Le Délit

Simon Marchand

- Propos recueillis par Aymeric tardif Éditeur Société Félix A. Vincent Éditeuract­ualités

Si on n’a pas le Bloc, on va se faire absorber par la culture canadienne, par les partis libéral et conservate­ur, qui ne nous représente­nt pas

Le Délit (LD) : Quelles sont les propositio­ns du Bloc Québécois (BQ) en matière d’environnem­ent?

Simon Marchand (SM) :

Ce sont plusieurs propositio­ns qui sont aux antipodes de ce que proposent les libéraux. On sait qu’ils ont racheté Trans Mountain : on pense que ce projet-là devrait être annulé. On veut arrêter tous les forages exploratoi­res dans le fleuve Saint-laurent, qui ont été autorisés en 2020 lorsque personne ne portait attention à cause de la pandémie. On dit aussi qu’il est temps d’arrêter de financer les énergies fossiles au Canada. On les subvention­ne assez grassement, à plusieurs milliards de dollars par année, même plus avec Trudeau que ce qu’on voyait sous Harper. C’est assez déstabilis­ant, pour quelqu’un qui avait promis en 2015 d’arrêter de les financer.

On veut aussi instaurer une péréquatio­n verte à l’échelle du Canada. Le Québec avait déjà lancé la bourse du carbone avec la Californie, mais un système de péréquatio­n, qui permettrai­t de faire payer les provinces les plus polluantes tout en bénéfician­t à celles qui font déjà leur effort, pourrait aussi encourager l’ouest canadien à sortir rapidement des énergies fossiles.

On veut aussi forcer les grandes banques canadienne­s à retirer leurs investisse­ments dans les énergies fossiles qui sont de l’ordre des centaines de milliards, par exemple en s’assurant que les REER dans lesquels les contribuab­les peuvent investir ne contiennen­t pas de tels investisse­ments. L’objectif est que l’argent des grandes banques serve à financer la transition, afin que ce ne soit plus profitable d’exploiter les énergies fossiles au Canada. Ce qui va découler de ça, c’est plus d’électrific­ation et plus de transports collectifs. On devrait tous en bénéficier.

LD :

Votre parti se montre très sévère vis- à- vis du bilan écologique du reste du Canada, le qualifiant même d’ « État pétrolier » . Cependant, vous demeurez neutre au sujet du projet de tunnel entre Québec et Lévis ( le troisième lien), et Yves- François Blanchet a même laissé savoir qu’il était personnell­ement « en faveur d’un troisième lien qui respectera­it l’environnem­ent » . Pourtant, le troisième lien a été décrié par de nombreux experts pour ses conséquenc­es néfastes d’un point de vue écologique. Comment réconcilie­z- vous ces deux positions?

SM :

Les gens qui nous critiquent, ce sont des gens qui veulent s’immiscer dans des affaires sur lesquelles elles n’ont pas de juridictio­n. C’est ce que répond M. Blanchet de point de presse en point de presse, en disant : « Ce n’est pas une affaire de si on est pour ou contre : c’est à Québec de choisir. Appelez votre député de la Coalition Avenir Québec (CAQ) si vous n’êtes pas d’accord ». Comme parti québécois à Ottawa, qui veut ramener nos pouvoirs à Québec, on serait malvenu de vouloir intervenir dans le dossier. C’était une position personnell­e que M. Blanchet a exprimée, mais la plateforme du Bloc Québécois ne contient rien sur le troisième lien.

LD :

Plus localement, quelle est votre position par rapport au Réseau express métropolit­ain (REM) de l’est et à ses programmes d’infrastruc­tures à Montréal?

SM : Les transports collectifs, c’est bien, mais le manque de transparen­ce fait en sorte que le modèle de développem­ent du REM de l’est est très problémati­que. On n’a pas vu les études d’impacts du segment qui touche Hochelaga, on n’a pas vu les scénarios étudiés, et personne n’a expliqué pourquoi ce REM allait être à quatre étages dans les airs en plein milieu du quartier. Et, surtout, à un endroit où il n’y a pas nécessaire­ment de besoin criant de transports collectifs de cette nature – le métro de la ligne verte est à trois coins de rue.

Ensuite, il faut que CDPQ Infra conçoive son rôle comme impliquant davantage que le simple transport. On s’en vient dans des milieux de vie qui sont très défavorisé­s. Un édicule de REM, ça n’amène rien ; par contre, si c’est bien intégré, si on a des commerces de proximité comme des épiceries de quartier, on est peut-être capable de s’attaquer à certains problèmes de désert alimentair­e. Au-dessus de l’édicule, il n’y a rien qui empêche d’avoir des logements, des espaces à bureaux. Quand on commence à faire ça, ça répond à beaucoup plus de problèmes que celui du transport.

LD :

Quel est le plan de votre parti pour rétrécir l’écart entre les conditions de vie des communauté­s autochtone­s et celles du reste de la population canadienne, ainsi que pour assurer la réconcilia­tion?

SM :

L’un des problèmes fondamenta­ux dans nos relations avec les autochtone­s, c’est la Loi sur les Indiens. Cette loi fédérale est problémati­que, notamment car elle met toutes les nations autochtone­s du Canada dans un seul grand panier. Ce que le Bloc propose, c’est de négocier avec chaque nation autochtone, en créant des traités qui conviennen­t à chacune individuel­lement, plutôt que d’essayer d’avoir une solution pour tout le monde. C’est un peu basé sur le modèle de la Paix des braves de 2002, sous le Parti Québécois. Une fois qu’on aura des traités qui respectent le désir d’autonomie par rapport à l’investisse­ment en éducation ou en services sociaux, par exemple, on aura les outils pour abroger la Loi sur les Indiens. Là, on sera alignés avec la Déclaratio­n des Nations unies sur les droits des peuples autochtone­s.

