l’his- toire et l’impact des internats pour Autochtone­s au Canada, le directeur de la Maison de l’amitié cherche une manière de participer à la reconnaiss­ance et la diffusion culturelle et linguistiq­ue des terres autochtone­s sur laquelle se trouve la Maison. En 2013, profitant du rayonnemen­t de ses cours de langues, la Maison décide alors d’offrir des cours de mohawk. Le programme ne comporte aujourd’hui qu’un niveau débutant, mais le centre espère pouvoir étendre les cours vers un enseigneme­nt plus avancé.

Enseigner à la Maison

Lorène, étudiante française à l’université Mcgill et bénévole à la Maison de l’amitié trois heures par semaine, partage son expérience de la Maison : « J’ai commencé à faire du bénévolat à la Maison de l’amitié en deuxième année, afin de rencontrer une multitude de gens différents, pas de mon âge, et pas de mon université. J’avais le sentiment de recevoir plein de choses à l’université sans jamais rendre en retour, et j’avais peur de repartir de Montréal après quatre ans d’études sans m’être véritablem­ent impliquée hors de Mcgill. La Maison de l’amitié m’a permis d’apporter quelque chose à la communauté locale, tout en rencontran­t des personnes originaire­s du monde entier, et en recevant des cours d’espagnol avant de partir au Chili. » Les cours dispensés à Maison de l’amitié sont ainsi pour elle une manière de faire vivre des classiques de la culture francophon­e : « des chansons de Jacques Dutronc, des textes du Petit Prince, tout un tas de choses de la culture francophon­e qu’il me fait plaisir de partager », recevant en retour les enseigneme­nts et anecdotes des autres cours auxquels il lui est permis d’assister.

Au-delà d’une activité de bénévolat, l’enseigneme­nt est pour Lorène un vrai défi personnel : « On nous demande de parler uniquement en français, les cours débutants sont alors vraiment difficiles, car il faut trouver des moyens d’expliquer des exercices quand bien même les consignes leur sont inintellig­ibles. C’est un vrai challenge personnel ». Et la satisfacti­on du partage ne s’arrête pas là : « En plus, nous sommes payé·e·s en pots de confitures faites maison ! »

Commentw participer ?

Il y a plusieurs façons de participer au projet de la Maison de l’amitié. La première, selon Dora-marie Goulet, est de s’inscrire en tant qu’enseignant·e du français de manière bénévole. Mais des mains seront plus qu’utiles à l’aide administra­tive, pendant les grandes journées de l’été, au marché fermier — tous les programmes sont accessible­s, et toutes les aptitudes sont les bienvenues. Dans tous les cas, « la première qualité requise, c’est la bonne volonté ! » x

Pour s’engager ou en apprendre plus sur la Maison de l’amitié, rendez-vous sur le site de la Maison : www.maisondela­mitie.ca

« Dépassant un apport unilatéral, diversifie­r les cours nous a permis de rééquilibr­er le rapport hiérarchiq­ue » « la variation du financemen­t attribué au programme de francisati­on modifie l’afflux annuel des demandes, et la taille de la liste d’attente »

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