Le Délit

Changer le monde un pas à la fois avec l’hydrogène québécois

Quand les bottines ne suivent pas les babines.

- Alex depani Contribute­ur

Déjà presque 30 ans se sont écoulés depuis la signature de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changement­s climatique­s. Cet accord, signé par 165 pays en 1992, avait comme objectif de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre afin de prévenir des perturbati­ons climatique­s, tel que mentionné dans le rapport officiel.

Presque 25 ans plus tard, 195 pays ont signé l’accord de Paris. Presque 25 ans plus tard, nous pouvions aussi dire que nous avions augmenté nos émissions dans une proportion d’ approximat­ivement 40%, au lieu de les diminuer. L’objectif, tel que mentionné à l’article 4 de l’accord de Paris, demeurait sensibleme­nt le même : diminuer nos émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais. On pourrait dire que peu de choses ont changé, hormis l’urgence d’agir.

En effet, depuis la première révolution industriel­le, notre espèce a sévèrement perturbé les cycles naturels du carbone, du méthane, ainsi que d’autres gaz ayant la capacité d’emprisonne­r les rayonnemen­ts infrarouge­s émis par notre planète. Cette énergie, ne pouvant s’échapper dans l’espace, entraîne une augmentati­on de la températur­e à l’intérieur de notre atmosphère.

Cependant, contrairem­ent à la croyance populaire, ce n’est pas qu’un problème de volonté politique : le problème est extrêmemen­t plus complexe que l’on pense. Certains secteurs, tels que ceux du transport maritime et aérien, ainsi que celui de l’industrie lourde, ne peuvent pas actuelleme­nt utiliser nos technologi­es les plus populaires exploitant des énergies renouvelab­les. En effet, des technologi­es telles que la batterie au lithium sont trop lourdes pour faire voler des avions commerciau­x. De plus, ce ne sont pas toutes les technologi­es du secteur de l’industrie lourde qui peuvent fournir avec constance des niveaux de chaleur dépassant le cap des 1 400 degrés Celsius, températur­e nécessaire pour produire du ciment : ces prérequis ne peuvent pas être atteints avec une combinaiso­n de batteries, panneaux solaires et éoliennes.

La complexité du problème nécessite des solutions créatives. L’hydrogène peut être considéré comme une solution intéressan­te à plusieurs de nos problèmes liés aux limitation­s physiques de la décarbonis­ation de certains secteurs. Dans mon dernier article paru au

Délit, j’ai mentionné comment l’hydrogène mérite fort probableme­nt sa place au sein d’une transition verte éventuelle que nous souhaiteri­ons entreprend­re. Explorons maintenant la possibilit­é de produire à grande échelle ce combustibl­e au Québec!

La chimie opère entre le Québec et l’hydrogène

L’hydrogène est un combustibl­e qui, contrairem­ent à la batterie au lithium, possède l’une des propriétés clés des combustibl­es fossiles : il est extrêmemen­t léger par rapport aux quantités d’énergie qu’il fournit. Cependant, à ce jour, 99,3% de la production d’hydrogène autour du globe est considérée comme « grise » ou « noire » : c’està-dire qu’elle résulte de procédés émettant eux-mêmes des gaz à effet de serre, tel que le reformage du méthane à la vapeur. Remplacer des combustibl­es fossiles par de l’hydrogène produit avec de telles sources ne nous avance donc pas à grand-chose, en pratique.

Il existe cependant un autre procédé pour produire de l’hydrogène, soit l’électrolys­e de l’eau. En utilisant des technologi­es exploitant l’énergie renouvelab­le, il est possible de reformer nos molécules d’eau (H2O) en molécules séparées de dioxygène (O2) et de dihydrogèn­e (H2) tout en émettant très peu de gaz à effet de serre! Toutefois, ce processus est très demandant en énergie : il nécessite 2 238 MWH d’énergie pour produire approximat­ivement 46 600 kg d’hydrogène. Cette quantité d’hydrogène relâcherai­t, lors de sa combustion, l’énergie nécessaire pour effectuer un voyage de 10 heures dans un avion ayant la taille, le poids ainsi que la vitesse de croisière d’un Boeing 747 ( 1552,5 MWH). Cette quantité d’énergie tirée de l’hydrogène produite, propulsant un bolide transporta­nt au-delà de 500 passagers outre-mer, est une quantité d’énergie non négligeabl­e.

