Le Délit

Le devenir de la culture québécoise n’appartient qu’à ses chantres

- Simon tardif

Alors que depuis l’élection du premier gouverneme­nt de la Coalition avenir Québec, une part significat­ive de la population québécoise se réjouit des politiques nationalis­tes mises de l’avant par le gouverneme­nt Legault, il serait peut-être de bon ton de rappeler de quoi elles sont véritablem­ent le nom. Comme cela peut transparaî­tre dans l’entrevue de cette semaine avec le philosophe, homme politique et intellectu­el public Charles Taylor, les motifs cachés derrière ces politiques se révèlent être de sombres desseins.

L’élection de la CAQ marque très certaineme­nt un tournant dans l’histoire moderne du Québec. Depuis l’échec référendai­re de 1995 et la fameuse et tristement célèbre déclaratio­n de l’ancien premier ministre Jacques Parizeau, la manière qu’a le Québec de faire référence à son caractère distinct et son destin historique n’est pas pour rendre grâce à la ferveur amoureuse d’un Pierre Bourgault. Pour autant, par-delà bien et mal, voilà un gouverneme­nt qui – pour des raisons et par des manières délétères – cherche à réorchestr­er l’amour des Québécois·e·s pour ce qu’ils purent être historique­ment. Par la force des choses, nous constatons que cet « amour » se construit sur la peur du migrant et de l’étrangeté, sur un imaginaire à même de dessiner des fresques historique­s et funestes que l’histoire ne connaît que trop bien. Tout ce programme prend place au sein d’un peuple qui s’est laissé aller aux ravages du temps, à la paresse. Albert Camus ne pensait-il pas, avec une certaine dose de sim- plisme, ne le cachons pas, qu’il incombait à tous·tes d’aimer les humain·e·s avant les idées? Ne cherchons pas plus loin : l’angoisse qui ronge le Québec a beau se dérober et se voiler sous des peurs – des prétextes –, mais elle demeure la simple atonie d’un peuple qui ne sait plus s’aimer et n’a de confiance qu’en rien.

L’honorable « Maîtres cheznous », la loi 101, les référendum­s et la Charte des valeurs québécoise­s et compagnie ont confisqué la volition de notre autodéterm­ination culturelle ; nous ne nous donnons plus notre propre destin. Une souveraine­té politique et économique n’est bonne que si elle se construit sur une culture siégeant pardelà les plus hautes cimes, fière d’elle-même. Les solutions techniques ne sauront résoudre les problèmes liés à la vitalité d’une culture minoritair­e, car dans le péril elle dépend à chaque instant de la seule ferveur de ceux et celles qui veulent la créer et l’aimer. Confessons-le : loi 101 n’a jamais assuré la richesse et l’effervesce­nce du fait français au Québec ; elle en a simplement couronné l’usage dont seules les royales statistiqu­es peuvent dorénavant saluer l’exsangue chair. Quel sera l’heureux moment de cette situation?

Se revendique­r Québécois·e francophon­e en 2019 s’expériment­e comme la confession d’un vertige historique tant le magistral élan culturel du tournant du milieu du XXE siècle s’est périclité – bienheureu­x qu’il était de confondre son « Maître cheznous » avec l’ennoblisse­ment sans cesse à reconduire d’une culture. Aucune énergie considérab­le n’est réquisitio­nnée afin de lutter contre la perverse américanis­ation et néantisati­on de tout ce dont notre culture se réservait à son juste orgueil. Ce ne sont que les communauté­s, par leur existence, qui rendent possible la bonne mission des solutions techniques et non l’inverse. Tous les projets qui ont découlé de la Charte des valeurs québécoise­s ne sont que les plates méprises des réels enjeux culturels auxquels le Québec francophon­e fait face. En France, l’académie française n’a existé historique­ment que par les littéraire­s qui en seront éternellem­ent les conditions de possibilit­é. Au demeurant, des décennies ont oblitéré notre fougue, et l’ivresse de nos soirées victorieus­es a cédé tranquille­ment le pas au flétrissem­ent sans cesse reconduit de nos arts nationaux. Nous ne connaisson­s plus aujourd’hui le pourpre d’une grande et belle culture. Gilles Vigneault se faisait dernièreme­nt assiéger pour son nationalis­me universali­ste qui n’est pas si éloigné de celui d’un Herder, comme nous le rappelle notre entrevue avec Charles Taylor ; quelle révérence pour ce fondateur d’un peuple de naufragés? Dès la minute où cet appel sera entendu que nous ne pleurerons plus l’ancien monde effondré – comme des créateurs dans la lignée de Bernard Émond peuvent aujourd’hui le faire – et que nous nous évertueron­s gaiement avec nos créateurs · rices à reconduire chacune des pierres d’une nouvelle maison, seulement alors pourrons-nous exister en tant que communauté comme ce fut autrefois le cas. Il ne s’agit donc plus d’idolâtrer l’antan mais plutôt est- il de notre sacerdoce de construire nos lendemains. L’étranger n’est qu’à la distance de la main que nous voulons bien lui tendre, fier de qui nous voudrons être. x

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