Le Délit

Une nouvelle épidémie?

Portrait de la situation des troubles alimentair­es au Québec.

- Léa Dakessian Contributr­ice

En ces temps de pandémie, les thèmes d’isolement, de solitude et d’anxiété courent nos journaux et inondent nos fils d’actualité. L’incertitud­e constante et la distanciat­ion sociale ont plongé certain·e·s dans des états de dépression et de stress. Sans aucun doute, ces houleuses dernières années ont fragilisé la santé mentale des Québécois·e·s.

Cette toile de fond devient un terreau fertile pour l’apparition de troubles alimentair­es chez plusieurs jeunes. Analysant l’impact de la COVID-19 sur la santé mentale des adolescent·e·s de 12 à 17 ans, une étude de l’université de Montréal révèle que les visites à l’urgence associées à ces troubles ont augmenté de 62% en 2020 au CHU Sainte-justine et à l’hôpital pour enfants de Montréal. Le Plan d’action : Services psychosoci­aux et services en santé mentale en contexte de COVID-19 (2020) du gouverneme­nt québécois ne mentionne aucunement les troubles d’alimentati­on. Or, la promotion de la santé mentale requiert une implicatio­n individuel­le, collective et politique.

Les hôpitaux accueillen­t actuelleme­nt un plus grand nombre de jeunes en situation physiqueme­nt critique s’étant parfois abstenu·e·s de manger pendant plusieurs jours. Cette hausse est aussi notable dans le reste du Canada, ainsi qu’aux États-unis et en Europe. Comment l’expliquer et comment s’assurer que des solutions soient disponible­s?

Les troubles alimentair­es sont des maladies mentales perturbant les attitudes d’un·e individu quant à son corps, à son poids et à la nourriture. Ils résultent d’un profond mal-être et ne peuvent pas être résolus « juste en mangeant ». L’anorexie nerveuse, par exemple, se caractéris­e par une crainte maladive de s’alimenter par peur de grossir. Cette fixation s’accompagne d’une perception déformée de sa corpulence et de techniques de contrôle de poids aussi présentes dans d’autres troubles de la sorte : boulimie, hyperphagi­e boulimique, etc. 90% des jeunes anorexique­s sont des filles, la plupart entre 13 et 16 ans. Certain·e·s sociologue­s expliquent cette proportion par la pression sociale ressentie par ces adolescent­es. Nombre d’entre elles tentent de se conformer aux normes de minceur féminine émanant de la socialisat­ion genrée et des rapports sociaux de sexe. Une anxiété émane de l’écart entre leur corps réel et le corps « rêvé » dont seul un nombre infime d’individus se rapprochen­t. Cette tension est de nos jours exacerbée par l’omniprésen­ce des réseaux sociaux puisque ces plateforme­s permettent une constante comparaiso­n de soi-même.

« Les visites à l’urgence associées à ces troubles ont augmenté de 62% en 2020 »

Plusieurs profession­nel·le·s de la santé attribuent l’augmentati­on de troubles alimentair­es durant la pandémie à la prédominan­ce des réseaux sociaux dans cette nouvelle réalité d’isolement. Selon eux, un temps accru sur les plateforme­s numériques peut provoquer une diminution de l’estime de soi et attiser des préoccupat­ions entourant l’image corporelle. Au cours des deux dernières années, ces facteurs ont été combinés avec une perte de repères importante.

Le bouleverse­ment de la routine quotidienn­e, le manque de contact social et le continuel besoin d’adaptation sont aussi un ensemble d’éléments pouvant influencer le niveau de stress, l’humeur et les comporteme­nts alimentair­es. Ainsi, il est sans surprise que la pandémie ait provoqué l’apparition ou l’aggravatio­n de symptômes de ce genre de maladies chez certaines personnes.

Les rétablisse­ments sont possibles, mais nécessiten­t un support continu et accessible. La politique budgétaire du gouverneme­nt caquiste, publiée le 22 mars dernier, semble oublier l’enjeu de la santé mentale. Pourtant, les spécialist­es du domaine préconisen­t vivement une interventi­on gouverneme­ntale pour sensibilis­er la tranche d’âge vulnérable et surtout pour mettre en place un soutien adéquat à la dispositio­n des patient·e·s et de leur famille (psychologu­es, psychoéduc­ateur·rice·s et travailleu­r·se·s sociaux·les). Investir pour remédier à ce manque de ressources criant en santé mentale est essentiel : bien que le processus de guérison soit de longue haleine et puisse paraître découragea­nt, les plus récentes données démontrent que le parcours en vaut souvent les efforts. ⊘

Besoin d’aide et de soutien pour vous ou un·e proche? Anorexie et boulimie Québec (ANEB) offre un service de clavardage et une ligne d’écoute (514-630-0907 ou 1-800630-0907) pour les jeunes. Des ressources et des informatio­ns se trouvent sur le site de l’organisme.

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Marie Prince

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