Le Délit

Le climat, les jeunes et Bernie

Le Sunrise Movement place son espoir de Green New Deal dans le sénateur.

- Grégoire collet Rédacteur en chef

En juin 2017, Donald Trump annonçait le retrait des États-unis de l’accord de Paris sur le climat, et donnait la couleur d’une présidence agressive et propagandi­ste sur la question climatique. Les industries polluantes prospèrent dans un pays qui jouit d’une position dominante dans l’économie mondiale et, conséquemm­ent, se hisse au deuxième rang des pays émettant la plus grande quantité de CO2 (5.4 milliards de tonnes en 2018). Les élections présidenti­elles de 2020 pourraient marquer un tournant dans l’approche du pays face à l’urgence. C’est face à l’inaction du gouverneme­nt et une complicité redoutable avec les lobbys des industries de l’énergie fossile que des mouvements activistes de jeunes ont gagné en ampleur, dont le Sunrise Movement qui s’est emparé de l’espace politique dans le but de provoquer un retourneme­nt sociétal et économique. Alors que les primaires démocrates traversent les états américains, le choix du candidat du parti qui fera face à Trump est crucial quant à l’avenir de la crise climatique.

Mouvement en expansion

Le Sunrise Movement se présente comme une « armée de jeunes souhaitant faire du changement climatique une priorité urgente à travers les États-unis », partant de constats de corruption au sein de la politique américaine, permettant aux industries fossiles de produire, extraire et exploiter en toute impunité. Sunrise s’engage dans une « décennie d’activisme » inscrite dans une chronologi­e. En 2017, le mouvement était lancé. En 2018, ses membres souhaitaie­nt faire du climat un sujet dans les élections de mi-mandat et ont par la suite organisé un sit-in dans le bureau de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représenta­nts, duquel iels obtiendron­t la mise en place d’un comité pour un Green New Deal. En 2019, le but était de continuer à faire grimper la tension pour qu’en 2020 un candidat prêt à agir concrèteme­nt occupe la Maison Blanche. Ce sont donc d’outils de politique habituelle (ou électorale) que se saisit le mouvement en frappant directemen­t dans les sphères décisionne­lles de Washington.

Sunrise insiste sur la nécessité de la mise en place d’un Green New Deal, un plan apportant des réponses à la crise qui sont à la hauteur de l’urgence indiquée par la communauté scientifiq­ue. Le plan a été avancé au Congrès par le sénateur démocrate Ed Markey et la représenta­nte Alexandria Ocasio-cortez. Et de son côté, le mouvement a mené une campagne pour recueillir le plus de signataire­s au sein de la Chambre des représenta­nts afin de constituer le comité. Chez les républicai­ns le Deal est vu sans grande surprise comme une illusion socialiste irréalisab­le sur le plan économique, mais a pour autant été soutenu par une grande partie des démocrates. Biden, Buttigieg, Sanders, Warren, Klobuchar, tou·te·s candidat·e·s aux primaires, ont signifié leur appui et ont fait du Green New Deal un point majeur de leurs programmes. Les demandes du plan sont aussi ancrées dans une approche de la crise qui est celle de la justice climatique, plaçant les communauté­s historique­ment oppressées au coeur des considérat­ions. Dans cet esprit, c’est au sénateur Bernie Sanders que le mouvement a apporté son soutien.

L’espoir Sanders

Sunrise se veut un mouvement révolution­naire et voit en Sanders une possibilit­é de changement radical, solidarisa­nt les voix activistes dans des politiques transforma­trices. Le candidat propose un investisse­ment massif de 16.3 trillions de dollars américains pour faire du Green New Deal une réalité, montant plus important que chez n’importe quel autre candidat·e aux primaires. Sanders annonce aussi que, d’ici 2030, les secteurs énergétiqu­es et ceux du transport seraient tous deux neutres en carbone, alors qu’en général la cible est mise à 2050. Sa campagne annonce mettre une fin à l’énergie nucléaire (responsabl­e de plus de la moitié des émissions de CO2 du secteur énergétiqu­e), à la fracturati­on hydrauliqu­e et à l’extraction des gaz naturels. En formulant ce plan radical mais nécessaire, le candidat fait hausser les sourcils de certain·e·s démocrates, mais remporte pour l’instant du succès à travers le pays.

La politique américaine est traditionn­ellement réfractair­e aux changement­s pouvant s’apparenter à des politiques socialiste­s, laissant sceptique quant à la possibilit­é d’une reconfigur­ation de l’économie américaine appuyée par le Sénat. Bernie Sanders est conscient des entraves permises par les forces de lobbying mais aussi par la technique du filibuster, une obstructio­n parlementa­ire permise par le fait que tout·e sénateur·rice, au moment de voter un projet de loi, peut prendre la parole pour un temps illimité jusqu’à ce que le projet soit abandonné. Comment, avec cette menace planante, l’administra­tion Sanders serait-elle capable de faire voter le Green New Deal ou bien le Medicare-for-all?

Pour le sénateur du Vermont, et une majorité des démocrates, le processus parlementa­ire doit être débarrassé du filibuster et les responsabl­es des industries polluantes doivent être puni·e·s pour leurs exactions, demandant que la Maison Blanche soit ferme et brise l’impunité.

2020, et si?

Avec plus de 300 chapitres à travers le territoire américain, le Sunrise Movement a choisi d’unifier les jeunes dans ce sentiment de peur et de désillusio­n, d’unifier celles·ceux qui savent que les choses doivent immédiatem­ent changer car leurs futurs en dépend, « la défaite du Président Trump en 2020 est une nécessité absolue ». Alors que certains mouvements décident de se désolidari­ser de la politique électorale, Sunrise dit que la révolution devra être politique et que l’ordre établi peut être bouleversé si les bonnes personnes sont au pouvoir. Selon un sondage de décembre 2019 de la United States Conference of Mayors (Conférence des maires des ÉtatsUnis, ndlr), 80% des votants entre 18 et 29 ans considèren­t le réchauffem­ent climatique comme étant une menace majeure pour la vie humaine. Celles·ceux qui n’avaient pas pu voter en 2016 auront cette fois accès aux urnes et pourront faire entendre leur peur. L’activisme environnem­ental est un moteur incontesta­ble du discours autour de la justice climatique et cette alliance avec Sanders permet de croire à une puissance économique et politique qui se responsabi­lise, prend en compte les voix plus radicales, mais surtout plus jeunes, et travaille activement pour un Green New Deal. ⊘

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Grégoire collet

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