Le Délit

Manifesto, manifeste des manifestes

Julian Rosefeldt filme Cate Blanchett incarnant différents manifestes artistique­s.

- Hugo Roussel Contribute­ur Manifeste du parti communiste,

Le Musée d’art contempora­in (MAC) de Montréal consacre jusqu’au 20 janvier prochain une exposition à l’oeuvre Manifesto de l’artiste allemand Julian Rosefeldt, composée d’un prologue et de douze courts métrages. Au sein de ce chefd’oeuvre multimédia, l’actrice australien­ne Cate Blanchett joue plusieurs personnage­s récitant des extraits choisis de textes fondateurs du dadaïsme, du suprématis­me, du futurisme, ou encore de la performanc­e.

Révolution(s)

Les visiteurs sont accueillis par une vidéo d’une mèche incandesce­nte, derrière laquelle on entend la lecture d’un extrait du publié par Karl Marx et Friedrich Engels en 1848, affirmant « Tout ce qui est solide se dissout dans l’air ». L’oeuvre nous fait entrer de plain-pied dans l’origine révolution­naire du manifeste, voué à se placer en rupture avec le passé, pour être la première pierre d’un nouveau mouvement.

Pour illustrer cette pluralité des manifestes révolution­naires, Julian Rosefeldt a créé douze films uniques, représenta­nt chacun un courant. Entre un immeuble abandonné, un atelier de marionnett­es, une répétition de danse ou une salle de classe, Cate Blanchett se métamorpho­se, incarnant successive­ment une sans-domicile-fixe, une marionnett­iste, une chorégraph­e et une professeur­e, en intégrant le texte à son jeu d’actrice, qui change constammen­t.

Cate Blanchett, actrice multiple

Entre rupture et continuité, l’actrice australien­ne se meut à la perfection d’un personnage à l’autre. Rupture, car elle sait parfaiteme­nt adapter son jeu d’actrice à la situation, en forçant son accent pour diriger la performanc­e, en éructant le deuil que constitue le surréalism­e ou en récitant comme une prière de Thanksgivi­ng les textes du Pop art. Continuité, car au-delà de l’immuable Cate Blanchett, chacun de ces court-métrages offre un moment où l’actrice se met à réciter son texte en chantant, et ce de manière synchronis­ée avec tous les autres films. A cet instant, le spectateur est désarçonné, et prend conscience des autres court-métrages, des autres mouvements, comme si tous témoignaie­nt d’une seule et même transe, d’une seule et même histoire : l’histoire du manifeste.

La fin de l’histoire du manifeste?

Julian Rosefeldt ne signe donc pas uniquement un chefd’oeuvre audiovisue­l, mais également scénograph­ique. En effet, l’agencement des court-métrages est pensé de façon à ce que chacun puisse être visionné de façon individuel­le et indépendan­te, tout en offrant ce spectacle de « chant de manifestes ». Le tout fait prendre conscience au spectateur d’une réflexion sur l’histoire. Une histoire de ces mouvements qui veulent enterrer le passé, entre un Lucio Fontana qui constate avec le situationn­isme que « le vieux monde se meurt », un Manuel Maples Arce qui affirme par le stridentis­me que « le passé, nous le laissons derrière nous, comme une charogne », ou une Yvonne Rainer qui, dans No Manifesto, souhaite « purger le monde de l’art mort » à travers la performanc­e.

Paradoxale­ment, Manifesto nous montre la banalité du manifeste. En moins de deux siècles, il est presque devenu un genre littéraire à part entière, dont chaque nouvel exemple n’est rien d’autre qu’une émanation de son idée originale de renverseme­nt de l’ordre établi et de fondation d’un nouveau mouvement. Comment renverser l’art par un biais qui n’est déjà plus révolution­naire?

« Tout ce qui est solide se dissout dans l’air ». Le temps de la révolution contre le(s) manifeste(s) estil venu? x

Manifesto de Julian Rosefeldt Au MAC jusqu’au 20 janvier 2019

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Capture du film

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