Un manque de transparence dans le Programme de prêts et bourses
Le Protecteur du citoyen a publié un rapport spécial sur les lacunes dans le Programme de prêts et bourses.
Le 3 mars dernier, le Protecteur du citoyen – un ombudsman indépendant du gouvernement ayant pour mission de s’assurer du respect des droits des citoyens en ce qui a trait aux organismes ministériels – a publié un rapport spécial intitulé « Aide financière aux études : Mieux accompagner les étudiantes et étudiants en faisant preuve de transparence et d’écoute » . D’une longueur de 54 pages, le rapport porte sur le service de l’aide financière aux études (AFE), un organisme du gouvernement provincial chargé de soutenir les étudiants financièrement et de gérer les différentes prestations d’aide aux études. Ce service relève du Ministère de l’éducation et de l’enseignement supérieur du Québec. Suite à plusieurs plaintes reçues – mais non détaillées dans son rapport – le Protecteur du citoyen s’est chargé d’enquêter sur trois différentes problématiques. En somme, un manque de transparence et d’uniformité concernant différents aspects du processus a été détecté.
Problèmes saillants
Trois problèmes principaux ont été relevés par le Protecteur du citoyen. Le premier est l’opacité du processus de prise de décision. Le Protecteur a également souligné la confusion entourant la reconnaissance d’une déficience fonctionnelle majeure (DFM) des individus qui postulent pour une aide aux études. Le troisième élément est le manque d’informations données à l’étudiant dans le cas d’une potentielle déclaration mensongère, par exemple sur ses revenus. Ces trois aspects impliquent des lacunes au niveau de la transparence, de la communication et de l’écoute des étudiants.
Le premier point dénoncé par le rapport est le manque d’accessibilité pour les étudiants quant au processus décisionnel permettant d’allouer des prestations. Par exemple, le site Web de L’AFE ainsi que son guide intitulé « Une aide à votre portée » sont incomplets. En effet, ils ne décrivent pas toutes les règles utilisées par L’AFE pour prendre ses décisions. Ce manque de transparence dans les critères de sélection peut mener certains étudiants à manifester leur incompréhension une fois qu’ils prennent connaissance du résultat de leur demande. De plus, le rapport mentionne que les membres du personnel chargés du traitement des dossiers prennent peu ou pas de notes d’analyse pendant le processus de sélection. En conséquence, il est souvent impossible de fournir à l’étudiant qui le demanderait des informations supplémentaires sur son dossier.
Par ailleurs, bien que L’AFE ait un Bureau des recours dans le cas où un étudiant souhaiterait contester une décision rendue, cet organe n’est pas une entité indépendante. Pourtant, puisque les décisions rendues par L’AFE ne peuvent pas être contestées devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ), le Bureau des recours devrait avoir un « processus de révision rigoureux et équitable » . Le rapport a ainsi dénoncé le manque d’uniformité méthodologique dans le traitement des demandes de révision. De plus, il note de possibles conflits d’intérêts liés au fait que la personne en charge du Bureau n’occupe pas un poste exclusif de direction. En effet, elle cumule aussi les mandats de directeur des programmes d’accessibilité et de responsable des orientations, des politiques et des modifications légales et réglementaires.
Le deuxième point abordé par le rapport a été les disparités dans le traitement de reconnaissance des déficiences fonctionnelles majeures (DFM). Les DFM sont définies dans le rapport comme des déficiences visuelles, auditives, organiques ou motrices pouvant limiter l’accomplissement des activités quotidiennes. Alors qu’une réforme des critères afin d’identifier les DFM avait été annoncée en 2016 par L’AFE, elle n’a toujours pas eu lieu. Le manque d’uniformisation des critères d’admissibilité est donc souligné dans le rapport. Par exemple, si un médecin atteste à L’AFE qu’un étudiant concerné par une demande de déficience sera capable d’intégrer le monde du travail, l’étudiant en question ne sera pas reconnu comme étant atteint d’une DFM. Tel que mentionné dans le rapport, « ce critère [ l’approbation d’un professionnel de la santé, ndlr] n’est inscrit nulle part et il exclut des personnes ayant soumis un certificat médical conforme et respectant tous les critères d’admissibilité ».
« Ce manque de transparence dans les critères de sélection peut mener certains étudiants à à manifester leur incompréhension »
Le troisième point examiné par le Protecteur du citoyen est lié au traitement d’une potentielle déclaration mensongère venant d’un étudiant lorsqu’il complète son dossier et sa demande. Dans le rapport, il est mentionné que « l’étudiant qui fait une déclaration mensongère à l’aide financière des études est exclu du Programme de prêts et bourses pendant deux ans ». Or, l’avis envoyé à l’étudiant en cas de manquement soupçonné – surtout lié à la déclaration des revenus – est incomplet. En effet, L’AFE ne mentionne ni si le destinataire est soupçonné de mentir, ni quelles sont les possibles conséquences encourues par ce mensonge. En fait, selon le Protecteur du citoyen, L’AFE se contente de dire au potentiel prestataire que « nous vous aviserons des suites qui seront données à votre dossier ». Par ailleurs, le délai de 10 jours donné à l’étudiant pour répondre à l’avis est jugé trop court par le Protecteur.
