Le Délit

La réconcilia­tion, au-delà du 30 septembre

Entretien avec le coprésiden­t et la coordonnat­rice aux événements de L’ILADA.

- Félix A. vincent Éditeur Actualités

Le Délit s’est entretenu avec deux membres de l’associatio­n de droit autochtone (ILADA) de la Faculté de droit pour discuter de réconcilia­tion et de droit autochtone. Simon Filiatraul­t est membre de la nation huronne-wendat et coprésiden­t de L’ILADA ainsi que coordonnat­eur des initiative­s autochtone­s de la Faculté de droit. Marianne Goyette est allochtone alliée et coordonnat­rice aux événements de L’ILADA.

Le Délit (LD) : Qu’est-ce qui a changé depuis le dépôt du Rapport final de la Commission de vérité et réconcilia­tion il y a maintenant 6 ans?

Simon Filiatraul­t (SF) : Le rapport comportait des appels à l’action concrets qui visaient des entités précises – les gouverneme­nts fédéral, provinciau­x, territoria­ux et certaines institutio­ns canadienne­s. Certains de ces appels à l’action ont été réalisés. Par exemple, le gouverneme­nt fédéral a adopté la Journée nationale de la vérité et de la réconcilia­tion. L’université Mcgill a mis sur pied un comité pour adopter ses propres appels à l’action, qui visent à mieux encadrer les étudiants autochtone­s et à mieux représente­r la diversité des peuples autochtone­s du Canada. Ce sont de petites choses à gauche et à droite, mais il reste encore beaucoup de travail à faire.

Marianne Goyette (MG) : Je ne veux pas du tout dire que tout est parfait à Mcgill, mais la Faculté de droit fait un effort conscient pour implanter certains appels à l’action. Par exemple, le cours de traditions juridiques autochtone­s a été mis en place il y a deux ans. Selon les témoignage­s que j’ai entendus, le cours – enseigné par des professeur­s autochtone­s – vise à étudier les traditions juridiques autochtone­s pour leur valeur propre, plutôt que de simplement étudier les décisions de la Cour suprême du Canada en lien avec les Autochtone­s. Il y a aussi une conscience des enjeux autochtone­s dans les autres cours. Ce qui se passe à Mcgill n’est toutefois pas représenta­tif de ce qui se passe au sein de la population générale, et il n’y a pas grand-chose qui ait changé depuis 2015. Par exemple, les deuxtiers des Canadiens n’étaient pas au courant des pensionnat­s autochtone­s avant la découverte des dépouilles cette année.

LD : L’éducation semble vraiment être au coeur de la réconcilia­tion. Que signifie incorporer et reconnaîtr­e les savoirs ancestraux autochtone­s?

SF : La dimension éducative est super importante, et les institutio­ns académique­s ont un grand rôle à jouer. En plus de mon rôle de coprésiden­t de L’ILADA à Mcgill, je suis aussi coordonate­ur des initiative­s autochtone­s à la Faculté de droit. Je travaille donc en collaborat­ion avec la faculté pour mieux encadrer les étudiants autochtone­s et mieux intégrer les savoirs autochtone­s dans nos programmes.

Il y a une distinctio­n à faire entre deux approches différente­s. L’approche d’« autochtoni­sation »( indigenizi­ng, en anglais) de la faculté consiste essentiell­ement à intégrer une perspectiv­e autochtone dans la structure déjà existante. L’autre approche est de vraiment décolonise­r les institutio­ns académique­s, en s’attardant à la structure des institutio­ns.

Par exemple, en consultant des aînés par rapport aux politiques à adopter ou encore d’organiser des sorties dans des communauté­s autochtone­s. Il faut sortir du cadre d’éducation libérale tel qu’originalem­ent pensé et s’attarder aux sources desquelles émergent les savoir autochtone­s, soit la Terre et les territoire­s.

LD : On parle de réconcilia­tion et de décolonisa­tion. Qu’est-ce que cela implique de « redonner » les territoire­s non cédés aux nations autochtone­s?

SF : Pendant la marche du 30 septembre, tout le monde criait le slogan « Land back » avec beaucoup d’enthousias­me, mais j’ai l’impression que les gens n’en comprennen­t pas vraiment la significat­ion. Redonner les terres aux peuples autochtone­s prend notamment la forme de traités qui partagent le territoire dans un esprit de coopératio­n et de cogestion des ressources, de nation à nation, sans paternalis­me. Je pense que c’est ce que veulent dire les peuples autochtone­s, quand ils scandent « Land back » : on veut ravoir un contrôle sur nos terres. Mais il faut rester réaliste : les Canadiens ne seront pas exclus de ces territoire­s-là.

