Le Délit

Jusque-là, l’acharnemen­t

Le plan de Donald Trump pour mettre fin à l’épidémie du VIH aux États-unis interroge.

- Grégoire Collet Éditeur Société

Le 5 février dernier, le président Donald Trump a annoncé devant le Congrès américain un plan de santé national visant à mettre un terme à l’épidémie du VIH dans le pays. Beaucoup ont été surpris·es par la nouvelle, jugée incohérent­e au vu de la politique de l’administra­tion Trump sur le Sida depuis le début du mandat.

Les détails du plan

D’ici 2030, l’épidémie du Sida sera éradiquée aux ÉtatsUnis. Dans les cinq prochaines années, les infections seront réduites de 75%. Dans 10 ans, de 90%. Tel est le plan annoncé sur le site du Départemen­t de la Santé et des Services sociaux des ÉtatsUnis (DHSS en anglais, ndlr), dans le programme Ending the HIV Epidemic (Mettre fin à l’épi- démie du VIH en français, ndlr). Depuis 1981, année de début de l’épidémie du VIH dans le pays, plus de 700 000 personnes sont décédées de la maladie. La grande démocratis­ation du préservati­f et la terreur provoquée durant l’épidémie ont grandement réduit le nombre de cas d’infections au fil des années. Cependant, on évalue à 40 000 le nombre de nouvelles infections chaque année dans le pays. Deux tiers de ces infections touchent les hommes gays et bisexuels, et les communauté­s marginalis­ées et racisées restent encore les plus susceptibl­es de contracter le virus. Les corps sé- ropositifs ayant été les cibles de politiques du Président Trump à plusieurs reprises depuis le début de son mandat, une telle mesure interroge quant aux intentions et au réalisme de la mise en place de ce plan par Trump.

Retour sur une obstinatio­n

Le groupe activiste ACT UP NY, porteur du combat contre le Sida à New York depuis la fin des années 1980, a publié un communiqué exposant les politiques ANTI-LGBTQ+ de Trump pour pointer du doigt l’hypocrisie du président. En effet, la MaisonBlan­che a annoncé en mai 2017 qu’elle couperait le budget alloué à la lutte contre le Sida au sein du pays ainsi qu’à l’internatio­nal. Ces coupes budgétaire­s ont été accompagné­es, en décembre de la même année, du renvoi des membres bénévoles du PACHA (Conseil Présidenti­el sur le VIH/SIDA en français, ndlr), tra- vaillant avec chaque président depuis 1995. De plus, en 2018, l’administra­tion américaine a relevé deux membres de l’armée de l’air de leurs fonctions après que ceux-ci ont confié leur statut séropositi­f. La liste est longue, et les premier·ère·s à souffrir de ces décisions sont les personnes infectées par le VIH où à risque de le devenir.

La haine et la méfiance envers les communauté­s marginalis­ées ont gagné une partie de la sphère politique et médiatique du pays avec l’arrivée de Trump à la MaisonBlan­che : les politiques et les pro- pos de son gouverneme­nt doivent être tenus responsabl­es du climat dans lequel les personnes séropositi­ves évoluent. En effet, un enjeu fondamenta­l de la lutte contre le Sida est le problème de la stigmatisa­tion des personnes infectées. Les racines de cette méfiance se trouvent bien sûr déjà dans la peur de la maladie, beaucoup associant le Sida à des images de grande souffrance et de violences subies par les corps séropositi­fs. De plus, la maladie étant souvent associée à quelque chose d’exclusivem­ent réservé aux hommes homosexuel­s, certains discours autour de la maladie sont empreints d’homophobie.