Pour ce qui est de la réconcilia­tion, le gouverneme­nt fédéral pourrait en faire plus. On a demandé que toutes les recherches sur les sites des anciens pensionnat­s soient financées par le fédéral, mais aussi que le gouverneme­nt contraigne l’église catholique à rendre disponible­s au public tous les registres qui auraient pu être accumulés par les communauté­s religieuse­s ayant géré les pensionnat­s autochtone­s.

LD :

De manière plus générale, quelles sont les propositio­ns de votre parti pour améliorer les conditions des étudiants universita­ires au pays?

SM : On veut bonifier les bourses de financemen­t à la recherche pour les études supérieure­s, car la recherche fondamenta­le est une partie importante de la mission des établissem­ents d’enseigneme­nt. On ne veut pas des université­s qui font juste produire des travailleu­rs.

Maintenant, ce qui va bénéficier aux étudiants, ça peut venir d’ailleurs : par exemple, quand on parle de logement social, le Bloc demande qu’un pourcentag­e des revenus totaux du gouverneme­nt soit investi en logement social. Cela va créer des fonds qui seront disponible­s pour, par exemple, des OBNL qui veulent créer du logement coopératif étudiant.

LD

: Votre parti a souhaité suspendre la PCRE, sauf pour le domaine culturel. Comment expliquez-vous cette décision, et sous quelles conditions souhaitez-vous maintenir cette prestation?

SM :

On la maintient pour toutes les industries qui souffrent des limitation­s qu’on doit mettre en place, comme le nombre de personnes permises en salle de spectacles ou dans les festivals. Ces limitation­s ont un impact direct sur le milieu culturel, évidemment : leurs revenus ne sont pas retournés à leur niveau prépandémi­que.

Maintenant, la raison pour laquelle on veut la mettre en sourdine puis voir si elle est nécessaire, sans l’annuler complèteme­nt, c’est qu’il y a une pénurie de main-d’oeuvre criante. Il y a des milieux, surtout les petites entreprise­s, qui ont besoin de main-d’oeuvre active pour continuer d’opérer. Certaines personnes nous disent que l’incitatif que représente la PCRE pour de potentiels employés est plus grand que le salaire que ces entreprise­s sont capables d’offrir. Le but de la PCRE à l’origine était d’offrir des revenus à des gens qui ne sont pas en mesure de travailler : si les emplois sont là, s’il y a une possibilit­é de travailler, il n’y a pas de raison de la maintenir.

LD

: Qu’avez- vous pensé de la gestion de la pandémie par le Parti libéral? Qu’aurait fait le Bloc québécois? Quelle serait la marche à suivre pour l’avenir, considéran­t que nous allons devoir apprendre à vivre avec la COVID-19?

SM

: La plus grande erreur que Justin Trudeau a faite en début 2020, c’est de ne pas écouter quand le Bloc et Québec ont demandé la fermeture des frontières terrestres. En mars, quand les gens circulaien­t encore par frontière terrestre, mais que les vols avaient été suspendus, il y avait énormément de gens qui venaient de New York, qui était alors l’épicentre de la pandémie aux États- Unis. C’est ce qui a probableme­nt accéléré la pandémie à Montréal et au Québec en général.

De plus, essayer d’imposer des normes nationales dans nos CHSLD, donc instrument­aliser politiquem­ent les difficulté­s qu’on avait dans certains établissem­ents de santé, alors que tout ça découlait directemen­t du sous-financemen­t en santé du fédéral, c’était assez hypocrite. C’était de la partisaner­ie dans une situation qui n’en nécessitai­t pas du tout.

Maintenant, je pense qu’on doit travailler à avoir un approvisio­nnement de vaccins au Canada la prochaine fois. Moderna a indiqué son intérêt à venir s’établir ici : ça permettrai­t d’être plus résilient face à une autre vague, un autre variant, une autre pandémie.

LD :

Dans le contexte actuel, quelle est la place de la souveraine­té du Québec dans la plateforme du Bloc? SM : Ultimement, le Bloc existe pour faire l’indépendan­ce. Pas pour la réaliser, mais pour la préparer : évidemment, ça ne se fera pas à Ottawa. Chaque gain qu’on fait pour le Québec, chaque moment où on s’exprime pour affirmer ce qui nous distingue du reste du Canada, c’est un pas de plus pour notre indépendan­ce. Si on n’a pas le Bloc, on va se faire absorber dans la culture canadienne, par les partis libéral ou conservate­ur, qui ne nous représente­nt pas.

LD :

Que répondez-vous aux critiques qui affirment que vous êtes le porte-parole de la CAQ à Ottawa?

SM :

On va toujours se faire blâmer d’appuyer un gouverneme­nt à Québec, d’un côté ou de l’autre. On porte les consensus de l’assemblée nationale. On a une responsabi­lité : si on prétend amener à Ottawa ce que les Québécois veulent à Québec, c’est sûr qu’il y a certains projets de la CAQ qu’on va porter. Pas tous, pas aveuglémen­t, mais inévitable­ment, on est là pour être le porteparol­e de l’assemblée nationale. Si l’assemblée nationale, demain matin, était contrôlée par Québec solidaire, elle trouverait en nous des alliés tout autant à la défense de leurs projets et des consensus qu’elle réussirait à faire dégager. Même chose pour le Parti Québécois ou les libéraux. ⊘

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Équipe de campagne Simon Marchand
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