Solutions et recommandations
Le rapport a proposé plusieurs pistes de réflexion afin de régler les problématiques soulevées. Étalées sur trois pages, les 23 recommandations ont, dans la majorité des cas, une date limite d’application fixée au 31 mai 2022. Certaines d’entre elles devront cependant être appliquées avant le 1er octobre 2022. Elles touchent à différentes facettes du processus employé par L’AFE pour décider d’accorder – ou non – une aide financière à l’étudiant qui le demande.
Ainsi, la recommandation #3 (R-3) mentionne l’importance pour les membres de L’AFE de noter les raisons derrière leurs différentes actions et décisions durant le processus de sélection. Dans un souci de transparence, le rapport recommande de consigner « les raisons qui ont pu les mener à accorder plus de poids à un élément de preuve ou à rejeter certains renseignements ». Dans la continuité de la recommandation #3, la recommandation #5 vise à préciser pour les étudiants les modèles décisionnels utilisés par L’AFE en clarifiant certaines sections, notamment le processus d’appel ou de révision. Ces deux recommandations devront être mises en application au plus tard le 1er octobre 2022.
Par ailleurs, les recommandations allant de 13 à 19 couvrent les cas de déficiences fonctionnelles majeures. Par exemple, la recommandation #15 conseille l’instauration d’une formation additionnelle pour le personnel impliqué dans le traitement des demandes de reconnaissance d’une déficience fonctionnelle majeure. La recommandation #16, quant à elle, demande d’arrêter « dès le 31 mai 2022, de se substituer à l’opinion médicale émise par le ou la médecin dans le Certificat médical ».
Alors que les demandes décrites plus haut ont été adressées au Ministère de l’enseignement supérieur, la recommandation #12 a été faite directement à la ministre de l’enseignement supérieur Danielle Mccann. Le rapport lui suggère de proposer des modifications législatives « afin de créer un recours au Tribunal administratif du Québec (TAQ) pour les personnes insatisfaites d’une décision du Bureau des recours ».
Le rapport conclut principalement que « L’AFE doit adopter des pratiques respectueuses de la Loi sur la justice administrative ». D’ici le 4 avril 2022, un plan de travail avec les actions entreprises par L’AFE ainsi qu’un échéancier devront être envoyés au Ministère de l’enseignement supérieur. ⊘
10 ans plus tard, le Québec se souvient et le souffle du printemps érable se fait de nouveau sentir. Alors que de nombreuses associations étudiantes ont voté des grèves cette semaine pour la gratuité scolaire et la justice climatique en commémoration de la plus grande manifestation du printemps érable qui comptait, le 22 mars 2012, entre 100 000 et 200 000 participant·e·s, Le Délit vous raconte la crise étudiante à travers les témoignages de ceux·lles qui l’ont vécue, de près ou de loin.
Il y a bientôt 10 ans jour pour jour, alors que le printemps érable battait son plein, mon école secondaire votait une grève de trois jours à majorité de 91% en soutien au mouvement étudiant. Cela faisait plusieurs semaines que j’arborais fièrement le carré rouge, du haut de mes 13 ans, comme nombre de mes collègues de classe. Nous envisagions déjà notre arrivée sur les bancs d’universités qui allait se faire, pour certain · e · s, plus vieux · illes, quelques années plus tard, et nous avions compris l’importance de nous battre contre la hausse des droits de scolarité. Il en allait de l’avenir de notre éducation. Durant ces trois jours de grève, autour du 22 avril 2012, nous étions des centaines à nous lever à 5h30 et à nous diriger vers les lignes de piquetage, peinture rouge au visage. Toute la matinée durant, nous gardions vaillamment les portes de notre école, avant de nous diriger au centre-ville afin de participer aux manifestations en après- midi. 10 ans plus tard, les souvenirs de ce printemps mouvementé et le son des casseroles sont encore gravés dans ma mémoire.
AYMERIC TARDIF Éditeur Société – Opinion
Le printemps érable était super inspirant pour moi. J’étais encore au primaire à l’époque. Je voyais le mouvement des casseroles et je me disais : « Moi aussi, je veux faire du bruit » . C’est peut- être ça, dans le fond, qui m’a encouragée à m’impliquer dans la mobilisation étudiante pour la justice climatique. Les manifs, c’est bien sûr des revendications, mais c’est aussi toute une ambiance. Crier à l’unisson, être en ligne de front, marcher aux côtés de milliers de personnes, c’est assez indescriptible comme sentiment. Tout autour de toi, c’est effervescent, uni et beau. Tu deviens émotionnelle assez rapidement. 2012, c’était aussi ça, et il · elle · s nous ont montré le chemin. Je me souviens d’avoir découpé des ronds verts dans les locaux de Greenpeace en préparation à la manif du 27 septembre 2019, et je me dis que ce ne devait pas être si différent de découper des carrés rouges! Je le vois un peu comme l’héritage du printemps érable pour les jeunes d’aujourd’hui et sur les générations à venir. Une sorte d’appel à la mobilisation, à la défense de nos droits collectifs, à un monde plus inclusif.
NATACHA PAPIEAU Coordonatrice à la correction
Dans ma banlieue de la Rive- Sud, le printemps érable se faisait moins remarquer : le bruit des casseroles et des grosses manifestations de Montréal ne se rendait pas jusqu’à nous. Ce qui n’est pas pour dire qu’on ne vivait le mouvement qu’à travers la télévision. Pour moi, le printemps érable, c’était des débats échauffés à table entre mon frère, à l’époque étudiant à l’université, et mes parents, qui soutenaient le mouvement, mais s’inquiétaient de l’intransigeance de certains groupes étudiants; c’était aller en famille dans une manifestation dans notre ville rassemblant une cinquantaine de personnes; c’était voir dans Le Devoir une photo de mon frère en train de se faire arrêter; c’était mettre un carré rouge sur mon sac d’école. C’était aussi convaincre une amie de sortir dans la rue taper sur des casseroles, seulement nous deux; par conviction, mais aussi pour le sentiment de contribuer à un mouvement plus grand, même s’il était bien loin de nous.