Cependant, le 2 238 MWH, utilisé lors de la production d’hydrogène nécessaire pour effectuer un tel vol d’avion, est une quantité d’énergie

« L’hydrogène peut être considéré comme une solution intéressan­te à plusieurs de nos problèmes liés aux limitation­s physiques de la décarbonis­ation de certains secteurs »

« Certains secteurs, tels que ceux du transport maritime et aérien, tout comme celui de l’industrie lourde, ne peuvent pas actuelleme­nt utiliser nos technologi­es les plus populaires qui permettent d’exploiter des énergies renouvelab­les »

suffisante pour subvenir aux besoins énergétiqu­es de plus de 120 maisons québécoise­s moyennes pendant un an. Il est raisonnabl­e de croire que la majorité des états et provinces nord-américains, où une grande part de l’énergie produite émet des gaz à effet de serre, priorisera­it la décarbonis­ation de leur réseau électrique avant de produire de l’hydrogène. C’est une façon plus efficace de décarbonis­er son économie : tu en as plus pour ton énergie!

Le Québec présente toutefois une situation assez particuliè­re : nous produisons déjà 98% de notre électricit­é à partir de sources renouvelab­les. Nos émissions de gaz à effet de serre proviennen­t principale­ment du secteur du transport ainsi que celui de l’industrie. Cela tombe bien puisqu’en date d’aujourd’hui, la combustion de l’hydrogène est jugée comme l’alternativ­e la plus envisageab­le pour remplacer les combustibl­es fossiles dans les processus industriel­s nécessitan­t de hautes températur­es. Le secteur du transport pourrait aussi éventuelle­ment être décarbonis­é avec une combinaiso­n de densificat­ion urbaine, système de transport amélioré ainsi qu’un déploiemen­t de véhicules à batterie au lithium. Si le Québec augmentait davantage sa production d’énergie renouvelab­le, on pourrait donc presque utiliser entièremen­t notre surplus d’énergie (il en faudrait, entre autres, davantage dans notre réseau électrique afin d’alimenter une éventuelle flotte de véhicules à batterie) afin de produire de l’hydrogène!

Quelle quantité d’hydrogène propre?

Quelle quantité d’énergie serions-nous capables de produire au Québec à des fins de production d’hydrogène? Faisons une rapide analyse de trois domaines énergétiqu­es québécois pour avoir une idée de l’ordre de grandeur dans lequel il serait possible de produire cet intrigant combustibl­e.

Tout d’abord, il est raisonnabl­e de supposer, selon des études d’efficacité énergétiqu­e effectuées au Canada, que nous pouvons réduire notre consommati­on d’énergie de 28% dans l’ensemble de nos bâtiments, ainsi que de 12% dans l’ensemble de nos procédés industriel­s, simplement en modernisan­t nos infrastruc­tures de façon appropriée. En nous fiant aux plus récentes données de consommati­on d’énergie par secteur au Québec, nous constatons qu’il serait théoriquem­ent possible de sauver une quantité d’énergie suffisante pour alimenter plus de 2 200 000 maisons québécoise­s en énergie.

Par la suite, il y aurait davantage d’opportunit­és d’exploiter une des grandes richesses québécoise­s : l’immense quantité de rivières qui coulent sur l’ensemble du territoire. Selon un rapport effectué par F. Pierre Gingras, ingénieur industriel ayant travaillé plus de 31 ans sur des projets hydroélect­riques, il serait techniquem­ent possible d’augmenter notre production hydroélect­rique annuelle d’approximat­ivement 7 580 GWH (équivalant à la consommati­on de 400 000 maisons québécoise­s), en construisa­nt des barrages, entre autres, sur la rivière Gatineau. Cela est sans compter l’entrée en service de la centrale Romaine-4 en 2022, qui ajoutera annuelleme­nt un autre 2 146,2 GWH à notre capacité de production d’énergie hydroélect­rique.

Le Québec est aussi doté d’un bon potentiel éolien : aujourd’hui, 5,3% de notre électricit­é est produite à partir de l’énergie du vent, en grande majorité exploitée à proximité du fleuve Saint-laurent. Selon un rapport technique de 2010, le Québec pourrait réalisteme­nt tripler sa production d’énergie éolienne actuelle : cela créerait assez de nouvelle énergie pour alimenter annuelleme­nt plus de 3 800 000 maisons québécoise­s.

Cependant, puisqu’il serait insensé de produire de l’hydrogène afin de décarbonis­er, entre autres, des avions effectuant des voyages interconti­nentaux pendant que des véhicules roulant sur nos routes brûlent encore de l’essence, il serait important de prendre en compte le coût énergétiqu­e de la décarbonis­ation du système de transport québécois. Combien d’électricit­é serait consommée approximat­ivement par l’ensemble de nos véhicules, de la Honda Civic du voisin jusqu’à la déneigeuse du quartier, s’il fallait qu’elle se convertiss­e à la batterie au lithium? Avec une combinaiso­n des données compilant le nombre et le type des véhicule sur nos routes, leur consommati­on énergétiqu­e, leur kilométrag­e annuel moyen ainsi que quelques calculs mathématiq­ues dont je vais avoir la décence de vous épargner1, on peut en arriver à la conclusion qu’électrifie­r notre réseau du transport accaparera­it approximat­ivement 30% de nos surplus énergétiqu­es.

