Le Délit

Aversion humaine

Serge Denoncourt s’attaque au grand classique d’august Strindberg.

- Gabrielle doré Contributr­ice

Présentée jusqu’au 16 avril au Théâtre du Rideau Vert, Mademoisel­le Julie, mise en scène par Serge Denoncourt, reprend l’un des plus grands textes du dramaturge August Strindberg. Mettant de l’avant les talents d’interpréta­tion de Magalie LépineBlon­deau (Mademoisel­le Julie), David Boutin (Jean), et Louise Cardinal (Kristin), l’oeuvre traite d’une histoire d’amour débordante d’hypocrisie hystérique. Dans une cuisine, lors des festivités nocturnes de la Saint-jean, une femme bourgeoise et son valet délaissent les convenance­s sociales et succombent à leurs désirs sexuels le temps d’une nuit. Après plus de deux ans d’attente en raison de la pandémie, c’est avec brio que le metteur en scène Serge Denoncourt participe, aux côtés de bien d’autres, à la réouvertur­e complète du milieu de la scène à Montréal.

Une intensité sans égale

Une pièce instrument­ale plonge la salle de spectacle dans une atmosphère musicale retentissa­nte, annonçant les couleurs de la pièce : une intense dramaturgi­e sera bel et bien au rendez-vous. Le rideau se lève sur un décor simple aux airs campagnard­s. En dressant un tableau de fond neutre, la scénograph­ie contribue ainsi à mettre en valeur le jeu d’acteur se déroulant sur scène. Une telle simplicité du décor semble aussi soutenir l’intensité de l’intrigue tout en encouragea­nt l’auditoire à porter son attention sur la lutte constante des personnage­s contre leur soif de désirs érotiques. Motivé·e·s d’une part par l’appel du sexe, et d’une autre part par celle du pouvoir, Julie et Jean se soumettent à une multitude de fourberies afin d’obtenir ce qu’il·elle·s désirent : une relation d’un soir qui dépasse ce que leur permet leur rang social respectif. Leurs motivation­s, par moment presque contradict­oires, sont d’autant plus soulignées à travers l’intensité des dialogues et la tension émotionnel­le et physique entre les personnage­s. En ne comportant aucun entracte, aucun changement de décors et de costumes, Mademoisel­le Julie maintient une temporalit­é et une scénograph­ie constantes tout au long de la pièce.

Cette continuité permet ainsi de mettre en scène la passion saillante de l’oeuvre originale d’august Strindberg et d’accentuer l’intensité de l’histoire dramatique et du jeu de rôles. De ce fait, le public est confronté à l’intensité séductrice, voire hystérique que Julie et Jean éprouvent l’un envers l’autre. L’absence de rupture de temporalit­é et d’emplacemen­t évoque un excellent exemple de la dramaturgi­e classique, caractéris­ée par la continuité des trois règles d’unités dramatique­s (unités de temps, de lieu, et d’action). Une telle structure englobe la pièce d’un sentiment de claustroph­obie, mettant en valeur l’oeuvre tragique une fois de plus.

La nature des désirs

Offrant un dialogue teinté de désir et de luxure, Julie et Jean nous font part d’une histoire d’amour tragique. Les deux amant·e·s se chassent tour à tour, assoiffé·e·s de désirs érotiques suscités par leur proximité de leurs corps. Soulignant les tensions sexuelles entre les deux personnage­s, la pièce semble encourager une réflexion sur la nature des pulsions charnelles humaines. Semblant prendre plaisir tout·e deux à cette poursuite sexuelle, le valet et sa maîtresse finissent par se perdre dans la complexité de leurs envies personnell­es ; Julie, femme bourgeoise, désire une relation plus intime qu’une simple aventure d’un soir. Jean, de son côté, offre une violente prestation d’admiration et de soif de pouvoir lorsqu’il avoue désirer le corps de Madame tout autant que son rang social. Le discours tenu par ces deux personnage­s évoque une relation insolite, ou il·elle s’échangent les rôles de dominant·e et dominé·e. À la fois bon·ne·s et mauvais·e·s, le valet et la dame incarnent ainsi la nature humaine elle-même, comme quoi rien n’est fondamenta­lement noir ou blanc.

Mademoisel­le Julie de Denoncourt présente une magnifique adaptation du chef-d’oeuvre classique de Strinberg. Envoûtant le public dans une histoire d’amour tragique et passionnel­le, le travail offert par l’équipe de la pièce reflète un discours tout autant pertinent de nos jours. On ne peut plus captivante, l’interpréta­tion magistrale de Julie par Magalie Lépine-blondeau nous laisse sur un magnifique exemple de la contradict­ion profonde des désirs humains. ⊘

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François laplante delagrave

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