LOUISE TOUTÉE Éditrice Société – Enquête
Chronologie des évênements
Le 11 mars 2011, le ministre des Finances du Québec Raymond Bachand, membre du cabinet du gouvernement libéral de Jean Charest, dépose son budget annuel et annonce une augmentation des frais de scolarité de 325$ par année jusqu’en 2017. Résultat : les frais devaient pratiquement doubler en seulement cinq ans. Dès novembre 2011, les étudiant·e·s se mobilisent à travers la province. L’université Mcgill suit le mouvement…
10 novembre 2011 : Occupation du Pavillon James et répression policière sur le campus
Des étudiant·e·s de Mcgill manifestent devant le bureau du premier ministre du Québec, devant le portail Roddick. Au même moment, 14 étudiant · e · s entrent dans le Pavillon James, siège de l’administration de l’université, et occupent le bureau de la principale. Une foule d’environ 200 personnes se rassemble en soutien autour du bâtiment. Peu de temps après, plus d’une centaine de policiers · ères anti- émeutes arrivent sur le campus et dispersent violemment la foule et les témoins à l’aide de coups de bâtons, de gaz lacrymogènes et de poivre de cayenne.
7 février 2012 : Deuxième occupation du Pavillon James
Les élèves du collège de Salaberry- de-valleyfield sont les premier · ère · s à se prononcer en faveur d’une grève générale illimitée, par une majorité de seulement 12 voix. Le même jour, des dizaines d’étudiant · e · s mcgillois · es occupent de nouveau le sixième étage du Pavillon James. Cette fois- ci, l’occupation s’étend sur cinq jours et est relative à un enjeu plus local : le refus de l’administration de reconnaître le résultat d’un référendum sur la survie de QPIRG Mcgill ( Quebec Public Interest Research Group at Mcgill) et de la radio étudiante CKUT.
Joël Pedneault, vice- président externe de l’association étudiante de l’université Mcgill (AÉUM) en 2012, se souvient des événements. « Les occupations ont vraiment été hard, confie- t- il au Délit. Ils fermaient l’électricité pour que les gens aient froid. » Selon lui, on peut voir dans cette tactique d’occupation l’influence des mouvements étudiants américains, qui se sont fait connaître à Mcgill par l’engagement d’étudiant · e · s internationaux · les. Des occupations similaires avaient notamment été organisées en Californie quelques années plus tôt pour contester une hausse fulgurante des frais de scolarité.
Mars 2012 : Votes de grève à Concordia et Mcgill
Le 7 mars, les étudiant·e·s de l’université Concordia se prononcent en faveur d’une grève et descendent dans les rues. Des pamphlets traduits en anglais, notamment grâce aux efforts de la Coalition large de l’association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) et aux initiatives « grassroots » de l’union des étudiants et étudiantes de Concordia (CSU), sont distribués sur le campus.
Dans le courant du mois, de plus en plus d’associations étudiantes votent en faveur de jours de grève et d’une grève illimitée. À Mcgill, des membres de la Faculté des Arts, avec l’aide de Joël Pedneault, organisent une assemblée générale pour effectuer un vote de grève. « C’est devenu tout simplement chaotique, se rappelle-t-il. Les plus grands locaux du campus peuvent accueillir environ 800 personnes, mais des milliers de personnes se sont pointées à la porte du Centre universitaire. » Une file d’attente commençant devant le bâtiment s’étirait jusqu’au bâtiment de génie.
En urgence, on réserve toutes les grandes salles disponibles. Au final, près de 2 000 étudiant·e·s étaient dispersé·e·s dans différents bâtiments du campus, dont Leacock 132 et la salle de bal. Afin de procéder à un vote, des outils comme la visioconférence ont été utilisés. Finalement, la foule a voté non, de façon claire, à la grève pour la Faculté des Arts.
Cet échec, loin de démoraliser les associations étudiantes, a plutôt encouragé ses membres à tenir des votes à plus petite échelle. Plusieurs programmes ont ainsi voté des grèves d’un à trois jours, comme l’école de musique ou l’association étudiante du campus de Mcdonald (AÉCM) ; certains ont même voté pour une grève illimitée, comme l’école de travail social ou le Département de géographie. Néanmoins, les votes de grève ont connu aussi de nombreux échecs, comme dans la Faculté de droit, d’architecture et de médecine.
