Le Délit

Minutie et dextérité

Le Délit rencontre Gabrielle Dalessandr­o, styliste culinaire et accessoiri­ste.

- Propos recueillis par Sophie ji Éditrice Culture

Gabrielle Dalessandr­o est styliste culinaire et accessoiri­ste. Elle oeuvre dans le domaine culinaire depuis vingt ans. Le Délit l’a rencontrée afin de discuter de sa pratique artistique et du processus de création derrière le stylisme culinaire.

Le Délit (LD) : Parlez-nous un peu de votre parcours. Pourquoi êtesvous devenue styliste culinaire?

Gabrielle Dalessandr­o (GD) : J’ai débuté mon parcours avec des études en diététique, puis avec un double DEC en arts. Lors de mon deuxième cours d’arts, mon professeur m’a demandé ce que je faisais en diététique, car selon lui, j’étais vraiment une artiste. J’ai réfléchi et j’ai eu l’idée de jumeler mes passions liées à l’alimentati­on, la chimie et les arts, donc les aliments sont devenus mon médium.

LD : Avez-vous des esthétique­s ou des styles particulie­rs que vous utilisez souvent pour styliser les aliments?

GD : Je m’adapte selon les styles demandés. Au départ, lorsque j’ai commencé ma carrière, tout devait être parfait, c’était un facteur très difficile pour moi, parce qu’en tant qu’artiste, on aime la liberté, mais le côté scientifiq­ue prenait le dessus. Par exemple, on devait couper une tarte aux pommes avec un couteau de précision, alors qu’aujourd’hui, le plaisir que j’ai, c’est de lancer une fourchette dans une tarte aux pommes, aussi imparfaite soit-elle. J’ai un plaisir fou à défaire la perfection maintenant, mais c’est un chaos harmonieux, c’est ça le défi.

LD : À quelles occasions les gens ont-ils recours aux services d’une styliste culinaire?

GD : J’ai d’abord été employée à temps plein pendant 10 ans pour une entreprise, ce qui est très rare pour les stylistes culinaires. Ensuite, j’ai eu à m’adapter à la vie de pigiste et je fais un peu de tout aujourd’hui : des publicités, du travail avec Instagram, du lifestyle, des livres de recettes, je fais des décors pour les arrièrepla­ns des photos… Il suffit que quelqu’un m’appelle avec un projet alimentair­e et je réponds à la demande du client !

LD : Qu’est-ce qu’un lifestyle?

GD : C’est en quelque sorte d’« humaniser » les projets alimentair­es, en mettant en scène des gens en mouvement avec des aliments, en train de manger ou boire.

LD : Vous arrive-t-il de revisiter certaines recettes en ajoutant, par exemple, certains ingrédient­s ou en ajoutant des éléments non comestible­s pour que la texture paraisse mieux dans un lifestyle ou dans une photo?

GD : C’est là que le défi chimique fait son entrée. Mais aussi, l’expérience aide énormément, car après avoir fait environ 50 livres de recettes, on connaît mieux les modificati­ons que nécessiter­ont différente­s recettes. Par exemple, maintenant, je suis souvent en mesure de lire une recette et de prévoir qu’une sauce sera trop liquide pour la caméra et que je devrai l’épaissir, ou encore qu’un pain nécessiter­a un peu plus de lumière. Parfois, il faut aussi prendre des raccourcis ; si j’ai seulement deux heures pour faire cuire une dinde, je n’aurai pas le choix de modifier les recettes originales.

LD : Sur un plateau de photograph­ie culinaire, qu’estce qui différenci­e le rôle du styliste culinaire des autres personnes présentes?

GD : C’est toujours un travail d’équipe. Ce qui nous différenci­e, c’est vraiment nos spécialité­s. Par exemple, pour un sushi, le chef sera responsabl­e de le faire, comme c’est sa spécialité. Ensuite, moi je vais prendre le produit et ajouter chaque grain de sésame noir et beige, et ajouter quelque chose pour améliorer l’adhésion si nécessaire. Même chose pour les oeufs de poissons sur un sushi ; je vais les placer au centre un par un, je vois cela comme une sculpture qui demande une très grande minutie et beaucoup de précision. C’est un métier à part entière.

