Le Délit

Entre transparen­ce et opacité

Du nécessaire rôle du secret dans le politique.

- Aymeric Tardif Éditeur Société

Quelle est la part du secret dans le politique ? Cette question se manifeste de manière cyclique à la surface de la conscience collective chaque fois qu’une informatio­n classifiée ou simplement à l’abri du regard du public perce le voile de la complexité du monde globalisé, opaque et a priori impénétrab­le. Qu’il s’agisse de la dernière fuite massive de documents au nom à saveur tropicale révélant les habitudes fiscales répréhensi­bles des riches et des puissants, des scandales de corruption et de fraude comme celui de Snc-lavalin qui conduisent à une remise en question de l’état de droit ou encore du simple fait que le premier ministre canadien Justin Trudeau ait séjourné à l’occasion de ses vacances sur l’île privée des Bahamas du milliardai­re et leader religieux connu sous le nom de l’aga Khan, ces types d’événements en viennent tous à miner, à divers degré, la confiance du public envers les États et les institutio­ns internatio­nales. Lorsqu’une informatio­n dissimulée par les individus au pouvoir percole jusqu’aux oreilles des citoyen·ne·s et électeur·trice·s, l’attention médiatique se tourne vers la transparen­ce de l’état. Certain·e·s se demandent quelle est la part du secret dans le politique, quelles informatio­ns leur sont volontaire­ment cachées.

Ce questionne­ment relève du secret politique. Celui-ci s’inscrit dans les intérêts temporaire­s et personnels des décideur·euse·s politiques et est tout à fait répréhensi­ble. Il ne faut donc pas le confondre avec le secret de l’état, qui s’incarne plutôt dans un espace juridiquem­ent défini, dans lequel nos gouverneme­nts conservent de l’informatio­n et établissen­t des programmes et des pratiques à l’insu du grand public. Ce type de secret est très commun dans les États démocratiq­ues. Il n’a rien de spectacula­ire et est très loin des conception­s fantasmago­riques du secret véhiculées par Hollywood.

Il arrive toutefois que des secrets d’état soient divulgués, suscitant le même débat sur la transparen­ce étatique que la mise au jour de scandales politiques ou fiscaux, par exemple. Ce débat est entre autres ravivé par les Julian Assange, Edward Snowden et Chelsea Manning de ce monde, punis par l’état américain pour avoir divulgué ses secrets – la répression qu’ils·elles subissent nous laissant croire que le secret d’état contempora­in se niche dans les technologi­es de renseignem­ent, dans la surveillan­ce et dans le contrôle des population­s. La pandémie de COVID-19 a exacerbé ce phénomène de focalisati­on de l’attention du public sur le soi-disant « contrôle gouverneme­ntal », donnant un nouveau souffle aux complotist­es de tout acabits qui voient dans les mesures sanitaires tant de stratégies coercitive­s et liberticid­es dont ce « ils », fugace et indéfini, bénéficie à leurs dépens. Certes, les complots existent. On en retrouve des traces à travers l’histoire, les plus célèbres de la période contempora­ine étant sans doute ceux du Watergate et de l’invention par le gouverneme­nt américain des armes de destructio­ns massives fictives ayant justifié l’invasion de l’irak par les États-unis. Il faut toutefois se garder de confondre complot et secret : le premier est moralement répréhensi­ble en ce sens qu’il est synonyme de machinatio­n la plupart du temps contraire aux intérêts de la Nation ( l’on pourrait le classer dans la catégorie du secret politique définie plus haut) ; le deuxième constitue plutôt un pilier de la stabilité étatique, certain·e·s allant même jusqu’à le concevoir comme condition de la vie démocratiq­ue, malgré le diktat de la transparen­ce présent aujourd’hui.

« La puissance de l’état moderne administra­tif résiderait dans le déséquilib­re créé entre celui-ci et ses citoyen·ne·s par l’accumulati­on d’informatio­ns et de statistiqu­es qui lui sont exclusives, autrement dit, qui sont secrètes »

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