22 mars 2012 : Manifestation monstre dans les rues de Montréal
Le 22 mars, entre 100 000 et 200 000 personnes sillonnent les rues de Montréal, de la Place du Canada vers le Vieux-montréal. En entrevue avec Le Délit, Martine Desjardins, présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) en 2012, décrit cette journée chaude et ensoleillée comme un moment marquant de la mobilisation : « C’est comme si la météo s’était mise dans l’idée qu’il fallait que tout soit parfait – il devait bien faire 20 degrés à l’extérieur! »
David Deault-picard, manifestant, alors étudiant de troisième année à l’université de Montréal, se rappelle avec émotion de la mobilisation : « Pour un étudiant en science politique, c’est quand même le rêve suprême de vivre un moment politique, de faire partie de quelque chose de plus grand que soi ». Le nombre important d’étudiant·e·s réuni·e·s cette journée-là était impressionnant. Même à la fin du parcours, Martine Desjardins continuait de voir des gens arriver : « Pour le discours que j’ai dû donner à la fin – on était en bas de la place Jacques- Cartier, je voyais juste des gens; il n’y avait plus de pavé nulle part. Ça n’arrêtait pas d’arriver, c’était assez fascinant. »
Selon Joël Pedneault, il y avait quand même un bon niveau d’hostilité à l’échelle du campus. Le mouvement des carrés verts, qu’il décrit comme une affaire « assez québéco-québécoise », n’était pas présent sur le campus. Toutefois, un mouvement des gens de droite, affiliés aux partis conservateurs canadien – qui venait d’être réélu en 2011 – et ontarien, mettaient leur coordination et leur expérience politique au service du camp anti-grève : « On était la seule université où on avait carrément des gens du parti conservateur qui étaient contre nous ». Plusieurs personnes n’étaient par ailleurs pas antipathiques à la cause des carrés rouges, mais leur situation précaire – de par leur statut légal, dépendant d’un visa étudiant, ou de leur situation financière – les amenait à voter contre la grève. Il y avait finalement une déconnexion qui régnait dans certains cercles du campus : Joël Pedneault cite notamment un professeur de sociologie qui, vers la fin du printemps, alors que les manifestations dans les rues étaient impossibles à ignorer, avait demandé à l’un de ses collègues ce que signifiait le carré rouge que celui-ci portait.
« J’ai un souvenir assez vif de ce moment-là (du 22 mars), un moment rempli d’espoir et de fierté. On avait l’espoir que le gouvernement allait entendre la voix de la rue. Sa réponse a été : “Il n’y a pas eu de grabuge. Bravo” »
Martine Desjardins, présidente de la FEUQ en 2012
Il y avait malgré tout une diversité au sein des personnes mobilisés pour la grève : francophones, anglophones, étudiant·e·s internationaux·les. Mcgill et Concordia ont fait l’effort d’inclure tous·tes les étudiant·e·s dans la mobilisation pour faire en sorte que la lutte relative aux frais de scolarité ne se limite pas au contexte québécois, mais revendique aussi des gains à l’international. « On a essayé de tirer le mouvement étudiant vers cette analyse-là aussi, alors que ça aurait pu rester très “il faut que les gens du Québec qui paient des taxes aient accès à l’éducation sans frais de scolarité”. » Joël Pedneault remarque par ailleurs que parmi les gens impliqués, une majorité provenait bien sûr du Québec, mais certaines personnes étaient aussi issues des ÉtatsUnis, ayant eu vent d’autres causes ailleurs dans le monde. C’était une rencontre entre plusieurs interprétations qui se mélangeaient et qui s’opposaient à un « gouvernement néolibéral qui voulait faire en sorte que la vie soit chère, qui voulait privatiser ».
Avril : Ne te démobilise pas d’un fil
Après l’adrénaline et la mobilisation du 22 mars, le plus gros défi est de maintenir le moral des troupes, alors que les étudiant·e·s commencent à voir des impacts sur leurs études. « On commençait tranquillement à prévoir qu’on allait perdre énormément de votes de grève alors que le gouvernement refusait toujours de nous rencontrer. Je dois dire que ç’a été un moment où on s’est dit : “Ça y est, c’est terminé.” »
Parallèlement, les demandes d’injonctions d’étudiant·e·s qui souhaitent retourner en classe malgré la grève commencent à fuser de toute part. 25 injonctions auraient été demandées aux tribunaux durant le conflit. Les injonctions à l’université de Montréal se reflétaient particulièrement sur les campus selon David Deault-picard. Il se souvient d’« avoir vu des chargés de cours qui avaient des agents de sécurité pour s’assurer qu’ils dépasseraient la ligne de piquetage et iraient donner leur cours ».
Le 20 avril, lors d’un discours au Salon Plan Nord, Jean Charest blague sur les manifestations. En faisant référence aux manifestant·e·s, il déclare : « On pourrait leur offrir un emploi… dans le Nord, autant que possible. » La pilule ne passe pas auprès des étudiant·e·s : les votes de grève sont maintenus et la mobilisation continue. Martine Desjardins remercie presque le premier ministre de l’époque : « Le gouvernement nous a donné une boîte de secours en se moquant des étudiants de la sorte. Le mépris gouvernemental nous a beaucoup aidés à remobiliser les campus ». Quatre jours plus tard, les manifestations de nuit commencent, en marge de la stratégie des grandes associations étudiantes. Ces rassemblements se déroulaient tous les soirs, une initiative « grassroots » que la CLASSE et la FEUQ ne contrôlaient pas, souligne Martine Desjardins. Le souvenir de ces manifestations est particulièrement poignant pour Joël Pedneault : « On était quand même toutes les nuits à manifester, vraiment toutes les nuits, des manifs de 20 000 personnes ou plus ».
