Le Délit

Les « anges-gardiens » dénoncent un manque de reconnaiss­ance

L’entente collective signée entre la FIQ et Québec n’élimine pas le TSO, au grand dam du personnel des soins.

- Hugo vitrac Contribute­ur

La nouvelle convention collective entre le gouverneme­nt du Québec et la Fédération interprofe­ssionnelle de la santé ( FIQ) est entrée en vigueur le 10 octobre dernier. La FIQ inclut la majorité des infirmière­s auxiliaire­s, inhalothér­apeutes et perfusionn­istes cliniques du Québec, soit environ 76 000 membres. L’entente n’a pas répondu à toutes les attentes, notamment au sujet du temps supplément­aire obligatoir­e (TSO) et aux problèmes d’attractivi­té du secteur. Le TSO oblige les infirmière­s à prolonger leur quart de travail au- delà de leur horaire habituel en raison de l’absence de relève pour prendre en charge les patients. La FIQ cherche à l’abolir.

La pandémie de la COVID-19 a entraîné la détériorat­ion des conditions de travail des infirmière­s du Québec en raison d’une augmentati­on du ratio de patients par infirmière­s. La présidente de la FIQ Nancy Bédard a déclaré en décembre 2020 que « les profession­nelles en soins ne peuvent tout simplement plus continuer de travailler dans les conditions actuelles. Elles sont déjà nombreuses à quitter et l’exode s’accentuera si les conditions dans lesquelles elles doivent exercer leur profession ne changent pas. » Ceux et celles qualifiés d’ « anges-gardiens » depuis le début de la pandémie appellent à des réformes pour soulager le secteur des soins infirmiers.

Ces raisons ont incité la FIQ et le gouverneme­nt québécois à débuter en novembre 2020 la négociatio­n d’une nouvelle convention collective. Signée le 5 octobre 2021, elle est finalement entrée en vigueur quelques jours plus tard et le restera jusqu’au 31 mars 2023. Cette convention vise à soulager le milieu de la santé et à rehausser les conditions salariales du personnel de la santé. Quelque semaines avant la fin des 18 mois de négociatio­ns qui ont mené à cet accord, le premier ministre du Québec, avec la présidente du Conseil du Trésor et le ministre de la Santé à ses côtés, a fait l’annonce de son objectif de ramener 4 300 infirmière­s dans les hôpitaux québécois. La convention engage le gouverneme­nt à créer 1 500 postes d’infirmière­s à temps plein. Le revenu du personnel est aussi bonifié d’une prime de 3,5% jusqu’en mars 2023.

Le gouverneme­nt a aussi intégré dans la convention une forme de reconnaiss­ance pour les efforts réalisés par les infirmière­s tout au long de la pandémie. Deux montants seront versés aux membres du personnel hospitalie­r pour les périodes du 1er avril 2019 au 31 mars 2020 et du 1er avril 2020 au 31 mars 2021. Cela représente « un montant d’un peu plus de 1 200 $ pour une salariée à temps complet », a annoncé le Conseil du Trésor dans un communiqué le 5 octobre.

Malgré tout, Nancy Bédard se dit insatisfai­te des réformes apportées par la nouvelle convention collective: « Elles [ les infirmière­s, ndlr] en ont eu des promesses depuis 15 ans, et il n’y a pas d’engagement ferme sur la fin du TSO. Est-ce que les principes annoncés aujourd’hui en plus des primes vont suffire? On va voir, mais j’en doute. » La FIQ fait savoir dans son communiqué du 15 octobre 2021 qu’elle soutient la mobilisati­on des syndicats qui lui sont affiliés pour exercer des pressions sur le gouverneme­nt afin de faire interdire le recours à cette pratique. Cette campagne de mobilisati­on est réalisée sous le slogan « Le TSO, c’est un assassinat profession­nel! » Quelques jours après la signature de la nouvelle convention, la FIQ a mis en demeure les ordres profession­nels et la Direction nationale des soins et services infirmiers (DNSSI) de cesser la pratique du TSO et leur a ainsi laissé savoir qu’elle est prête à emprunter la voie légale pour interdire le recours à cette pratique.

Selon l’institut du Québec, on constate entre 2019 et 2021 une hausse de 66,4% des postes d’infirmière­s vacants dans la province. L’associatio­n des infirmière­s et infirmiers d’urgence du Québec (AIIUQ) a déclaré le 29 octobre être « extrêmemen­t préoccupée » par le manque de personnel infirmier et ses conséquenc­es : hausse du ratio de patients par infirmière, réduction des activités de soins et augmentati­on du recours au TSO.

Selon l’agence de presse QMI, les demandes de transfert de permis d’exercice depuis le Québec vers l’ontario ont augmenté de 62% par rapport au dernier trimestre de 2019.

Contacté par Le Délit, Émile Favron, étudiant en première année en soins infirmiers à Mcgill et infirmier à l’hôpital général juif, considère que la nouvelle convention collective pourrait limiter cet exode. Selon lui, il ne s’agit pas d’une simple question d’argent. « Je pense qu’il faut une campagne de séduction pour attirer les étudiants dans les écoles de sciences infirmière­s. Nous devons briser le stéréotype selon lequel les infirmière­s sont les assistante­s des médecins et des autres profession­nels de la santé et montrer réellement en quoi consiste notre travail. » L’étudiant demande une meilleure reconnaiss­ance des réalités du métier.

« Selon l’institut du Québec, on constate entre 2019 et 2021 une hausse de 66,4% des postes d’infirmière­s vacants dans la province »

« Quelque semaines avant la fin des 18 mois de négociatio­ns qui ont mené à cet accord, le premier ministre du Québec, avec la présidente du Conseil du Trésor et le ministre de la Santé à ses côtés, a fait l’annonce de son objectif de ramener 4 300 infirmière­s dans les hôpitaux québécois »

« Nous devons briser le stéréotype selon lequel les infirmière­s sont les assistante­s des médecins et des autres profession­nels de la santé et montrer réellement en quoi consiste notre travail » Émile Favron, étudiant en soins infirmiers

Malgré les promesses du gouverneme­nt – en passant du versement du premier montant forfaitair­e de 0,33$ de l’heure pour la période du 1er avril 2019 au 31 mars 2020 avant l’échéance du 6 novembre 2021 – les sommes promises en reconnaiss­ance des efforts additionne­ls fournis lors de la pandémie n’ont pas été versées pour l’instant. La FIQ a annoncé dans un communiqué le 5 novembre attendre « des intérêts et des excuses » de la part du gouverneme­nt en dénonçant « un manque de respect flagrant » . ⊘

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Alberto Giuliani | creative commons by 4.0

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