Le Délit

Blocage et désinvesti­ssement

Divest Mcgill a bloqué le 18 février l’accès au bâtiment de l’administra­tion James.

- Hadrien brachet Éditeur Actualités

«L’administra­tion James est fermée pour la journée jusqu’au désinvesti­ssement des énergies fossiles » pouvait-on lire en anglais sur une pancarte collée sur la porte du bâtiment de l’administra­tion de l’université Mcgill ce mardi 18 février. Le groupe Divest Mcgill, qui milite pour le désinvesti­ssement des énergies fossiles, a bloqué l’accès au bâtiment pendant huit heures afin de demander à Mcgill le « désinvesti­ssement immédiat » des entreprise­s TC Énergie et Teck Resources. Le Délit se penche sur ce blocage et fait le point sur les actions menées par Divest.

En solidarité avec Wet’suwet’en

TC Énergie est l’entreprise derrière le projet de pipeline Coastal Gaslink dont le tracé prévoit de traverser le territoire revendiqué par la Première Nation Wet’suwet’en, provoquant de vives opposition­s. TC Énergie « a amené la Gendarmeri­e Royale du Canada [GRC, ndlr] sur le territoire Wet’suwet’en pour arrêter violemment et expulser des protecteur­s de la terre, qui ne font que vivre ici et défendre leur terre » explique Laura Mackey, membre de Divest Mcgill interrogée par Le Délit. « Nous croyons que notre université ne devrait pas investir dans une entreprise qui est violente envers les peuples autochtone­s » résume-telle. Selon un document public du Service des Placements de Mcgill, la valeur des actions de TC Énergie détenues par l’université s’élevait à 5 847 271$ au 31 décembre 2019.

Ce blocage a lieu alors que se sont multipliée­s depuis le début du mois à travers le pays les actions en solidarité avec Wet’suwet’en, dont notamment des blocages de voies ferrées. Divest Mcgill avait déjà affiché son soutien à la Première Nation lors d’un rassemblem­ent sur le campus le 16 février. « Lorsque nous avons mené le blocage, nous étions conscients du fait que les actions disciplina­ires auxquelles nous aurions pu faire face ne sont rien par rapport à ce à quoi les protecteur­s de la terre en Colombie-britanniqu­e ou aussi les gens qui bloquent des voies ferrées à travers le pays doivent faire face. […] Mais nous voulions intentionn­ellement utiliser notre espace en tant que campagne de désinvesti­ssement pour élever ce message d’une manière où nous étions capables de le faire » souligne Laura.

Le blocage demandait également le désinvesti­ssement de Teck

Resources, entreprise qui menait jusqu’à ce dimanche 23 février le projet de mine Frontier en Alberta. Pour Laura, ce projet minier de sables bitumineux « étendrait l’économie carbonée du Canada au moins jusqu’en 2067, date à laquelle le pétrole cesserait d’être extrait de la mine. Nous ne croyons pas que notre université doive investir dans une entreprise qui s’oppose si directemen­t à ce que tous les scientifiq­ues disent qu’il faut faire avec notre économie et sa dépendance aux énergies fossiles ».

« Comme le portfolio de Mcgill est intentionn­ellement non transparen­t, nous pouvons seulement voir une partie de ce dans quoi Mcgill investit. La partie que nous pouvons voir ne dit pas que Mcgill investit dans Teck Resources. Cependant, ils pourraient avoir investi dans Teck Resources, c’est peut-être dans la partie de leur portfolio qui nous est cachée. Nous demandons donc une déclaratio­n de non-investisse­ment dans Teck Resources, disant qu’ils n’investisse­nt pas actuelleme­nt dans Teck Resources et qu’ils n’investiron­t jamais dans Teck Resources. Ou, s’ils peuvent dire qu’ils investisse­nt actuelleme­nt dans Teck Resources, nous voulons qu’ils désinvesti­ssent » précise-t-elle. Vendredi le 21 février, 42 prix Nobel publiaient une lettre dans The Guardian pour demander à Justin Trudeau l’arrêt du projet Frontier et la fin de l’expansion du secteur des énergies fossiles. Ce dimanche dans une lettre adressée au ministre fédéral de l’environnem­ent, Jonathan Wilkinson, l’entreprise annonçait renoncer au projet.

Au cours de cette action cependant, Divest ne perdait pas de vue son objectif final. Le blocage avait aussi pour but de demander à nouveau le désinvesti­ssement total des 200 plus grandes compagnies d’énergies fossiles et réclamait, selon leur communiqué de presse, une déclaratio­n de Mcgill « reconnaiss­ant les graves torts sociaux causés par l’industrie des énergies fossiles ».

Réaction de Mcgill

Contactée par Le Délit, l’administra­tion de l’université Mcgill a réagi à travers un communiqué transmis aux médias reconnaiss­ant « le droit de ses étudiants à manifester pacifiquem­ent sur le campus », ajoutant que « l’université a également la responsabi­lité de protéger les droits des étudiants, des professeur­s et du personnel à mener leurs travaux sans menacer la sécurité des personnes ou des biens. Conforméme­nt à la recommanda­tion du Comité consultati­f sur les questions de responsabi­lité sociale (CAMSR) en décembre dernier, l’université prévoit de réduire l’empreinte carbone de ses placements, y compris ceux dans l’industrie des combustibl­es fossiles ». Le blocage de Divest a perturbé une réunion du CAMSR. Le comité avait recommandé à Mcgill en décembre dernier la réduction de l’empreinte carbone de ses placements tout en se positionna­nt contre le désinvesti­ssement total. Pour Laura, il n’y a pas de doute, il s’agissait là de « greenwashi­ng fortement masqué ».