« Je me rappelle de moments où les gens, spontanément, se mettaient à lire de la poésie lors de manifestations, et les gens s’asseyaient pour écouter. Ça arrêtait la manif. Il y avait une sorte d’effervescence de créativité »
Joël Pedneault, vice-président de L’AÉUM en 2012
« [Les corps policiers] larguaient des lacrymogènes sur la foule avec les hélicoptères qui volaient bas pour pousser les gaz vers la foule, c’était militaire »
Joël Pedneault, vice-président de L’AÉUM en 2012
18 mai 2012: Adoption de la Loi 78
Pour calmer les manifestations, une loi spéciale est adoptée par le gouvernement Charest : les organisateur · rice · s de manifestations doivent désormais divulguer leur itinéraire aux policier · ère · s et ne peuvent bloquer l’accès aux cégeps et universités. Des amendes importantes sont données à tout · e contrevenant · e.
Pour Martine Desjardins, l’adoption de la Loi 78 a été l’un des moments les moins porteurs d’espoir : « On était à l’assemblée nationale, au Salon bleu, quand ça a été voté. Les gens pleuraient autour de moi. On se demandait si le mouvement allait se poursuivre. On avait l’impression que tout était fini » . Pour David Deault- Picard, l’adoption de la loi spéciale a été le coup le plus dur qu’il a eu à encaisser durant le mouvement. « C’était quand même la première fois que je vivais la coercition de l’état » , raconte- t- il. Il est convaincu que la judiciarisation n’est pas la bonne façon de gérer un conflit politique. « On mettait en conflit le droit individuel d’accéder à ta salle de classe avec le droit collectif d’avoir accès à l’éducation. Il y avait une certaine lâcheté, je pense, dans cette façon de faire. »
Les casseroles ont alors commencé à se faire entendre en protestation contre la loi spéciale et sont devenues le symbole du mouvement populaire. Pour Joël Pedneault, c’est à ce moment que les gens ont réalisé que la grève était en train de donner les résultats escomptés. « Quand le mouvement s’est rendu là, on sentait qu’on était vraiment en train de faire du chemin, que notre petite grève qui portait sur des frais de scolarité était devenue le mouvement de masse qu’on avait prévu ».
4 mai 2012 : De violents affrontements à Victoriaville marquent l’esprit des Québécois.es
À Victoriaville, une manifestation à l’occasion du Congrès du Parti libéral tourne à l’affrontement et à l’émeute. Des manifestant · e · s sont blessé · e · s : blessures aux yeux, commotions cérébrales, fractures de la mâchoire. Un policier de la Sûreté du Québec est suspendu pendant plus d’un mois. Les événements de Victoriaville font aussi échos à de précédents incidents, notamment où un étudiant a perdu l’usage d’un oeil après qu’une grenade assourdissante lui ait explosé au visage.
En entrevue avec Le Délit, Joël Pedneault raconte ces événements comme un des moments les plus épeurants : « On s’est fait vraiment taper dessus. Ils larguaient des lacrymogènes sur la foule avec les hélicoptères qui volaient bas pour pousser les gaz vers la foule, c’était militaire. Il y a des moments comme ça où j’ai craint pour ma sécurité. J’ai perdu mes lunettes dans cette manif-là, à cause d’un lacrymo qui m’a explosé aux pieds, parce qu’ils en larguaient tellement » . Ce n’était pourtant pas sa première manifestation où le corps policier présent a utilisé des moyens non ciblés pour disperser la foule. Cette fois- ci, cependant, la Sûreté du Québec – qui était « vachement plus brutale » que le Service de Police de la Ville de Montréal ( SPVM) selon lui – est appelée pour maintenir la paix. « C’est sûr qu’après ça, on finit par craindre la police, quand même. »
Bien que les événements de Victoriaville soient exceptionnels, l’utilisation de la force par les corps de police est chose commune dans les autres manifestations de la province. Même s’il dit avoir toujours su quitter avant que la répression policière ne commence, David DeaultPicard se rappelle avoir vu « des scènes un peu traumatisantes » liées à l’utilisation de la force. « Je respecte beaucoup les individus derrière, mais ça, l’utilisation de la violence, c’est quand même quelque chose qu’on ne voit pas souvent au Québec. » Même son de cloche du côté de Joël Pedneault : « C’est choquant, ça fait peur pour la démocratie de se faire encercler par la police » . Il se rappelle très clairement avoir été menotté, mis dans un bus, amené dans l’est de la ville, puis mis à la rue à deux heures du matin. « Ça serait faux de dire qu’on s’y habitue. » Un groupe d’avocats en entretien avec Le Délit confirme aussi ce type d’expériences chez les manifestant · e · s dans la Ville de Québec : « Ils avaient été privés de leur liberté, menottés, transportés en autobus en pleine nuit, puis ils ont été relocalisés avant d’être relâchés » .
4 septembre 2012 : Pauline Marois, cheffe du Parti Québécois, est élue première ministre
Les élections déclenchées le 1er août 2012 par Jean Charest, dans l’espoir de mettre fin à la crise et d’être réélu, ont vu Pauline Marois, cheffe du Parti Québécois, accéder au poste de première ministre. Rapidement, cette dernière annule la hausse des droits de scolarité et abroge la loi 78. Pour David Deault- Picard, l’élection du Parti Québécois était la dernière chance du mouvement étudiant : « Honnêtement, si le PQ n’avait pas gagné, je ne suis pas sûr qu’il y aurait finalement eu le résultat qu’on connaît » .