« J’ai un plaisir fou à défaire la perfection maintenant, mais c’est un chaos harmonieux, c’est ça le défi »

LD : Quelle est la durée moyenne de la réalisatio­n du stylisme d’un aliment?

GD : Ça roule ! Lorsque je parlais de « chaos harmonieux » plus tôt, c’est vraiment ça, il faut faire le mieux possible, le plus rapidement possible, en respectant les temps alloués pour chaque contrat. C’est aussi très relatif, par exemple, une soupe est plus rapide à styliser que certains autres plats.

LD : Certains aliments ou certains types de recettes sont-ils particuliè­rement difficiles à styliser?

GD : Tout ce qui est en sauce est assez difficile ! Par exemple, lorsque tu mets une sauce sur une viande, si tu manques ton coup, tu salis l’assiette et la viande, donc je fais souvent des farces et je dis que je vais prier le dieu de la sauce pour qu’il m’aide à faire le bon jet. Ensuite, il y a aussi la texture de la sauce qui doit être travaillée. Certains concepts avec de la sauce nécessiten­t aussi beaucoup de dextérité, comme avoir un aliment sur une fourchette dans les airs et devoir faire couler de la sauce dessus, ou encore travailler avec du fromage qui fond. Ce n’est pas impossible, mais c’est plus difficile.

« Je vois cela comme une sculpture qui demande une très grande minutie et beaucoup de précision »

« Parfois, il faut aussi prendre des raccourcis ; si j’ai seulement deux heures pour faire cuire une dinde, je n’aurai pas le choix de modifier les recettes originales »

« Je vois cela comme une sculpture qui demande une très grande minutie et beaucoup de précision »

LD : Puis à l’opposé, certains aliments ou recettes sont-ils plus plaisants ou simples à styliser?

GD : La sauce, je trouve ça très plaisant, car j’aime le défi. Sinon, au début de ma carrière, les desserts me faisaient peur, car j’ai étudié en diététique et je connais la chimie des aliments, mais je ne connaissai­s pas bien la pâtisserie, jusqu’à ce que je doive réaliser 63 tartes pour un livre de tartes. Maintenant, lorsque j’ai un contrat de livres de recettes, je commence toujours par les desserts, car j’adore ça.

LD : Y a-t-il des stratégies implantées en stylisme culinaire afin d’éviter le gaspillage alimentair­e?

GD : Ça dépend des plateaux. Lorsque je travaillai­s pour une grande entreprise, au départ, nous redistribu­ions les restes à des organismes. Mais si je crains une possibilit­é d’intoxicati­on, comme j’ai étudié en diététique, je ne prends pas de risques non plus et je jette. Par exemple, si je fais une fausse crème glacée, une fausse crème fouettée ou si je mets de la vaseline sur des tomates, je ne veux pas que personne mange ça, mais tout va au compost quand c’est possible. Sur les plateaux, tout le monde finit aussi par repartir avec certains plats ou aliments. ⊘

Vous pouvez suivre les prochains projets de Gabrielle Dalessandr­o sur son site web et sa page Instagram.

Les feuilles de vigne farcies de Baba

Depuis mon plus jeune âge, j’ai des souvenirs de ma grand-mère et de mon père assis · es à la table de la cuisine pendant des heures, en train de méticuleus­ement farcir et rouler des feuilles de vigne. Tout commence avec la farce. Pour les carnivores, on mélange du riz avec du boeuf haché et des épices de son choix ( persil, poudre d’oignon et d’ail). Pour les paresseux · ses, je suggère d’errer dans un marché moyen-oriental afin d’acheter du kofta, un mélange déjà préparé. Des lentilles vertes avec des épices zaatar peuvent substituer la farce traditionn­elle. Ensuite, on coupe les tiges de la feuille de vigne, on farcit le centre de la feuille avec le mélange de son choix et on s’assure de bien rouler le tout « comme une couche pour bébé bien serrée », comme dirait mon père. Finalement, on ajoute de la sauce tomate par dessus et on met au four pour une heure afin de laisser cuire la feuille farcie dans la sauce. À déguster avec ses doigts!

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Guy hamelin
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André Noël
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Patricia Brochu

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