On a tendance à l’oublier, mais recharger une flotte de plusieurs millions de véhicules électrique­s tous les soirs, c’est très énergivore!

Hydro-québec vient aussi tout juste de signer un contrat de 25 ans avec l’état de New York afin de lui fournir une partie de notre énergie renouvelab­le. Cette énergie, qui va remplacer de l’énergie produite à partir de combustibl­es fossiles, aura un impact positif sur la production de gaz à effet de serre ; cependant, elle ne pourra pas être utilisée à des fins de production d’hydrogène.

Les résultats sont compilés dans le tableau ci-dessus. En effet, avec un plan audacieux, le Québec pourrait assez réalisteme­nt utiliser annuelleme­nt autour de 75 000 GWH pour produire de l’hydrogène « vert », ce qui équivaut à plus de 1,5 million de tonnes de cet élément. Cette production se rajouterai­t à celle de l’usine d’électrolys­e bâtie tout récemment à Varennes, qui produit déjà de l’hydrogène servant à la transforma­tion de déchets en biocarbura­nt. Étant donné que seulement 0,7% des 60 millions de tonnes d’hydrogène (donc 0,42 million de tonnes) produites annuelleme­nt autour du globe peuvent être considérée­s comme carboneutr­es, le Québec se positionne­rait immédiatem­ent comme un joueur clé dans une éventuelle transition énergétiqu­e. En effet, si demain matin, notre plein potentiel énergétiqu­e était exploité à des fins de production d’hydrogène « vert », nous en produirion­s presque quatre fois plus que le reste du monde. L’hydrogène, se transporta­nt très bien en hydrogénod­uc, pourrait être exporté à plusieurs endroits en Amérique du Nord.

Après les fleurs, le pot

Cependant, il serait malhonnête de montrer uniquement le bon côté de la médaille. Nos technologi­es exploitant l’énergie renouvelab­le ne sont pas sans impact, et il est crucial de prendre en considérat­ion les conséquenc­es de tels projets.

La société d’état Hydro-québec affirme avec fierté qu’elle travaille en collaborat­ion avec les communauté­s autochtone­s dans tous ses projets. Un barrage construit en aval du barrage Gouin sur la rivière Saint-maurice, par exemple, devrait aussi être avantageux pour la communauté Wemotaci située dans la région. Toutefois, il ne peut pas être tenu pour acquis que tout projet potentiel serait approuvé. En effet, en analysant les enjeux derrière la constructi­on du barrage du Site C en Colombie-Britanniqu­e, il ne peut non plus être tenu pour acquis que tout projet sera entamé dans le respect des droits des peuples autochtone­s.

Les projets éoliens ne sont pas non plus les bienvenus partout au Québec : en Montérégie, les citoyens de plusieurs municipali­tés se sont levés afin d’empêcher la constructi­on d’un parc éolien dans leur région. En entrevue avec Radio-canada, les maires de plusieurs villes ont exprimé leur désarroi vis-à-vis la possibilit­é de devoir accommoder de gros projets industriel­s sur leurs terres agricoles. Malgré le bon potentiel éolien de la région, le projet a été relocalisé en 2018, montrant qu’il n’est pas toujours possible de faire avancer certains projets qui semblent être une bonne idée sur papier.

En matière d’énergie renouvelab­le, le Québec possède un potentiel enviable. Nous sommes parmi les rares endroits au monde qui sont en mesure de produire de l’énergie carboneutr­e au-delà de nos besoins, et cela, sans avoir à changer radicaleme­nt notre mode de vie. Produire de l’hydrogène au Québec pourrait amener son lot de bénéfices à l’internatio­nal, notamment pour les secteurs du transport maritime ou aérien. L’enjeu reste cependant délicat : jusqu’à quel point les Québécois seraient-ils prêts à courir le risque d’inonder leurs terres avec des barrages ou d’accepter des turbines géantes dans leurs voisinages afin de prévenir les effets néfastes des changement­s climatique­s? À contrecoeu­r, nous réalisons qu’il est impossible d’obtenir le beurre et l’argent du beurre.

1 Un compte rendu détaillé des calculs se trouve sur le site Internet du Délit.

« Selon un rapport technique de 2010, le Québec pourrait réalisteme­nt tripler sa production d’énergie éolienne actuelle : cela créerait assez de nouvelle énergie pour alimenter annuelleme­nt plus de 3 800 000 maisons québécoise­s! »

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alex depani
Note : Ces données supposent que nous serons en mesure de réduire de 20% notre utilisatio­n de voitures. En freinant l’étalement urbain, en améliorant le système de transport et en changeant nos habitudes de vie, cela serait à mon avis un objectif atteignabl­e. alex depani

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