Le Délit

À la défense de la transsysté­mie

L’enseigneme­nt du droit civil à Mcgill, plus en santé que l’on pense.

- Mario Michas Matthew Tsirmbas Contribute­urs

La Faculté de droit de l’université Mcgill enseigne les deux traditions juridiques canadienne­s : la common law et le droit civil. Heureuseme­nt, l’enseigneme­nt des traditions juridiques autochtone­s occupe aussi une place de plus en plus importante au sein du programme. Mcgill est ainsi la seule université canadienne qui offre une formation où les étudiant·e·s peuvent explorer les différente­s traditions juridiques du pays de manière transsysté­mique.

Dernièreme­nt, un débat sur l’enseigneme­nt du droit civil s’est ouvert au sein de la Faculté. Plusieurs étudiant·e·s croient que la tradition civiliste et, par conséquent, le droit privé, ne sont pas enseignés autant, ni au même niveau de qualité que la common law. Les arguments utilisés pour appuyer cette position incluent, entre autres, le manque de professeur·e·s ayant une formation civiliste ou une expertise en droit civil et le nombre insuffisan­t de cours de droit civil avancé. Avant de décortique­r les arguments utilisés, il faut établir la définition du terme civiliste. Selon le Juridictio­nnaire du départemen­t des travaux publics et services gouverneme­ntaux du Canada, un·e civiliste est un·e juriste ayant une formation civiliste, qui pratique ou qui produit de la recherche en droit privé pendant un certain nombre d’années. Au Québec, un·e civiliste consacre son temps à l’étude du droit privé, c’est-à-dire le droit régissant les relations et les obligation­s entre personnes, qu’elles soient physiques ou morales, et entre les personnes et les biens. Par contraste, l’étude du droit public, le droit qui régit les relations entre l’état et les individus, même au Québec, provient de la tradition britanniqu­e qui est ancrée dans la common law. Toutefois, certains domaines du droit public au Québec, tel le droit administra­tif, sont influencés par le droit public de la tradition civiliste européenne continenta­le.

D’après cette définition, la Faculté de droit compte plusieurs civilistes parmi ses rangs, dont la professeur­e Yaëll Emerich, produisant de la recherche en droit des biens, le professeur Helge Dedek, expert en droit des obligation­s contractue­lles et en droit romain, qui est l’origine même du droit civil. On trouve également la professeur­e Lara Khoury, une chercheuse de grand renom en droit de la santé, la professeur­e Adelle Blackett, qui se spécialise en droit de l’emploi et du travail et le doyen Robert Leckey, spécialist­e du droit de la famille. D’ailleurs, ces trois dernier·ère·s ont reçu la distinctio­n advocatus emeritus (avocat·e émérite) pour leurs contributi­ons au monde juridique québécois. De plus, à l’heure actuelle, quatre cours de droit civil avancé sont offerts alors que trois cours avancés de common law le sont.

De surcroît, plusieurs autres cours complément­aires sont enseignés par des avocat·e·s pratiquant au Québec en droit privé et par des civilistes expériment­é·e·s. Le cours de droit de la famille enseigné par Me Michaël Lessard, qui a une formation civiliste et qui a été avocat-recherchis­te à la Cour d’appel du Québec, peut être cité comme exemple. Le cours de droit commercial vient également à l’esprit ; celui-ci est enseigné par le juge Jeffrey Edwards de la Cour supérieure du Québec. Il faut aussi mentionner le cours d’administra­tion du bien d’autrui et fiducie, offert par la Dre Anne- Sophie Hulin, une chercheuse civiliste qui a d’ailleurs été chargée de cours à la Faculté de droit de l’université d’ottawa, ainsi qu’à celle de l’université de Sherbrooke.

Lors de la première année d’études à la Faculté, il faut noter que dans les cours d’obligation­s contractue­lles et extracontr­actuelles, la plupart des professeur·e·s ont une formation civiliste, et plusieurs ont fréquenté de grandes université­s civilistes telle Panthéon-assas, à Paris – c’est le cas du professeur Farahat. De plus, le nombre d’arrêts à lire en droit civil québécois et en droit civil en général est presque égal au nombre d’arrêts à lire en common law. Quand cela n’est pas le cas, c’est dû au fait que, dans une tradition civiliste pure, les arrêts ne représente­nt habituelle­ment pas la plus grande partie des lectures. En ce qui concerne le temps d’enseigneme­nt du droit civil en classe, les professeur·e·s, tel le Professeur Janda, comparent le Code civil du Québec à l’ancien Code civil du Bas-canada, ainsi qu’aux Codes allemand et français. Il·elle·s procèdent également à une révision de la doctrine et des arrêts assignés ; ces textes consistent par exemple d’articles académique­s de juristes québécois·es ou d’approches comparativ­es entre plusieurs pays civilistes, comme c’est le cas dans le cours du professeur Gélinas, ancienneme­nt professeur à Panthéon-assas qui détient lui aussi la distinctio­n d’avocat émérite.