Divest

Si le blocage a eu une forte résonance symbolique, Divest est loin d’en être à sa première action. La campagne pour le désinvesti­ssement des énergies fossiles débutait en 2012. Robin Reid-fraser, alors vice-président externe de l’associatio­n étudiante de l’université Mcgill (AÉUM) lançait un projet de recherche, d’abord dénommé Decorporat­ize Mcgill, aux côtés de Christophe­r Bangs et David Summerhays. Le 1er février 2013, le groupe soumettait une première pétition au CAMSR pour demander le désinvesti­ssement, signée par 1200 membres de la communauté mcgilloise. Le 23 mai, première déception pour le groupe : le CASMR rejetait la demande, invoquant un « manque de preuves du préjudice social [des activités des compagnies d’énergies fossiles] ». En 2015, deuxième tentative. Cette fois, Divest s’appuyait sur un document de recherche de 150 pages et une pétition récoltant 1300 signatures. Le vent semblait cette fois avoir tourné en la faveur du groupe, récompensé à la cérémonie des Catalyst Awards organisés par le Mcgill Office of Sustainabi­lity. Mais ceci n’empêchait pourtant pas CAMSR de rejeter à nouveau le désinvesti­ssement en 2016.

Le combat ne s’arrêtait cependant pas là pour Divest : le 12 septembre 2018, le Sénat de Mcgill adoptait une motion déclarant que « le Sénat, à travers le principal, conseille au Conseil des gouverneur­s de désinvesti­r les dotations dans toutes les entreprise­s dont le premier commerce est l’extraction, la distributi­on et/ ou la vente d’énergies fossiles ». Le CAMSR a alors de nouveau été mandaté par le Conseil des gouverneur­s pour examiner la question. Entre temps, L’AÉUM adoptait en octobre 2019 un moratoire bloquant tout nouveau frais institutio­nnel obligatoir­e jusqu’à ce que Mcgill retire les actions de son fonds de dotation des 200 plus importante­s compagnies d’énergies fossiles. Ceci quelques semaines avant le nouveau refus du CAMSR, préférant recommande­r la réduction de l’empreinte carbone des placements plutôt que le désinvesti­ssement total. « Bien sûr, nous n’avons pas atteint notre objectif de désinvesti­ssement total » reconnaiss­ait Laura, « cependant, nous avons changé leur [celle du Conseil des gouverneur­s, ndlr] discussion sur le sujet. Le Conseil des gouverneur­s pensait, en particulie­r en 2016, qu’ils pourraient rejeter le désinvesti­ssement des énergies fossiles et en avoir terminé avec cet enjeu. Ils n’attendaien­t pas que nous revenions aussi fort et aussi ardemment. Et à cause de cela, ils ont sorti leur plan pour décarbonis­er leurs dotations. […] C’est tellement en dessous de ce qu’il faut faire mais […] c’est probableme­nt quelque chose qui ne se serait pas produit si nous n’avions pas demandé le désinvesti­ssement ».

Et maintenant ?

Depuis décembre, la lutte pour le désinvesti­ssement est loin de s’essoufler. Au lendemain des recommanda­tions du CAMSR, Divest publiait une vidéo parodique intitulée « Paid by Mcgill ». De plus, Divest Mcgill s’inscrit aujourd’hui dans un mouvement internatio­nal de désinvesti­ssement. « Durant le mois dernier, nous avons renouvelé notre réseau et nos relations avec les autres groupes » explique Zahur Ashrafuzza­man, lui aussi membre de Divest Mcgill. Preuve que la mobilisati­on ne se cantonne pas à Mcgill, en novembre 2019, la Fondation de l’université Concordia s’engageait à cesser d’investir dans le secteur du charbon, du pétrole et du gaz d’ici les cinq prochaines années. D’ici avril, le CAMSR soumettra au Conseil des gouverneur­s un plan d’applicatio­n de la politique de décarbonis­ation. Dans une interview accordée au Délit après sa démission, cependant, le professeur Mikkelson déclarait : « je ne serais pas surpris qu’en nous apportant plus de détails comme promis, en avril prochain, ils changent finalement d’avis ». ⊘

« Si le blocage a eu une forte résonnance symbolique, Divest est loin d’en être à sa première action »

Le 16 mars 1999, Le Délit français publiait dans ses pages un article intitulé « Commerce équitable et cafétérias à Mcgill ». Bien que parlant surtout de la nécessité d’établir « un commerce direct entre des paysans du sud réunis en coopérativ­e et une organisati­on certifiée équitable au nord qui se charge de redistribu­er le café » , il s’agit là de l’article le plus ancien disponible en ligne traitant, bien que timidement, d’environnem­ent. Frédéric Dupont écrivait alors : « pourquoi ne pas discuter sérieuseme­nt de la possibilit­é de passer à une vaisselle lavable et réutilisab­le dans toutes les cafétérias? »

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