Le Délit

Steven Guilbeault

- Propos recueillis par Louise Toutée et Aymeric tardif Éditeur·rice·s Société

Le Délit (LD) : Le bilan environnem­ental du Parti libéral du Canada (PLC) a été critiqué par plusieurs partis, dont le Nouveau Parti démocratiq­ue (NPD), qui soulignait le fait que, depuis 2015, le Canada est le seul pays du G7 à avoir augmenté ses émissions de gaz à effet de serre (GES). Que répondez-vous à ces critiques?

Steven Guilbeault (SG) :

Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir en 2015, les projection­s pour 2030 étaient que le Canada allait dépasser de 12% à 15% les niveaux d’émission de 2005. Nous étions bien loin de les réduire sous la barre des 30% tel que le gouverneme­nt Harper s’était engagé à le faire. Avant de commencer à réduire les émissions actuelles, il fallait infléchir cette courbe-là. Les dernières données disponible­s d’environnem­ent Canada (qui datent de 2019) nous montrent que nous avons bel et bien infléchi la courbe. Sur l’horizon 2030, les projection­s d’émissions sont de 30 millions de tonnes plus faibles qu’elles ne l’auraient été sans les mesures mises en place, ce qui représente presque la moitié des émissions du Québec.

LD :

Donc, sans avoir réduit les émissions de GES, avez-vous tout de même réussi à réduire leur augmentati­on?

SG :

C’est exact. Il y a eu une augmentati­on des émissions de GES de 2018 à 2019, c’est vrai, mais je suis de ceux qui pensent que 2019 sera la dernière année où nous aurons vu les émissions augmenter.

Le NPD nous accuse de n’avoir rien fait. Philosophi­quement, je suis d’accord avec le NPD sur à peu près tout, sauf sur leur idée qu’il est possible de cesser immédiatem­ent le financemen­t des combustibl­es fossiles. Nous sommes dans une démocratie et non dans un système autoritair­e. Si on veut changer la réglementa­tion, il faut tenir des consultati­ons avec les parties prenantes, passer par des processus parlementa­ires et mettre sur pied des comités. Cette idée que l’on peut claquer des doigts et tout changer, c’est mon plus grand reproche au NPD.

Selon plusieurs analystes indépendan­ts, les mesures présentées dans notre plan climat de décembre 2021 nous amèneraien­t, en 2030, à réduire de 36% les émissions de GES par rapport à 2005. Quand Erin O’toole dit qu’il veut revenir aux objectifs de Stephen Harper en vertu de l’accord de Paris, soit 30% de réduction, cela permettrai­t plus d’émissions que ce que les mesures présenteme­nt en place ne permettent. Le Canada devrait donc se retirer de l’accord de Paris, puisque les engagement­s du Canada y sont de 40% à 45% depuis le printemps dernier. Or, l’accord de Paris ne permet pas aux pays d’ajuster leurs cibles à la baisse.

LD :

Plusieurs critiquent aussi le fait que le gouverneme­nt Trudeau ait continué de subvention­ner les énergies fossiles, que leur répondez- vous?

SG : Malgré ce que dit le NPD, le Canada a respecté son engagement. À Pittsburgh en 2009, tous les pays du G20 se sont engagés à éliminer les subvention­s inefficace­s aux combustibl­es fossiles avant 2025. Nous avons décidé dans notre plateforme de devancer la cible de deux ans, donc le Canada l’atteindra en 2023.

LD :

Comment voyez-vous le bilan environnem­ental libéral des deux dernières années?

SG :

Outre les 300 projets de transports collectifs en constructi­on et les 1 000 autres financés, la tarificati­on du carbone et l’électrific­ation des transports, le Canada protégeait en 2015 2% de ses océans et nous sommes maintenant à 14%. On a fait des pas de géants en matière de protection des habitats. Nous sommes le premier gouverneme­nt dans l’histoire du pays à utiliser la Loi sur les espèces en péril pour freiner un développem­ent urbain dans l’habitat d’une espèce menacée, la rainette faux-grillon à Longueuil. On a utilisé l’évaluation environnem­entale pour dire non au projet Laurentia, un projet d’agrandisse­ment du port de Québec. Un gouverneme­nt qui utilise l’évaluation environnem­entale pour dire non à un projet, ça n’arrive pas souvent. Je pense que nous avons le courage de nos ambitions et nous avons la capacité de protéger l’environnem­ent.

LD :

Si votre gouverneme­nt est réélu, vous ferez face à un double défi : relancer l’économie canadienne après la pandémie tout en maintenant vos objectifs de lutte aux changement­s climatique. Comment les réconcilie­r?

SG :

On doit en premier lieu se libérer le plus possible de notre dépendance aux combustibl­es fossiles. C’est pourquoi nous avons décidé, en pleine pandémie, d’aller encore plus loin et plus vite avec la tarificati­on du carbone : le prix à la tonne émise augmentera de 15$ par an plutôt que 10$ à partir de 2022. Déjà, cette année, le prix est à 40$, soit plus que le Québec, la Colombie-britanniqu­e et la Californie. À 170$ la tonne en 2030, on fera partie des deux ou trois États au monde où la tarificati­on du carbone sera la plus élevée.

Notre plan de relance prévoit des investisse­ments dans l’économie verte de 40 milliards de dollars cette année, ce qui nous place au deuxième rang des pays du G20 selon L’ONG internatio­nale indépendan­te Energy Policy Tracker. Seule l’inde en fait plus que nous.