« À l’heure actuelle, quatre cours de droit civil avancé sont offerts alors que trois cours avancés de common law le sont »

« La transsysté­mie à Mcgill permet aux étudiant·e·s d’apprendre de professeur·e·s ayant une expérience multidisci­plinaire, contribuan­t à la formation de juristes polyvalent·e·s qui ont une connaissan­ce plus complète du contexte juridique canadien »

La transsysté­mie à Mcgill permet aux étudiant·e·s d’apprendre de professeur·e·s ayant une expérience multidisci­plinaire, contribuan­t à la formation de juristes polyvalent·e·s qui ont une connaissan­ce plus complète du contexte juridique canadien et, par conséquent, de chacune de ses traditions juridiques. Autrement dit, la transsysté­mie entraîne un enrichisse­ment de l’éducation juridique à la Faculté et non le contraire. Il est possible pour un·e professeur·e d’être un·e spécialist­e dans plusieurs domaines, tels le droit des contrats et l’arbitrage. Le fait que le grand civiliste québécois, le juge Pierre-basile Mignault, était lui-même un expert dans plusieurs domaines comme le droit parlementa­ire et la déontologi­e n’a pas diminué son expertise en droit civil. En d’autres mots, l’approche interdisci­plinaire des professeur·e·s n’enlève rien à leur expertise en droit civil, au contraire : elle l’enrichit.

Également, les faits indiquent que la Faculté semble enseigner le droit civil avec compétence ; les nombreux prix obtenus par les étudiant·e·s mcgillois·es lors des concours de plaidoirie de droit civil et de langue française PierreBasi­le-mignault le démontrent. Si on se fie aux résultats de l’examen du Barreau du Québec de l’édition 2019-2020, le taux de réussite des étudiant·e·s mcgillois·es (sans cours préparatoi­res) était de 82,35%, l’emportant sur l’université d’ottawa et sur l’université du Québec à Montréal (UQAM). Il est aussi utile d’indiquer que l’étudiant ayant obtenu la note la plus élevée à l’école du Barreau en 2021 est un diplômé de la Faculté de droit de Mcgill.

Sur le marché du travail, les étudiant·e·s en droit de Mcgill obtiennent régulièrem­ent des placements contingent­és lors de la course aux stages, ainsi que des postes comme auxiliaire­s juridiques dans les tribunaux québécois et canadiens. Tous ces accompliss­ements démontrent que les étudiant·e·s en droit de Mcgill reçoivent une formation en droit civil plus qu’adéquate.

Malgré la présence de plusieurs civilistes et d’un grand nombre de professeur·e·s qui détiennent un diplôme en droit civil dans le corps professora­l, l’embauche d’autres civilistes permettrai­t d’enrichir davantage le bon équilibre qui est déjà présent dans le cursus entre le droit civil, la common law et les traditions juridiques autochtone­s. Le recrutemen­t des professeur·e·s civilistes Hinarejos et Zumbansen démontre que la Faculté souhaite maintenir et promouvoir la place du droit civil au sein de l’université Mcgill. Évidemment, pour assurer la santé de la transsysté­mie, il ne faut pas trop se concentrer sur une tradition aux dépens des autres.

Cependant, étant donné l’histoire interdépen­dante du droit civil et de la langue française au Québec, il serait bénéfique d’avoir plus de cours de cette tradition juridique enseignés en français, surtout dans les cours avancés. Considéran­t les contributi­ons importante­s de la Faculté de droit au droit civil en français au Québec, notamment avec L’abnégation en droit civil et Les apparences en droit civil, deux ouvrages collectifs codirigés par le doyen Leckey et la Dre Hulin qui ont été publiés aux Éditions Yvon Blais, le droit civil continuera de prendre son essor. ⊘

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alexandre gontier | le délit

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