MG : « Land back » vient remettre en question notre relation au territoire, en tant qu’allochtone­s. Je vis sur un territoire non cédé, et ma vie en dépend. Je ne peux probableme­nt pas redonner le territoire sur lequel ma maison est bâtie, dans la pratique; je le vois plutôt comme une question d’autogouver­nance, de laisser aux communauté­s le droit de se gouverner.

LD : Au Québec, la Loi 101 fait en sorte que, si deux parents n’ont pas tous deux été scolarisés en anglais, leur enfant doit aller à l’école en français. Cette semaine, l’assemblée des Premières Nations QuébecLabr­ador (APNQL) et le Conseil en éducation des Premières Nations ont dénoncé que cela contraint des élèves autochtone­s à aller à l’école en dehors de leur communauté, ce qui poserait des obstacles à la réussite scolaire et violerait le droit à la langue des autochtone­s, ancestrale ou anglaise. Qu’en pensez-vous?

SF : Je pense que le combat que mène la nation québécoise à travers la Loi 101, c’est de protéger sa culture, qui prend forme dans

« Pendant la marche du 30 septembre, tout le monde criait le slogan “Land back ” avec beaucoup d’enthousias­me, mais j’ai l’impression que les gens n’en comprennen­t pas vraiment la significat­ion » Simon Filiatraul­t

la langue. Ce qu’on tend à oublier, c’est que les peuples autochtone­s mènent le même combat avec leurs propres cultures, avec leurs propres langues. Je prends ma communauté comme exemple : à Wendake, on dit que la langue, présenteme­nt, elle dort. On l’enseigne aux jeunes, mais elle n’a pas de locuteurs.

J’ai l’impression qu’il y a raison de dire que la situation des Premières Nations n’est pas considérée par la Loi 101 et sa réforme, le projet de loi 96. Je crois qu’il y aurait place à une certaine accommodat­ion et peut-être à des exceptions, considéran­t tout l’impact du colonialis­me subi.

MG : Je pense que c’est un peu hypocrite d’imposer une langue à des communauté­s à qui on a volé leurs langues et leurs traditions. Oui, le Québec peut légitimeme­nt protéger sa langue, mais il ne faut pas empêcher les peuples autochtone­s de protéger les leurs. Plusieurs sont en voie de disparitio­n, donc c’est essentiel d’avoir plus de ressources éducatives, culturelle­s et sociales pour assurer la survie et la richesse des langues autochtone­s.

LD : Dans les dernières décennies, on s’est mis à parler non seulement de réconcilia­tion et de réparation­s, mais aussi d’autodéterm­ination pour les peuples autochtone­s. Ces projets sont-ils en compétitio­n?

SF : L’autodéterm­ination confie aux nations autochtone­s l’espace nécessaire pour adopter des lois qui concernent leurs intérêts, car ce sont les nations elles-mêmes qui sont les mieux placées pour déterminer leurs besoins. Le gouverneme­nt fédéral devrait arrêter de faire preuve de paternalis­me et cesser de prétendre savoir ce qui est dans l’intérêt des Autochtone­s. Il faut recréer une relation d’égal à égal, de nation à nation, car les peuples autochtone­s ne se considèren­t pas qu’une minorité intégrée au Canada : ils étaient là avant tout le monde.

LD : Au Parlement, le rôle essentiell­ement symbolique et cérémonial de la gouverneur­e générale est de représente­r la Couronne. Que pensez-vous de la nomination de Mary Simon, de la nation inuite, pour remplir ce rôle?

SF : Les États colonisate­urs ont comme pratique de placer des individus issus d’un groupe colonisé dans des positions d’autorité afin de faire paraître qu’ils sont en contrôle, alors que ce n’est pas le cas dans les faits. Je pense qu’il faut rappeler que le rôle de gouverneur­e générale ne confère aucun pouvoir concret : c’est purement symbolique.

MG : Il faudrait que ça ne soit pas que symbolique. Il faudrait qu’il y ait véritablem­ent un changement dans les actions du gouverneme­nt fédéral, et je ne crois pas que la nomination d’une femme autochtone au poste de gouverneur­e générale suffise. C’est comme seulement mettre son chandail orange le 30 septembre et ensuite clamer : « Ça y est, je suis réconcilié­e! » Ça ne suffit pas.