L’un des député·e·s élu·e·s au sein du gouvernement minoritaire de Pauline Marois de 2012 à 2014 est Léo Bureau- Blouin, leader étudiant et président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) durant le printemps érable. Ce dernier qui, à 20 ans, est devenu le plus jeune parlementaire de l’histoire du Québec, a affirmé dans un courriel envoyé au Délit « garder un souvenir extrêmement positif des événements du printemps 2012, qui ont eu une grande influence sur [ sa] trajectoire de vie, tant personnelle que professionnelle » .
Jean Charest et Line Beauchamp, quant à eux·lles, ont décliné nos demandes d’entrevue.
Cette planification s’est révélée encore plus précieuse alors que la grève étudiante se mettait en branle. Pour Joël Pedneault, une des raisons du succès de la grève est l’approche méthodique de la mobilisation, approche qui avait pour but d’éviter des moments de démobilisation – comme un gros cégep qui aurait voté contre la grève et qui aurait brisé le momentum. « Il y avait tout le temps un genre de système de calcul, de paliers ; c’était cybernétique leur affaire. » Le plan de la FEUQ, explique Martine Desjardins, était de s’assurer d’avoir le plus de facultés en grève le 22 mars. « Il fallait cibler à quel moment les gens partaient en grève. Ceux qui étaient les plus réticents, il fallait les prendre à la fin, pour avoir la force du nombre, raconte-t-elle. L’idée était de préparer le terrain de façon assez cartésienne. Il n’y avait pas grand-chose qui était laissé au hasard. »
Au- delà de la planification, un des éléments clés, selon Martine Desjardins a été le pragmatisme du mouvement, qui avait un objectif clair et réaliste. Selon elle, c’est ce qui a manqué au mouvement du printemps 2015, dont les demandes étaient nombreuses et éparpillées. « En 2012, rappelle- t- elle, chacune des associations avait des positions sur la gratuité scolaire, le gel des frais, les indexations ; mais elles ont toutes laissé tomber leur positionnement idéologique pour être juste contre la hausse. » Cette alliance entre différentes associations étudiantes n’allait pourtant pas de soi. L’ASSÉ, mouvement à l’origine de la CLASSE, s’était formé en 2005 « pour tuer la FEUQ », qu’elle considérait traître du mouvement étudiant en négociant avec le gouvernement sur l’enjeu des aides financières aux études. Il a donc fallu unifier ces associations aux visions totalement différentes. « Aucun groupe étudiant ne tenait de discours sur la gratuité scolaire, explique Martine Desjardins. C’était un choix réfléchi et stratégique ; c’est la même raison pour laquelle on a rebrandé toutes les affaires pour éviter qu’on soit pris dans nos discours idéologiques, parce qu’on ne s’en serait pas sorti autrement. »
Pour Joël Pedneault, le succès de la grève s’explique aussi par le timing de celle-ci, tout autant sur le plan du contexte québécois que du contexte global. « On sentait que la soupe était chaude, que le peuple était prêt à ça. Il y avait comme un genre d’“écoeurantite” par rapport à ce gouvernement libéral. » D’une manière plus large, il juge que la grève des carrés rouges s’inscrivait dans un mouvement mondial. « C’était un peu l’aboutissement d’un cycle, du mouvement altermondialiste, avec la mobilisation de 1999 à Seattle, puis contre la zone de libre-échange des Amériques en 2001, explique-t-il. Ça a fait en sorte qu’il y avait une génération de gens qui, en 2012, avaient à peu près l’âge que j’ai aujourd’hui et qui étaient en mesure de transmettre des connaissances militantes ainsi que l’énergie et la détermination nécessaires à des gens plus jeunes. » À la suite de l’élection du gouvernement péquiste de Pauline Marois, une entente relative aux droits de scolarité est rendue début 2013 à l’occasion du Sommet de l’enseignement supérieur. Cette entente, toujours en vigueur, prévoit une indexation annuelle des droits de scolarité des résident·e·s du Québec en fonction de la croissance du revenu disponible des ménages par habitant · e. Selon un rapport gouvernemental du Comité consultatif sur l’accessibilité financière aux études, l’augmentation des droits de scolarité des résident · e · s du Québec a été de 25,71% sur neuf ans, soit une hausse totale de 557,40$ pour 30 crédits universitaires.
En moyenne, l’indexation des droits de scolarité en fonction des revenus des Québécois · e · s représente une hausse d’environ 2,3% par année, alors que l’inflation subit une augmentation d’environ 1,5% par an. Si on ajoute les frais afférents relatifs notamment aux services étudiants, les étudiant · e · s du Québec paient 875$ de plus aujourd’hui qu’en 2013 pour 30 crédits universitaires, comme le rapportait récemment Francis Vailles dans La Presse. Cela peut paraître beaucoup, mais la facture aurait été largement plus salée sans la victoire du mouvement étudiant.
