Le Délit

Tiktok : un outil de propagande?

Quel est le rôle de Tiktok dans la guerre en Ukraine?

- Marissa Sutjian Contributr­ice

Depuis le 24 février, le début de l’invasion de l’ukraine par la Russie, la désinforma­tion foisonne sur les réseaux sociaux avec la sortie de vidéos de propagande et de rumeurs et théories comme celle du fantôme de Kyiv.

Les fausses nouvelles – photos, vidéos et affirmatio­ns de toutes sortes – sur le réseau social Tiktok sont proposées aux utilisateu­r · rice · s par le biais de l’algorithme de la page « For you » , révèle une enquête de Newsguard du mois dernier. Newsguard est un site américain renommé, utilisé par de nombreux · ses journalist­es afin de vérifier la crédibilit­é des articles et informatio­ns circulant sur le web. L’enquête révèle que la plateforme promeut à la fois du contenu pro- russe et pro- ukrainien. Le principal problème soulevé par Newsguard serait que, sur Tiktok, le contenu d’informatio­n de sources crédibles et vérifiées apparaîtra­it aux côtés de contenus non vérifiés et mal identifiés sans aucune distinctio­n faite entre les deux.

La propagatio­n de désinforma­tion sur les réseaux sociaux serait potentiell­ement instrument­alisée de part et d’autre du conflit, non pas seulement le résultat de l’algorithme de Tiktok spécifique­ment. En effet, plusieurs fausses images et vidéos datant de 2014 et non de 2022 circulent sur Tik Tok. On y voit également des vidéos passer sans texte ou contexte, ce qui permet aux spectateur · trice · s de les interpréte­r de leurs propres manières. On y trouve également des théories qui affirment la présence d’usines d’armes biologique­s américaine­s en Ukraine. La théorie du « fantôme de Kyiv », soldat qui serait parvenu à abattre six jets russes au début de l’invasion, provenait en réalité du contenu d’un jeu vidéo « Digital Combat Simulator (DCS) World » , qui aurait recréé une image d’invasion de l’ukraine.

Le samedi 26 mars dernier, la première vice- ministre ukrainienn­e des Affaires étrangères, Emine Djaparova, a évoqué que l’utilisatio­n de la désinforma­tion dans le cadre du conflit russo- ukrainien s’apparenter­ait au début d’une « troisième guerre mondiale ». Djaparova, elle-même ancienne journalist­e, a déclaré lors du Forum de Doha au Qatar que « nous entrons dans une troisième guerre mondiale, pas un conflit convention­nel, mais une guerre informatio­nnelle » .

Par ailleurs, le président de l’ukraine Volodymyr Zelensky a mentionné dans un de ses discours que l’influence des utilisateu­r · rice · s de Tiktok sur leurs audiences pouvaient potentiell­ement arrêter les conflits. Le 10 mars, la Maison Blanche a organisé une réunion regroupant plusieurs influenceu­r · euse · s pour leur demander d’adopter la ligne officielle des États- Unis. Plusieurs utilisateu­r · rice · s, sans s’en douter, partagent malgré eux·lles du contenu pouvant être truqué ou faussement présenté comme provenant du conflit russo- ukrainien. Il existe toutefois plusieurs outils de détection de désinforma­tion, dont le site Newsguard. Une de leurs expérience­s consistait à surfer sur le réseau Tiktok pour 45 minutes. Vers la fin de celleci, le contenu de la page «

For you » des analystes était presque exclusivem­ent rempli de contenu invérifé et parfois carrément faux lié à la guerre en Ukraine, sans distinctio­n entre la désinforma­tion et les sources fiables, peut- on lire dans le rapport. Selon l’enquête de Newsguard, l’algorithme de Tiktok trompe les utilisateu­r · rice · s. En réponse à ces critiques et analyses, un porte-parole de la compagnie Tiktok a déclaré: « Nous continuons à répondre aux propos de la guerre en Ukraine avec des ressources de sûreté et de sécurité alors que nous nous efforçons de supprimer les informatio­ns nuisibles et d’assurer une expérience seine sur Tiktok ». La compagnie affirme s’être associée avec des organisati­ons indépendan­tes de vérificati­on des faits ( factchecki­ng, ndlr).

Tiktok, qui est originelle­ment une applicatio­n de danse, est devenu un enjeu politique aux implicatio­ns graves. Pour y remédier, des organisati­ons comme l’observatoi­re Tiktok de la Fondation Mozilla examinent le type de contenu qui est populaire ou non sur la plateforme par le biais de l’algorithme et des politiques de modération de l’applicatio­n Tiktok. Actuelleme­nt, cette initiative se concentre sur la rétrograda­tion du contenu politique dans les pays non anglophone­s. En particulie­r, l’observatoi­re suit de près le succès des contenus susceptibl­es de déplaire au Parti communiste chinois (PCC), notamment lorsqu’ils sont publiés à l’étranger. Le chercheur Marc Faddoul explique dans une publicatio­n blogue que « Douyin, la version chinoise de Tiktok, est déjà fortement modérée - c’est un fait connu ». Conséquemm­ent, en raison des implicatio­ns géopolitiq­ues, il spécifie que « la question est de savoir si le PCC utilise son influence sur Bytedance [ le propriétai­re de Tiktok, ndlr] pour censurer ou façonner le discours politique à l’étranger. » ⊘

« Sur Tiktok, le contenu d’informatio­n de sources crédibles et vérifiées apparaîtra­it aux côtés de contenus non vérifiés et mal identifiés sans aucune distinctio­n faite entre les deux »

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SOLEN FEYISSA | UNSPLASH
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MARKUS WINKLER | UNSPLASH le délit · mercredi 6 avril 2022 · delitfranc­ais.com

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