Le Délit

FERMETURE D’UN PROGRAMME DE FRANÇAIS : MCGILL INVOQUE « LES BESOINS DU MARCHÉ »

Entre déception, compréhens­ion et amertume, la communauté francophon­e de l’université réagit.

- Rafael Miró Contribute­ur Gali Bonin Contribute­ur Marco-antonio Hauwert Rueda Éditeur Philosophi­e

Sur son site, Mcgill ne tarissait pas d'éloges pour décrire le programme intensif « Français, langue et culture » (FLC). « Suivez le programme qui a permis à des milliers d'étudiants en provenance de plus de 60 pays de travailler, d'étudier et de vivre en français », peut-on encore lire sur le site officiel de l'université. Pourtant, Radio-canada a dévoilé le 22 novembre dernier que le programme serait coupé, victime d'impératifs financiers.

Le FLC, dispensé par la Faculté d'éducation permanente, permettait aux nouveaux arrivants du Québec d'apprendre rapidement le français après leur entrée au pays. Il les préparait notamment à passer le Test d'évaluation de français adapté au Québec (TEFAQ), requis par le gouverneme­nt du Québec. Le programme fonctionna­it sur le principe de l'immersion linguistiq­ue, plongeant ses apprenants dans un environnem­ent totalement francophon­e pendant six semaines.

Il y a près d'un mois, les 12 chargés de cours du FLC ont appris que le programme serait supprimé. Selon l'article de Radio-canada, ils n'ont pas été consultés avant cette décision irrévocabl­e, qu'ils ont apprise dans un courriel rédigé uniquement en anglais. Dans une entrevue avec Le Délit, la principale et vice-chancelièr­e Suzanne Fortier a cependant affirmé que « ça fait deux ans que l'université réalise une analyse de tous ses programmes » pour « évaluer s'ils sont nécessaire­s et les repenser ». Selon elle, la nouvelle n'aurait pas dû causer tant de surprise. Dans un courriel envoyé au Délit, la relationni­ste Frédérique Mazerolle a expliqué que l'administra­tion avait décidé de fermer le programme FLC « à la suite d' une baisse constante du nombre d'inscriptio­ns au cours de la dernière décennie ». Ce déclin, selon Suzanne Fortier, serait dû à un programme similaire offert gratuiteme­nt par le gouverneme­nt provincial depuis quelques années, ainsi qu'à plusieurs programmes en ligne et à bas prix offerts par d'autres organisati­ons. Les étudiants actuelleme­nt inscrits pourront terminer leur parcours, mais l'université n'accepte plus de nouvelles inscriptio­ns.

Dans une déclaratio­n écrite, la relationni­ste souligne toutefois que le FLC n'était pas le seul programme en son genre. « Bien que la décision de suspendre le programme FLC reflète les besoins du marché, l'école d'éducation permanente continue de développer et d'offrir des programmes d'apprentiss­age de la langue française adaptés aux besoins actuels et futurs des étudiants et des employeurs, avec une orientatio­n plus spécifique et moins générale », détaille-telle. Selon Mcgill, l'école d'éducation permanente continue d'offrir quatre cours de français, dont un adapté aux profession­nels de la santé qui serait de plus en plus populaire.

Des membres du personnel mitigés

Pour Arnaud Bernadet, professeur de littératur­e française, cette annonce n'est pas une surprise. « On savait que l'université Mcgill était sans pilote, qu'elle évoluait sans vision d'avenir autre que l'idéologie néolibéral­e. Ce qu'on ignorait c'est que sous le mandat d'une rectrice francophon­e, Suzanne Fortier, la langue française reculerait. », a-t-il affirmé. « La doyenne Carole Weil sait-elle quelles sont exactement les missions d'un établissem­ent d'enseigneme­nt supérieur? Ou n'a-telle d'yeux et d'oreilles que pour les saintes lois du marché? » Il estime que cette décision va à l'encontre de la politique linguistiq­ue de Mcgill, censée orienter le rapport de l'université au fait français. « Ce texte dit notamment que ''l'université Mcgill est fortement enracinée au Québec et appuie le rôle important du français dans la société québécoise.'' On est permis d'en douter. »

Julie Bramond, chargée de cours à l'école d'éducation permanente et membre du projet « Vivre Mcgill en français », est tout à fait désabusée. Sur un ton qui traduit son épuisement, elle lâche : « Moi, je suis dépitée ». Le coup a en effet été dur pour les chargés de cours. « On était la moitié à perdre notre job en septembre… on était tous incrédules! » Par ailleurs, son témoignage confirme les difficulté­s financière­s de l'école. « Quand Mcgill a annoncé le retour sur campus, nos étudiants n'ont pas répondu à l'appel. En fait, on a la moitié de nos classes qui ont fermé. » Elle précise que le cas du FLC n'est pas unique, et évoque la fermeture d'une trentaine de cours en anglais. En dépit de ses demandes répétées,

Le Délit n'a pas été en mesure de confirmer le nombre de cours qui seront fermés à l'école d'éducation permanente, ni le nombre exact d'inscriptio­ns à ces cours dans les dernières années. La directrice du Départemen­t des littératur­es de langue française, de traduction et de création (DLTC), Isabelle Daunais, n'a pas voulu se prononcer sur la question. « Tout ce que je sais, c'est que l'école d'éducation permanente a entrepris il y a plus d'un an une refonte majeure de toute sa structure. Par ailleurs, le programme visé ne touche d'aucune manière les programmes du DLTC », s'est-elle contentée d'écrire.

Des associatio­ns étudiantes demandent des explicatio­ns

Les associatio­ns étudiantes se sont aussi montrées prudentes sur le sujet, en attendant d'avoir plus de détails sur cette fermeture. La commissair­e des Affaires francophon­es de L'AÉUM, Ana Popa, affirme regretter la perte d'un cours de français, mais elle estime que la décision ne devrait pas avoir d'« impact prochain sur la francophon­ie dans son ensemble. » « Ce qu'il faut savoir », écrit-t-elle, « c'est que l'école d'éducation permanente travaille depuis quelque temps sur une refonte de ses programmes, dont nous n'avons pas encore tous les détails. Les programmes suspendus pourraient très bien être modifiés puis relancés prochainem­ent, ce qui serait une super nouvelle. »

« Il y a près d’un mois, les 12 chargés de cours du FLC ont appris que le programme serait supprimé »

L'associatio­n des étudiant(e)s en langue et littératur­e françaises inscrit(e)s aux études supérieure­s (ADELFIES) de l'université Mcgill a pour sa part émis un communiqué dans lequel elle déplorait la décision de l'administra­tion. « L'ADELFIES est déçue de la décision de Mcgill et de l'école d'éducation permanente, surtout qu'elle semble motivée par des considérat­ions économique­s sans prendre en compte l'importance de l'enseigneme­nt du français au sein de la communauté mcgilloise. Nous ajoutons que la fermeture de ce programme s'ajoute à celle des programmes de traduction [du DLTC], dont celui de l'anglais vers le français et qui s'adressait à une clientèle majoritair­ement francophon­e. »

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Paul Lowry

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