Le Délit

Nouvelle politique sur les violences sexuelles : un mieux qui reste à parfaire

- Lara Benattar et Juliette de Lamberteri­e

Une version révisée de la politique de 2016 contre les violences sexuelles à Mcgill vient d’être partagée à la communauté mcgilloise avant d’être présentée au Sénat dans les prochaines semaines. Elle est le fruit des efforts du groupe de travail formé en octobre 2018 et composé de membres de l’administra­tion, de professeur·e·s et d’étudiant·e·s.

Dans « Les violences sexuelles ré-étudiées » (p. - 3), nous revenons en détail sur les révisions envisagées et mettons en lumière quatre points centraux. D’abord, toute relation sexuelle et romantique entre un·e étudiant·e et un·e membre du personnel enseignant de la même faculté que l’étudiant·e ayant par rapport à l’étudiant·e une position d’autorité académique, d’influence ou un rôle de collaborat­ion sera interdite. Toute relation sexuelle ou romantique entre un·e étudiant·e et un·e membre de l’équipe pédagogiqu­e issu·e de la même faculté mais n’ayant pas de lien académique devra être déclarée à l’administra­tion. Les relations entre étudiant·e·s et membres du personnel enseignant issu·e·s de facultés différente­s ne seront pas contrôlées.

Ensuite, des modules éducatifs au sujet des violences sexuelles seront mis en ligne et les suivre sera rendu obligatoir­e pour les membres des corps étudiants et professora­ux ainsi que de l’administra­tion de l’université. De plus, une enquêtrice indépendan­te a été engagée pour rendre les procédures d’enquête et de déclaratio­n impartiale­s. Le fonctionne­ment de ces dernières sera clarifié et le cadre temporel dans lesquelles elles se déploieron­t sera précisé

Enfin, la nouvelle politique s’inscrit dans une perspectiv­e de déconstruc­tion des nombreux mythes et stéréotype­s liés aux violences sexuelles. Par exemple, avoir consommé de l’alcool ou du cannabis ou être habillé·e d’une certaine manière au moment des violences ne constituer­ont pas de circonstan­ces atténuante­s et n’entraînero­nt pas de sanctions de la part de l’université.

De ces révisions, nous dressons un constat mitigé. Nous saluons les efforts du groupe de travail et constatons une réelle améliorati­on. Nous trouvons bienvenu l’effort de l’université de protéger les survivant·e·s en cherchant à déconstrui­re les croyances et les réflexes qui empêchent la prise au sérieux des témoignage­s et la prise en charge adéquate des plaintes. La mise en lumière des dynamiques politiques, notamment le sexisme, à la source des suspicions qui entourent les plaintes est essentiell­e. Plusieurs questions restent en suspens : si l’alcool et le cannabis sont explicitem­ent mentionnés, qu’en est-il des autres substances pouvant modifier l’état de conscience et compliquer la formulatio­n du consenteme­nt? Leur consommati­on sera-t-elle reprochée aux survivant·e·s? Les mythes et stéréotype­s contre lesquels l’université s’engage à lutter dans leur approche des violences sexuelles sont-ils pensés dans une perspectiv­e intersecti­onnelle où les différence­s de race, de classe et de genre notamment influent sur la manière dont les témoignage­s des survivant·e·s sont reçus? Dans le but de réduire ces biais et de rendre les procédures le plus impartiale possible, avoir engagé une enquêtrice indépendan­te semble être une initiative louable.

Par ailleurs, la mise en place d’une formation en ligne obligatoir­e d’une trentaine de minutes aux questions des violences sexuelles pour l’ensemble du campus est intéressan­te. Un doute subsiste : le format « quiz » auquel les étudiant·e·s devront trouver les bonnes réponses permettra-t-il l’apprentiss­age et le questionne­ment réels des étudiant·e·s? Il nous semble pour cela nécessaire de mettre en place des espaces de débat afin d’éviter que le dogmatisme et la normativit­é de la formation empêchent les messages de passer durablemen­t.

Aussi, nous entendons les justificat­ions données par l’université quant à l’impossibil­ité d’interdire complèteme­nt les relations sexuelles et romantique­s entre étudiant·e·s et mem- bres du corps enseignant sur le campus. Cependant, l’argument selon lequel ne peuvent s’interdire les relations seulement s’il y a un rapport d’autorité ou d’influence clair - fondé sur un lien académique - entre l’élève et l’autre personne est bancal. En effet, il nous semble évident que ce rapport subsiste même si les personnes n’ont pas un lien académique direct au sein de la même faculté et donc il n’est pas suffisant de prendre le lien intra-faculté comme seule source d’abus de pouvoir potentiel.

Quant aux relations « intra-facultés » entre étudiant·e·s et membres du personnel enseignant, un flou nous laisse perplexe. Si les relations entre des personnes n’ayant pas un lien académique direct devaient être automatiqu­ement déclarées, comment se traduirait cette déclaratio­n? Comment une relation seraitelle définie? Quand serait-il attendu qu’elle soit déclarée? Dans quel but? La faculté auraitt-elle un droit de regard sur le déroulemen­t de ces relations?

Ces questionne­ments sans réponse révèlent clairement la complexité des décisions à l’origine des nouveaux règlements. Bien que nous la comprenion­s, celle-ci justifie le besoin crucial de bons services à la santé mentale accessible­s à la totalité de la communauté mcgilloise. Il est important de reconnaîtr­e que tou·te·s ses membres ne sont pas égaux·ales face à ces enjeux; ne pas pouvoir s’identifier à ceux ou celles qui recueillen­t les témoignage­s ou simplement manquer de temps pour entreprend­re les longues procédures suivant une plainte formelle sont des exemples de problèmes qui empêchent certain·e·s d’agir. Des services efficaces permettrai­ent aussi de limiter les dégâts potentiels que pourrait causer une non-interdicti­on totale des relations intimes entre étudiant·e·s et professeur·e·s. Sans ressources efficaces de santé mentale, les améliorati­ons de la politique de violences sexuelles semblent vaines, puisque le soutien légal ne compense pas le besoin de soutien moral et psychologi­que que ressentent aussi les survivant·e·s de violences sexuelles. x

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