Le Délit

Quand le vert est décidé par le blanc

Relever la fracture coloniale dans la crise écologique mondiale.

- Hamza bensouda Contribute­ur

Àmille lieues d’écrire, à mille lieues de m’exprimer encore, je me trouvais hier. Pourtant, depuis quelques heures, les mots de certains de mes confrères s’entrecrois­ent et bruissent dans mes pensées de plus en plus fort, cacophonie silencieus­e qui donne subitement lieu à ma main portant la plume et rédigeant ce nouvel article pendant mon cours d’environnem­ent.

Une erreur de conception

On pourrait croire que l’écologie et l’environnem­ent sont au centre des préoccupat­ions de tous·tes les étudiant·e·s de l’université au regard de l’implicatio­n de chacun·e lors d’événements comme la marche pour le climat ou dans des initiative­s prises par Mcgill ( bien qu’encore à développer) en matière de recyclage et de respect de cette fameuse « nature », mot encore d’abord largement débattu du fait de sa vacuité. Pourtant, dans les cours d’environnem­ent, de développem­ent internatio­nal et de science politique surgissent dans les remarques de l’assemblée étudiante des conception­s étranges et critiquabl­es du développem­ent durable et des luttes environnem­entales. J’entendais il y a une semaine ces phrases : « Les pays africains polluent aussi en faisant leur extraction de ressources et de minerais », et « Je trouve que c’est beau de voir que l’écologie peut faire oublier le politique », car « ce n’est pas une affaire de politique, mais de survie ».

L’idée d’une transgress­ion des luttes politiques par le besoin d’assurer la survie n’est pas étrangère aux discours que l’on entend à la télévision ou dans de nombreux médias. Pourtant, je crois que l’écologie est aussi profondéme­nt politique. Au-delà des implicatio­ns de la deuxième remarque énoncée plus haut, il est facile de souligner l’extrême fragilité conceptuel­le de la première : de quelle pollution parle-t-on? Dans quelle propension? Comparée à quoi? Et il est tout aussi rapide de rappeler que ce n’est pas une affaire de « pointage de doigts » de l’un à l’autre.

Toutefois, ces affirmatio­ns ont toutes deux réveillé en moi le besoin de rappeler que l’écologie a, tout d’abord, un récit colonial très fort et que, deuxièmeme­nt, ce récit explique, en partie, la haute teneur politique de la question écologique ou environnem­entale.

Le capitalism­e : un récit colonial

La crise écologique à laquelle fait face le monde est souvent attribuée à l’idée d’extraction de ressources qu’enfante le modèle capitalist­e. Si l’on s’intéresse de près à l’afrique dans ce cas-là, les liens entre colonialis­me et destructio­n de la Terre se resserrent déjà. Le colonialis­me s’est, en effet, fortement appuyé sur la doctrine d’extraction des richesses du sol et d’exploitati­on de l’homme (traite négrière) et, en conséquenc­e, a mené à l’appauvriss­ement des pays africains ainsi qu’à leur dérégulati­on comme le prouve l’affaire tristement célèbre du cuivre en Zambie. Cette surextract­ion, selon Noah Diffenbaug­h, mène les pays riches à s’enrichir davantage alors que les pays pauvres s’appauvriss­ent tout autant. De plus, il serait rapide d’identifier les principaux investisse­urs du cobalt, zinc, cuivre et autres minerais en Afrique pour alors souligner le fort lien colonial et la direction prise par les profits de ces marchés hautement polluants et pointés du doigt par les activistes. Sans surprise, on retrouve des puissances coloniales comme la France ou le Royaume-uni.

D’autres exemples illuminent les fondations coloniales de l’urgence écologique. Pensons par exemple aux conquêtes de l’amérique qui ont décimé des espèces et les ont remplacées par d’autres d’europe, aux colons qui ont décimé les dodos de l’île Maurice en important des rats, ou encore, plus récemment, au chlordécon­e responsabl­e d’une crise sanitaire aux Antilles et dont les ordonnateu­rs sont directemen­t liés aux esclavagis­tes d’un temps. Autant d’exemples devraient peut-être permettre à chacun·e de remettre en perspectiv­e le rôle et l’influence de la colonisati­on ( la mine Potosí des colons espagnols détruisant les structures sociales amérindien­nes), du racisme (Cancer Alley qui a, intentionn­ellement, touché les population­s afro- américaine­s) et des schémas de domination ( la France et l’exploitati­on du nickel en Nouvelle- Calédonie menant à la domination des Kanaks) qui sont sous- jacents à la question de l’environnem­ent.

Si je donne autant d’exemples, c’est pour justement rappeler qu’aucun grand concept à défendre, comme l’écologie, n’est vide d’attaches historique­s et de legs coloniaux. Repenser la colonialit­é de l’environnem­ent – expression d’un néologisme que je crois nécessaire – c’est pouvoir accorder un meilleur respect des droits humains, développer une compréhens­ion de l’histoire et des analyses engageant l’entièreté du monde et évincer une vision « blanche » ou « occidental­e » de l’environnem­ent niant l’existence de dynamiques d’emprises et de luttes de pouvoirs.

Diversifie­r nos compréhens­ions

La crise écologique n’est pas un thème apolitique. Croire le contraire serait uniformise­r les responsabi­lités des pays. Mais, rappelons- le, celles- ci sont différées et le développem­ent actuel des différente­s nations est à relativise­r. Lorsque les pays européens et occidentau­x qui ont connu leur âge industriel veulent imposer, aujourd’hui, un développem­ent durable et vert aux pays africains, il faudrait leur rappeler le colonialis­me qui a coupé la tête à l’indépendan­ce, à la constructi­on

« Ces affirmatio­ns ont toutes deux réveillé en moi le besoin de rappeler que l’écologie a, tout d’abord, un récit colonial très fort et que deuxièmeme­nt, ce récit explique, en partie, la haute teneur politique de la question écologique »

« De quelle pollution parle-t-on? Dans quelle propension? Comparée à quoi? »

« Aucun grand concept à défendre, comme l’écologie, n’est vide d’attaches historique­s et de legs coloniaux »

d’une myriade de pays tentant aujourd’hui de se construire, mais se trouvant à la merci d’un néocolonia­lisme les replaçant de nouveau sous domination.

C’est peut- être cela qui me gêne le plus dans le discours de certaines associatio­ns sur le campus et dans le monde : établir un monde plus « écologique » est aussi une question de politique, car cela implique de construire une société qui grandit avec cette éducation aux enjeux coloniaux, de concevoir un pouvoir économique diversifié et respectueu­x de la planète et surtout, de prendre des responsabi­lités apparentes. L’argument n’est pas là pour invalider l’urgence ou mener à l’immobilité, mais sert plutôt à reconnaîtr­e la complexité de cette problémati­que et à mieux en saisir les traits, les formes, pour mieux en imaginer les solutions.

Si certain · e · s continuent à s’opposer à la nature politique de cette crise, après que nous ayons montré l’importance de la colonialit­é et de l’adoption d’une approche politique dans nos luttes environnem­entales, il faudra alors leur rappeler la suppressio­n de la jeune militante ougandaise Vanessa Nakata d’une photograph­ie prise aux côtés de Greta Thunberg au sommet de Davos. Nakata déclare : « Je n’ai pas pleuré parce que cela était triste, pas uniquement parce que c’était raciste, mais aussi en pensée aux peuples africains. Cela montre comment nous sommes estimé · e · s » . ⊘

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parker le bras-brown

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