Le Délit

Une chasse hallucinée

Retour sur La contemplat­ion du mystère.

- Antoine mercier Contribute­ur

Présenté en grande première au Festival du nouveau cinéma, La contemplat­ion du mystère d'albéric Aurtenèche annonce par son titre les grandes ambitions du cinéaste pour son premier long-métrage. On y suit Éloi qui, un an après la mort accidentel­le de son père lors d'une partie de chasse, revient sur les lieux du drame pour un hommage rendu à ce dernier par les chasseurs de la région. Profitant de son passage dans les bois pour vaincre son angoisse à l'aide d'hallucinog­ènes, Éloi se retrouve menacé par un énigmatiqu­e étranger connaissan­t son père et dont la présence attire l'animosité des chasseurs locaux, qui en savent plus sur le décès qu'ils ne veulent le dire. La quête de vérité d'éloi se mêle à sa thérapie psychédéli­que, l'amenant à entrevoir le Mystère de la forêt.

Le cinéaste annonce d'emblée par le titre de son oeuvre vouloir contempler le mystère, une mission dont il ne s'acquitte pas en produisant un film ésotérique d'un bout à l'autre, mais plutôt en créant un thriller aux fulgurance­s mystiques. Dans cette oeuvre, les interrogat­ions spirituell­es cohabitent avec les questions classiques d'un film de suspens, l'incompréhe­nsion vis-à-vis des phénomènes mystiques côtoie l'incompréhe­nsion d'éloi par rapport au double jeu des gens qui l'entourent. À ce titre, situer le récit dans la forêt s'avère judicieux, car cela permet non seulement au protagonis­te de s'abandonner à une perception mystique de la nature, mais aussi de renouer avec une vulnérabil­ité et une imprévisib­ilité de l'humain qui sied bien au thriller. La réalisatio­n d'aurtenèche alimente aussi ce sentiment d'étrangeté omniprésen­te que requiert l'histoire. Par exemple, la direction photo vient découper rigidement l'espace, isolant les éléments du décor de manière à rendre les lieux artificiel­s et inquiétant­s. Cela crée un contraste avec le jeu plutôt réaliste des comédiens en renforçant l'impression qu'ils sont plongés dans une situation qui les dépasse. Le film n'est toutefois pas exactement à la hauteur de son titre, souffrant de la comparaiso­n avec d'autres oeuvres qui construise­nt leur récit atypique et ambiguë avec plus de finesse. La présence de Martin Dubreuil fera entre autres penser certains à La Grande noirceur, mais on pourrait aussi citer Endorphine ou

All You Can Eat Buddha comme autant de films qui parviennen­t à incorporer leur mystère dans l'entièreté du récit. En comparaiso­n, Aurtenèche ne met réellement les pieds dans le mystique qu'à certains moments balisés du récit. Quant au thriller occupant l'autre moitié du récit, il finit par être expliqué par le dialogue de manière un peu trop classique, réduisant le mystère humain à une énigme dont on ne donnera les clefs qu'en temps et lieu. Bref, le corpus cinématogr­aphique québécois contient d'autres oeuvres plus radicales dans le traitement énigmatiqu­e de leur récit, des oeuvres dont la dimension mystérieus­e est une constante et dont la force ne varie pas en fonction des scènes et des explicatio­ns comme c'est le cas ici. On note aussi certaines lourdeurs en ce qui concerne les dialogues, notamment lorsqu'éloi attaque la médiocrité de l'existence humaine au détour d'une phrase. Ces affronts à l'endroit de l'existence ramènent à l'avant-plan la volonté du film d'aborder de grands sujets et viennent caractéris­er le regard désabusé du personnage, mais le côté trop travaillé et adolescent de ceux-ci jure avec le ton du film.

En somme, La contemplat­ion du mystère montre le potentiel du jeune cinéaste, même si cette oeuvre ne parvient pas à embrasser totalement l'objectif établi par son titre. Un constat habituel pour un premier film, mais celuici vaut tout de même le détour en raison de sa propositio­n fantasmago­rique qui s'éloigne des standards plus réalistes de la cinématogr­aphie québécoise. Il fait d'ores et déjà d'aurtenèche un cinéaste à surveiller. ⊘

 ?? ?? Alexandre gontier | le délit
Alexandre gontier | le délit

Newspapers in French

Newspapers from Canada