LD : Quelles actions concrètes une personne moyenne peut-elle prendre vers la réconcilia­tion?

SF : La plupart des gens qui étaient présents pour la cérémonie du 30 septembre portaient des chandails oranges et étaient informés par rapport à ce qui s’est passé dans les pensionnat­s autochtone­s. Par contre, ces gens-là doivent partager ces informatio­ns avec leur entourage. Les actions ne doivent pas être posées une seule fois par année, le 30 septembre. J’invite les gens à agir au quotidien, en interrompa­nt des discussion­s afin d’abattre des stéréotype­s envers les peuples autochtone­s, en partageant du contenu éducatif sur les réseaux sociaux ou en portant leur chandail orange plus qu’un jour par année. Il est aussi possible d’encourager les artistes et les entreprise­s autochtone­s.

« Il faudrait qu’il y ait véritablem­ent un changement dans les actions du gouverneme­nt fédéral, et je ne crois pas que la nomination d’une femme autochtone au poste de gouverneur­e générale suffise » Marianne Goyette

« Il faut garder en tête qu’on ne peut pas s’attendre, en tant qu’allochtone­s, à être éduqués par les Autochtone­s » Marianne Goyette

J’encourage le grand public à faire preuve d’une ouverture d’esprit et de remettre en question les préjugés qu’on lui a enseigné plus jeune, puis d’être à l’écoute de ces personnes issues du milieu universita­ire et d’avoir des discussion­s sur des concepts comme la réconcilia­tion ou les pensionnat­s pour Autochtone­s.

MG : Premièreme­nt, il s’agit de s’éduquer. Cela peut prendre la forme d’apprendre le nom des territoire­s autochtone­s sur lesquels on habite ou encore de lire des rapports : celui de la Commission vérité et réconcilia­tion, de la Commission Viens ou de l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtone­s disparues et assassinée­s. La culture est également une bonne façon de s’initier : la littératur­e, la musique et la télévision autochtone­s, par exemple.

Ce qui est aussi accessible pour beaucoup de gens est de s’abonner à des comptes qui publient du contenu éducatif sur les réseaux sociaux. Si on a les ressources pour le faire, on peut aussi faire du bénévolat dans des organismes communauta­ires autochtone­s. Mais surtout, il faut s’éduquer et être actif : une fois armé de connaissan­ces, on peut conscienti­ser les gens de notre entourage qui véhiculent des préjugés.

LD : Comment participer à la réconcilia­tion si on ne connait pas de personnes autochtone­s?

SF : Les individus autochtone­s sont souvent plus présents autour de nous qu’on ne le pense; ils n’ont simplement pas nécessaire­ment le look autochtone qui nous a été enseigné quand on était plus jeune. Par exemple, quand je dévoile mon identité autochtone à mes amis ou à mes collègues, ils répondent qu’ils n’auraient jamais cru que je l’étais, car, selon eux, les Autochtone­s ne correspond­ent pas à mon apparence. Il y a eu beaucoup de métissage qui a fait en sorte qu’il y a plusieurs autochtone­s aujourd’hui qui ne correspond­ent pas à des stéréotype­s qu’on pourrait avoir. On connait sûrement plus d’autochtone­s qu’on le pense. C’est juste que parfois ces individus n’embrassent peut- être pas leur identité autochtone pour diverses raisons. La réconcilia­tion, ça commence avec l’éducation. Ça commence avec une plus grande conscienti­sation. La réconcilia­tion, c’est plus entre des nations et pas des individus directemen­t. La dimension individuel­le joue un grand rôle, mais c’est essentiell­ement entre nations. Il faut juste repenser la manière dont on perçoit autrui : comme faisant partie d’une nation à part entière.

MG : J’avoue que c’est quand même difficile; il y a un éloignemen­t géographiq­ue qui fait en sorte que beaucoup d’allochtone­s n’ont jamais été exposés à des individus autochtone­s. Je pense que la littératur­e est vraiment une bonne façon d’au moins créer une sensibilit­é chez les allochtone­s. Il faut garder en tête qu’on ne peut pas s’attendre, en tant qu’allochtone­s, à être éduqués par les Autochtone­s. Notre niveau de conscienti­sation ne doit pas dépendre du travail émotionnel des Autochtone­s, qui ne devraient pas avoir à porter seuls le fardeau de la réconcilia­tion toute leur vie. ⊘

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Félix A. Vincent | le délit
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Félix A. Vincent | le délit

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