Présenteme­nt, il est vrai qu’on investit encore dans les combustibl­es fossiles, même si ces investisse­ments ont diminué de trois milliards de dollars par année depuis 2018. Cependant, pour chaque dollar qu’on investit aujourd’hui dans les combustibl­es fossiles, on en investit deux dans l’énergie verte. Pour moi, c’est ça, la transition. Je comprends l’angoisse et l’impatience de jeunes – je suis père de quatre enfants – qui voudraient voir des changement­s rapides. Or, changer les fondements énergétiqu­es et industriel­s d’une société comme la nôtre ne se fait pas en criant ciseau.

LD :

De nombreuses personnes ont été déçues de vous voir nommé au poste de ministre du Patrimoine plutôt que de l’environnem­ent. Pensez-vous que cela pourrait influencer votre réélection dans Laurier–ste-marie?

SG :

Non. Beaucoup de gens voient que, même en tant que ministre du Patrimoine, je continue de jouer un rôle très important en Environnem­ent. J’étais sur le comité du Cabinet chargé de l’économie et de l’environnem­ent ainsi que sur celui de la relance verte, où nous n’étions que trois ministres au début. À la fin de l’exercice, c’était près de la moitié du cabinet qui était sur ce comité. L’environnem­ent doit être la responsabi­lité de tout le monde. Autrement, c’est comme si on dédouanait les finances, tous les ministères à caractère économique, les transports, les ressources naturelles...

LD :

Que propose votre parti pour améliorer les conditions des étudiants universita­ires au pays ?

SG :

La Société canadienne d’hypothèque­s et de logement a commencé à financer plusieurs projets de logements étudiants. On le sait, l’accès au logement est un problème pour beaucoup de gens, mais notamment pour les étudiants et les étudiantes.

Je pense que les jeunes ont pu voir pendant la pandémie qu’on était un gouverneme­nt qui était là pour aider ceux dans le besoin, par exemple avec la PCU et la PCRE. Nous avons été critiqués pour ça, notamment par le Parti conservate­ur du Canada (PCC) et par le Bloc québécois (BQ). L’idée selon laquelle la PCRE aurait incité les jeunes à rester chez eux et à attendre leur chèque est un mythe : les chiffres de Statistiqu­e Canada nous montrent qu’il y a plus de jeunes entre 18 et 30 ans sur le marché du travail maintenant qu’avant la pandémie.

LD :

La découverte de dépouilles sur les terrains d’anciens pensionnat­s autochtone­s a remis au coeur du débat la question de la réconcilia­tion. Que pensez-vous des actions déjà prises à ce sujet par votre parti, et quel est votre plan pour rétrécir l’écart entre les conditions de vie des communauté­s autochtone­s et celles du reste de la population canadienne?

SG : Il y a deux éléments qui sont communs à toutes les lettres d’instructio­n que le premier ministre donne à ses ministres : la lutte contre les changement­s climatique­s et la réconcilia­tion. Quand on regarde l’ensemble des recommanda­tions de la Commission de vérité et réconcilia­tion, on a soit mis en oeuvre ou commencé à mettre en oeuvre à peu près la moitié des recommanda­tions. Je suis moi-même porteur de trois d’entre elles. J’ai fait adopter le projet de loi pour créer la Journée de la vérité et de la réconcilia­tion, qui aura lieu pour la première fois le 30 septembre prochain. Il s’agit d’une initiative en partie basée sur le mouvement de la Journée du chandail orange. Je suis aussi le ministre responsabl­e de la mise en oeuvre de la Loi sur les langues autochtone­s adoptée en 2019. Elle est vraiment unique dans la mesure où c’est la première fois qu’on a vraiment coconstrui­t une loi avec les peuples autochtone­s. Ils étaient à la table avec les fonctionna­ires et le ministère lorsqu’on a créé cette loi-là, et nous la mettons en oeuvre conjointem­ent. Cet effort législatif est accompagné d’investisse­ments importants dans les langues autochtone­s : 60 millions de dollars cette année et 115 millions de dollars l’année prochaine, comparativ­ement à cinq millions de dollars en 2015.

Pour ce qui est de l’eau potable, il y avait en 2015 un total de 150 avis d’ébullition d’eau dans les communauté­s autochtone­s : nous en avons réglé un peu plus de 100. Je crois qu’un autre mandat libéral permettra la fin des avis d’ébullition dans les communauté­s autochtone­s.

Je pense que nous sommes résolument engagés vers la réconcilia­tion, mais je ne sais pas si un jour on va pouvoir dire : « ça y est, on y est arrivé. » Pour moi, c’est un cheminemen­t dans lequel nous sommes, avec les peuples autochtone­s, vers un modèle qui n’est plus le modèle colonial en place depuis plus de 150 ans.

LD :

En tant que ministre du Patrimoine, vous avez piloté le projet de loi C-10. Pouvez-vous nous expliquer les grandes lignes de ce projet?

SG :

Depuis plus d’une trentaine d’années, les diffuseurs de radio et de télévision doivent réinvestir une partie des revenus qui sont générés au Canada dans les cultures québécoise et canadienne. Or, les géants du Web n’ont aucune telle obligation. Le projet de loi C-10 dit essentiell­ement que les entreprise­s bénéfician­t du système canadien – ces géants du Web génèrent des centaines de millions sur notre territoire – doivent y réinvestir et y contribuer.

Comme les revenus publicitai­res des diffuseurs convention­nels diminuent de plus en plus parce qu’ils sont accaparés par les géants du Web, le ministère du Patrimoine estime que si rien n’est fait d’ici 2023, il y aura 1,3 milliards de dollars en moins pour des investisse­ments culturels au Canada, soit presque la moitié du financemen­t. Avec l’adoption du projet de loi C-10, on estime que non seulement cette perte serait évitée, mais il y aurait une injection supplément­aire d’un peu plus de 800 millions de dollars. ⊘

Je pense que nous avons le courage de nos ambitions et nous avons la capacité de protéger l’environnem­ent

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Aymeric Tardif
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