« On sentait que la soupe était chaude, que le peuple était prêt à ça. Il y avait comme un genre d’“écoeurantite” par rapport à ce gouvernement libéral »
Joël Pedneault, vice-président de L’AÉUM en 2012
la jeunesse d’aujourd’hui était plus individualiste qu’autrefois. Je crois qu’on a su prouver le contraire avec ce mouvement-là, affirme- t- il. Ultimement, ça a démontré que la démocratie, ce n’est pas juste de voter une fois aux quatre ans, elle peut être plus vivante que ça. »
Les associations étudiantes
Les événements de 2012, bien qu’ayant donné une visibilité sans précédent aux associations étudiantes, n’ont pas eu que des retombées positives sur ces dernières. Parmi les trois principales organisations, seule la FECQ, représentant des
étudiant · e · s du cégep, a survécu à 2012. La FEUQ, elle, a été dissoute en 2015, et L’ASSÉ, qui avait créé le collectif la CLASSE, a cessé d’exister en 2019; même la TACEQ, dont faisait partie L’AÉUM, s’est dissoute en 2014. Selon Martine Desjardins, l’échelle du mouvement de 2012 a peut- être été à double tranchant. « C’est difficile de revenir de ça, parce que ça a épuisé beaucoup de monde, physiquement, mentalement et monétairement aussi. » Selon elle, certaines personnes ont par la suite romantisé la grève, en oubliant les côtés négatifs qu’elle comportait au jour le jour, mais aussi à l’échelle des organisations. « Je pense qu’il y a encore des gens qui s’en vont dans les associations en espérant qu’il y ait quelque chose qui bouge, qu’il y ait des actions, puis ils sont déçus que ce soit en fait du travail de base, comme représenter les étudiants sur les différents comités, conseils académiques, etc. Ils doivent être un peu désillusionnés par cette réalité. » Le bilan de la grève a surtout créé un précédent préoccupant, non seulement pour les associations étudiantes, mais aussi pour les associations syndicales. Martine Desjardins affirme se souvenir d’avoir discuté avec des président·e·s de grandes centrales syndicales, comme la CSN, la FTC ou encore la CSQ. « Ils me disaient : “Ça va être difficile pour nous, on s’en va en négociation de convention collective. Si vous ( les associations étudiantes, ndlr) vous écrasez après sept mois, et que ça a dû être réglé par des élections, qu’est-ce qui nous reste? Si une grève de sept mois, c’est pas assez pour faire reculer le gouvernement, qu’est-ce qui va rester pour les syndicats par la suite?” »
Martine Desjardins ne regrette pas pour autant les choix de 2012, et affirme ne pas être particulièrement triste que la FEUQ se soit éteinte. « Quand on s’est rencontré en mai 2011 pour planifier ce qui s’en venait, on s’était dit qu’on était prêts à tuer l’organisation pour atteindre nos objectifs. » La FEUQ ne s’est par conséquent pas mise de l’avant durant les événements : elle a enlevé son logo des pancartes lors des manifestations et n’a pas fait de branding – contrairement à la CLASSE. Martine Desjardins ne pense pas non plus que les
« Les étudiants s’endettaient plus que la moyenne canadienne, ils travaillaient plus aussi – 19 heures par semaine, ça n’a aucun sens. Dans ces conditions, on voyait mal comment ils pouvaient faire face à une hausse de 75% »
Martine Desjardins, présidente de la FEUQ en 2012
associations étudiantes sont aujourd’hui moins bien placées qu’elles ne l’étaient en 2012. « La grande différence avec ce qu’on a vécu en 2012, c’est qu’il y a quand même un respect de la part des gouvernements pour les associations étudiantes. » Dans le cadre de la gestion de la pandémie, note-t-elle, la ministre Mccann parlait avec les associations nationales – ce qui, selon l’ex-leader étudiante, n’aurait jamais pu se produire sans le printemps érable. « Les gens ont vu jusqu’où ça menait, le mépris. »
La répression policière du côté des tribunaux
Plusieurs manifestant·e·s victimes d’arrestations arbitraires lors de manifestations en 2012 ont par la suite pris la voie des tribunaux pour obtenir des dédommagements. En 2017, par exemple, un juge a condamné la Ville de Montréal a verser 175 000$ à un manifestant blessé à l’oeil par un fragment d’une grenade assourdissante lors d’une manifestation. Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) n’utilise plus ce type de grenade dans le but de réprimer des manifestations.
Le 28 mai 2012, à Québec, les participant·e·s d’une manifestation nocturne se font encercler par des policiers du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) et se font arrêter massivement en vertu de l’article 500.1 du Code de la sécurité routière (déclaré inconstitutionnel en 2015), qui interdisait aux manifestants·e·s d’occuper la chaussée de manière à y entraver la circulation. 84 personnes sont menottées à l’aide de bandes de plastique et sont ensuite déplacées à bord d’autobus qui quittent dans diverses directions. À la suite de ces événements, l’un des manifestants intente une poursuite contre la Ville de Québec et la Cour déclare que ses droits de nature constitutionnelle ont été violés. 4 000$ lui sont octroyés en guise de dédommagement. Les manifestant·e·s ayant participé à la manifestation du 28 mai, ainsi que d’autres autour de cette date, n’ont jamais été appelés en cour, malgré qu’il·elle·s s’étaient vu remettre des constats d’infraction. Même s’il·elle·s n’ont jamais été déclaré·e·s coupables, ces dernier·ère·s ont lancé une action collective contre la Ville de Québec. En entrevue avec Le Délit, Me Enrico Théberge, l’un·e des avocat·e·s au dossier, explique que les manifestant·e·s cherchaient à savoir s’il·elle·s avaient réellement commis des actions illégales. Selon Me Florence Boucher- Cossette, une collègue de Me Théberge, l’essence de l’action collective était de faire valoir que les actions des policier·ère·s qui ont procédé à l’arrestation et à la détention des manifestant·e·s étaient illégales, car ils avaient bafoué leurs droits constitutionnels. L’ennui, c’est que, selon la Loi sur les cités et villes, on dispose de six mois après un événement préjudiciable pour poursuivre une ville. Une fois ce délai de prescription écoulé, on n’a plus aucun recours. Or, l’action collective a été lancée des années après les manifestations. Me Gabriel Michaud-brière, qui travaille aussi sur l’action collective, explique que le succès de cette dernière dépend du succès de l’argument des avocat·e·s selon lequel le délai de prescription aurait en fait été suspendu ou, subsidiairement, qu’il est inconstitutionnel. Le procès a eu lieu en 2019 et la décision se fait toujours attendre.