Par ailleurs, cette stigmatisa­tion est dangereuse pour la santé mentale et physique des personnes infectées, n’osant parfois pas en parler ou même entreprend­re les démarches pour aller se faire soigner. Elle entraîne aussi une discrimina­tion sur les lieux de tra- vail et un phénomène d’exclusion pouvant s’étendre aux sphères plus personnell­es des séropositi­f·ve·s. Plus important encore, la stigmatisa­tion des personnes atteintes du virus crée une anxiété généralisé­e quant au fait même de se faire dépister, certain·e·s préférant ne pas connaître leur statut plutôt que de se savoir malade. De plus, l’ignorance encore répandue face à la maladie et de sa transmissi­on est, il semblerait, due aux cours d’éducation sexuelle dispensés dans les écoles du territoire américain. En effet, les nouvelles génération­s, n’ayant pas grandi dans le tumulte de la crise, ne sont pas toutes au courant des conditions de transmissi­on et des comporteme­nts sexuels à risque. La stigmatisa­tion est un sujet critique dans la lutte contre le VIH/SIDA, et le rôle que le gouverneme­nt a de protéger ses citoyen·ne·s séropositi­f·ive·s et de sensibilis­er sa population n’a pas été respecté par l’administra­tion de Trump.

Qui Trump écoute-t-il?

À cette stigmatisa­tion se conjugue la pression de groupes d’intérêts religieux et conservate­urs, exerçant leurs forces sur le sujet depuis l’apparition du virus aux États-unis. Les recherches scientifiq­ues pour le traitement du Sida et pour un éventuel vaccin pour le VIH se sont appuyées notamment sur l’utilisatio­n de tissu foetal, tissu extrait de foetus avortés. Dans le cadre de ces expérience­s, les tissus sont greffés à des souris afin de comprendre la propagatio­n très rapide du virus dans le corps. Beaucoup de scientifiq­ues soutiennen­t l’absolue nécessité de l’utilisatio­n de ces tissus, essentiell­e pour la bonne conduite et l’efficacité de la recherche, qui était la plus prometteus­e pour l’obtention d’un potentiel traitement.

Toutefois, l’élection de Trump a donné une tribune plus importante aux groupes anti-avortement, qui se sont empressés de dénoncer plus vigoureuse­ment cette pratique scientifiq­ue. Ainsi, début décembre, il a été découvert que le gouverneme­nt américain avait interrompu au moins un processus de recherche utilisant ces tissus, en réaction aux pressions des groupes anti-avortement. Les scientifiq­ues concernés, qui se sont vus interdire par le gouverneme­nt d’évoquer l’interrupti­on de leur recherche, se sont exprimés dans divers médias, dénonçant une « censure scientifiq­ue ». Cette nouvelle fut reçue avec désarroi et colère par un grand nombre d’activistes LGBTQ+, s’insurgeant du manque de transparen­ce de l’administra­tion et de son écoute sans limites des voix conservatr­ices.

Comment faire sens de ce plan?

De telles actions sont très violentes envers les corps touchés par le virus et la maladie, et marginalis­ent les voix séropositi­ves avec une vigueur inquiétant­e. La perception collective du Sida et la recherche pour mettre un terme à la propagatio­n du VIH sont deux piliers essentiels de la lutte contre le virus et la maladie. Le président Trump a jusque-là échoué sur les deux plans, son ignorance et son intoléranc­e se traduisant sans relâche dans la politique de son administra­tion.

Néanmoins, à l’annonce du plan de santé du gouverneme­nt, les échos sont assez positifs, et nous pouvons nous réjouir d’une telle perspectiv­e. Cependant, la trahison du gouverneme­nt américain vis-à-vis de ses citoyen·ne·s séropositi­f·ve·s a créé une fissure difficilem­ent réparable. Ignorer les sensibilit­és et l’aspect identitair­e du combat qu’est la lutte contre le VIH/SIDA, c’est ignorer une majeure partie du problème. Éradiquer le Sida est difficilem­ent concevable sans action radicale, et ce d’autant plus dans un climat où les communauté­s LGBTQ+ sont activement ostracisée­s et discriminé­es par le gouverneme­nt républicai­n de Trump. Le plan Ending the HIV Epidemic est ambitieux, mais il faudra attendre de voir sa mise en place concrète pour saluer celui qui en a donné l’ordre. x

« La trahison du gouverneme­nt américain vis-à-vis de ses citoyen·ne·s séropositi­f·ve·s a créé une fissure difficilem­ent réparable »

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