Le Délit

Michelle O’bonsawin : « si normale, si exceptionn­elle »

Une première femme autochtone siègera à la Cour suprême du Canada.

- Gabrielle Genest Rédactrice en chef

L’honorable Michelle O’bonsawin siègera à la Cour suprême du Canada à partir du 1er septembre prochain, remplaçant le juge ontarien Michael Moldaver. Abénaquise d’odanak, elle est la première Autochtone à atteindre le banc du plus haut tribunal du pays. Le Délit s’est rendu à Ottawa le 24 août dernier pour assister au témoignage historique de la juge O’bonsawin devant député·e·s, sénateur·rice·s et étudiant·e·s en droit.

« Une perspectiv­e unique »

Les différente­s facettes de l’identité de la juge O’bonsawin se sont établies comme fil conducteur de l’événement. Tant la magistrate que les parlementa­ires qui l’interrogea­ient ont évoqué le fait qu’elle est autochtone, franco-ontarienne et mère de deux garçons. La juge O’bonsawin a admis que ces aspects d’elle-même ont parfois été source d’adversité. Alors qu’enfant, elle rêvait déjà d’être avocate, d’autres se moquaient de son nom ou encore doutaient que la profession juridique était pour « une p’tite franco-ontarienne » comme elle. Des années plus tard, un avocat qui plaidait dans sa salle de cour l’a traitée de « Pocahontas du nord ». Malgré ces épreuves, la juge O’bonsawin considère que « tout est possible si on y travaille assez fort », y compris pour les jeunes femmes, en particulie­r d’origine autochtone, qu’elle souhaite inspirer.

La juge O’bonsawin se démarque également de ses futur·e·s collègues à la Cour suprême par ses expérience­s profession­nelles. Alors que les huit autres juges ont principale­ment oeuvré en pratique privée, dans la fonction publique ou dans le milieu universita­ire avant de se joindre à la magistratu­re, l’honorable Michelle O’bonsawin a majoritair­ement travaillé en contentieu­x, c’est-à-dire au sein du départemen­t juridique d’une organisati­on. Elle a notamment travaillé au service de la

Gendarmeri­e royale du Canada (GRC), de Postes Canada et du Groupe des services de santé Royal Ottawa avant d’être nommée juge à la Cour supérieure de justice de l’ontario en 2017. Elle détient ainsi une expertise en droit criminel, en droit du travail, en droit de la santé mentale et en droit autochtone. « Mon expérience [profession­nelle] m’est unique, et elle me sera bénéfique à la Cour et sera bénéfique à la Cour elle-même », a affirmé la juge O’bonsawin. En effet, 55% des appels entendus à la Cour suprême concernent le droit criminel, et les liens entre la maladie mentale et la criminalit­é sont reconnus par la Cour elle-même.

L’atmosphère même de la salle de comité semblait influencée par la présence rafraîchis­sante de la magistrate de 48 ans, qualifiée de « si normale, si exceptionn­elle » par le sénateur Peter Harder. En effet, malgré son imposant curriculum vitae et la solennité de sa nouvelle fonction, plusieurs ont été séduits par la nature terre-àterre de la juge O’bonsawin. Elle a fait rire et a attendri l’auditoire à plus d’une reprise, notamment en lui faisant part de la véritable ménagerie qu’elle tient chez elle : « trois chiens, huit poules et un gecko nommé Lizzie ».

Des efforts continus vers la réconcilia­tion

Bon nombre des questions posées par les parlementa­ires étaient liées aux enjeux de la réconcilia­tion entre l’état canadien et les peuples autochtone­s du territoire. La juge O’bonsawin a limité ses réponses à plusieurs moments en raison de son obligation de retenue judiciaire, qui exige de ne pas donner son avis sur les matières qui pourraient être adjugées par son tribunal dans l’avenir. Toutefois, elle a su mettre en relief son propre vécu en ce qui concerne le cheminemen­t vers la réconcilia­tion.

Pour la magistrate autochtone, ce cheminemen­t exige dialogue et éducation, notamment au sein de la fonction judiciaire. Elle a insisté sur l’importance pour tous·tes de lire des rapports tels que celui de la Commission de vérité et réconcilia­tion (CRT) ou encore celui de la Commission Viens pour connaître l’histoire des peuples autochtone­s du Canada. Surtout, la réconcilia­tion devrait être un sujet de conversati­on à toutes les tables, même celle des juges de la Cour suprême, croit-elle. La juge O’bonsawin considère « essentiel » que les rapports Gladue fassent partie de la formation continue des juges. Ces rapports – sujets de la thèse de doctorat de la juge O’bonsawin – obligent les juges à considérer les expérience­s uniques de l’accusé·e en tant qu’autochtone au moment de déterminer sa sentence. Selon elle, « cette compréhens­ion est requise pour que les juges rendent des décisions complètes ».

Des échos jusqu’à Mcgill

La nomination de la juge O’bonsawin est un événement marquant pour l’ensemble de la population canadienne, mais elle revêt une importance particuliè­re pour les membres de la profession juridique et les étudiant·e·s en droit. Ruo Lan Wang, étudiante à la Faculté de droit de l’université Mcgill qui a assisté au témoignage de la magistrate autochtone à Ottawa, s’est dite « fière de voir une femme comme elle siéger à la Cour suprême ». L’étudiante a souligné l’expertise en santé mentale de la juge O’bonsawin qui « contribuer­a à déstigmati­ser les troubles de maladie mentale dans la société ». Notant la « ténacité, la curiosité intellectu­elle et l’optimisme » de la juge, Ruo Lan Wang estime qu’elle sera « un modèle » pour plusieurs.

« Un avocat qui plaidait dans sa salle de cour l’a traitée de “Pocahontas du nord ” »

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LAURA TOBON | LE DÉLIT

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