« Quand ce sont des étudiant·e·s qui manifestent de manière pacifique, on les arrête, car il·elle·s sont faciles à gérer. Par contre, quand il s’agit de larges foules lors des manifestations contre les mesures sanitaires, il n’y a pas d’arrestations de masse. C’est inquiétant » Me Enrico Théberge, avocat de manifestant·e·s
Toutefois, les avocat·e·s sont optimistes. « J’ai rarement été autant convaincue d’une cause que j’ai plaidée », affirme Me Boucher- Cossette. Elle croit cependant que les actions collectives ne sont pas de réels moteurs de changement : « C’est tellement lent et complexe. On parle d’événements qui se sont passés il y a 10 ans et on n’a toujours pas de réponse. » Me Michaud-brière précise que peu importe le résultat, l’affaire a de bonnes chances de se retrouver devant la Cour d’appel du Québec et même devant la Cour suprême, ce qui veut dire qu’on ne risque pas d’avoir de réponse définitive avant plusieurs années.
En 2014, le rapport de la Commission spéciale d’examen des événements du printemps 2012 blâme le gouvernement Charest et la police pour leur gestion de la crise étudiante. Le rapport critique notamment les stratégies d’encerclement et d’arrestations de masse. Malgré cela, Me Boucher Cossette ne croit pas que beaucoup de choses ont changé dans les corps policiers. Pour Me Théberge, il semble y avoir un double standard : « Quand ce sont des étudiant·e·s qui manifestent de manière pacifique, on les arrête, car il·elle·s sont faciles à gérer. Par contre, quand il s’agit de larges foules comme on a vu à Ottawa et à Québec lors des manifestations contre les mesures sanitaires, il n’y a pas d’arrestations de masse. C’est inquiétant ».
Aller de l’avant
Aujourd’hui, l’héritage du mouvement des carrés rouges est toujours d’actualité, et pas seulement en raison des nombreux articles d’anniversaire sortis ce printemps dans les médias. Gabriel Nadeau-dubois, que le printemps érable avait catapulté dans l’oeil du public, est aujourd’hui solidement campé comme chef du deuxième groupe d’opposition et tentera de se faire élire comme premier ministre en automne prochain. D’un autre côté, Jean Charest effectue un retour en politique exactement 10 ans après avoir perdu le pouvoir, montrant que les conséquences du mouvement des carrés rouges ne sont pas permanentes.
Au-delà des personnalités médiatiques, l’influence du printemps érable se fait toujours sentir dans les mobilisations populaires, étudiantes ou non. Lors des grèves étudiantes et des manifestations pour la justice climatique, dont la plus importante a eu lieu le 27 septembre 2019, les sympathisant·e·s arboraient un cercle vert en feutre pour montrer leur soutien au mouvement, rappelant le carré rouge. Plus localement, l’occupation du bâtiment des arts par
Désinvestissement Mcgill a choisi comme symbole un cercle rouge, mélange des symboles des luttes contre la hausse et de celles pour l’environnement. Le 22 mars, une manifestation pour la gratuité scolaire était aussi prévue à Montréal, à la date symbolique de la plus grande manifestation du printemps 2012.
10 ans plus tard, le défi pour les militant·e·s étudiant·e·s n’est pas seulement de préserver les acquis de 2012, mais aussi de sortir de l’ombre laissée par le mouvement. « Il faut réinventer la manière de se mobiliser », affirme Joël Pedneault, alors qu’on lui demande s’il a des conseils pour les nouvelles générations d’associations étudiantes. « Se dire qu’il faut essayer de reproduire
2012, je ne suis pas sûr que ça fonctionnerait. On est probablement au début d’un nouveau cycle, qui va réinventer ses propres manières de faire. » Pour Martine, il est aussi important de ne pas idéaliser le mouvement de 2012 et de ne pas voir la grève comme seul moteur de changements sociaux. Elle devrait plutôt être le dernier recours après l’échec des négociations et de toutes les autres méthodes. Et surtout, il faut encore et toujours planifier, et avoir des objectifs atteignables. « Ce n’est pas un discours qui est très amusant à entendre quand on a 20 ans », concède en riant celle qui, alors étudiante au doctorat, était déjà trentenaire durant le printemps érable. « Si à 20 ans on n’est pas un peu idéaliste, c’est un peu triste rendu à 40. » ⊘
« Je pense qu’il y a encore des gens qui s’en vont dans les associations en espérant qu’il y ait quelque chose qui bouge, qu’il y ait des actions, puis ils sont déçus que ce soit en fait du travail de base, comme représenter les étudiants sur les différents comités, conseils académiques, etc. »
Martine Desjardins, présidente de la FEUQ en 2012
« Quand tu allais dans la rue, tu ne savais pas s’il y allait avoir deux personnes, 2000 ou 20 000. Quand on sort du métro, on voit les carrés rouges partout, et on se rend compte : “Je ne suis pas le seul à penser ça” »
David Deault-picard, étudiant en science politique en 2012