Les coulisses du mouvement
Le succès de la grève de 2012 a ce qu’il faut pour redonner confiance aux mouvements de contestations étudiantes. Cela peut cependant mener à oublier les nombreuses grèves au Québec, étudiantes ou non, qui n’aboutissent à aucun gain concret. On peut penser notamment à la grève du printemps 2015, ou même aux grèves plus récentes pour la justice climatique. Quel a donc été le secret de la grève de 2012?
Pour Martine Desjardins et Joël Pedneault, les raisons de ce succès se trouvent en partie dans une préparation solide qui s’est échelonnée sur les années précédant la grève. « On parle beaucoup de 2012, mais ça a quand même commencé plus tôt », explique Martine Desjardins. Au cours des années précédentes, la FEUQ avait déjà réalisé une étude sur les conditions de vie étudiante à travers les universités, en passant en entrevue des étudiant·e·s de plusieurs universités, tous niveaux d’études confondus. « On a réalisé que ce n’était pas vraiment rose : les étudiants s’endettaient plus que la moyenne canadienne, ils travaillaient plus aussi – 19 heures par semaine, ça n’a aucun sens. Dans ces conditions, on voyait mal comment ils pouvaient faire face à une hausse de 75%. » Le spectre d’une hausse des frais de scolarité planait sur le milieu étudiant bien avant l’annonce officielle du gouvernement en 2011. Joël Pedneault se rappelle une tentative de grève à l’automne 2007 : le gouvernement Charest avait à l’époque annoncé un dégel des frais de scolarité pour une augmentation de 50 dollars par session pendant cinq ans. Cela soulevait une question évidente : qu’allait faire le gouvernement en 2012, à la fin de la période de cinq ans? « On se doutait bien qu’il n’allait pas regeler les frais de scolarité, raconte Joël. Ça a fait en sorte qu’en 2007, on savait déjà qu’en 2012, il y aurait probablement un autre conflit, une occasion de mettre de la pression sur le gouvernement. Ça nous a donné du temps. »
Ce temps de préparation, les associations l’ont utilisé pour faire tout le travail préalable nécessaire à une mobilisation : faire connaître les associations ; dénicher des leaders étudiant·e·s en regardant au-delà des milieux traditionnels, comme dans les équipes sportives; organiser de petites grèves d’une demijournée ou d’une journée. « L’idée, c’était de tester nos assemblées générales, de voir quels étaient les bons arguments, les bonnes questions et les bonnes réponses qu’il fallait proposer », explique Martine Desjardins. En effet, il était crucial pour le mouvement étudiant d’adapter le discours aux différents milieux. La mobilisation de l’association étudiante des cycles supérieurs de l’université Mcgill (AÉCSUM), qui était affiliée à la FEUQ, en était un bon exemple. « Encore aujourd’hui, je pense, traiter l’éducation comme un bien commun est quelque chose qui n’est pas très bien compris du côté anglophone. Il fallait donc y aller avec l’enjeu de l’endettement et parler d’accessibilité aux études, et là ça répondait », raconte Martine Desjardins. Finalement, plusieurs actions symboliques ont été organisées pour faire connaître l’enjeu de la hausse des frais de scolarité. À Concordia, une association avait lâché dans un hall de neuf étages 1000 ballons qui avaient flotté jusqu’en haut, pour représenter la hausse des frais. « Ça avait enragé les gens de la sécurité là-bas », se rappelle Martine Desjardins.