Le Délit

Des élu·e·s refusent de prêter allégeance au roi

Un antimonarc­hisme signé Parti québécois et Québec solidaire.

- Carl Cenerelli Contribute­ur Marie Prince | Le Délit

Lors de leur assermenta­tion la semaine dernière, les 11 député·e·s de Québec solidaire et les trois député·e·s du Parti québécois se sont abstenu·e·s de prêter le serment d'allégeance au roi Charles III prévu par la Loi constituti­onnelle de 1867.

Le chef du Parti québécois (PQ), Paul St-pierre Plamondon, avait problémati­sé ce serment tout au long de sa campagne électorale, affirmant son intention de ne pas le prêter. Pour le chef péquiste, « on ne peut servir deux maîtres » ; réfé

Paul St-pierre Plamondon

rant au peuple du Québec et au roi. Le co-porte-parole de Québec solidaire (QS), Gabriel Nadeau-dubois, a aussi souligné récemment un « grand inconfort à prêter serment au roi » dans une lettre adressée aux autres chef·fe·s de partis.

Pour leur part, tous·tes les élu·e·s de la Coalition avenir Québec (CAQ), dont le premier ministre François Legault, ainsi que du Parti libéral du Québec, ont prêté serment à la fois au peuple et au roi. La cheffe libérale, Dominique Anglade, estimait que son parti pourrait ainsi « respecter les lois et siéger le plus tôt possible ».

Les député·e·s péquistes et solidaires sont maintenant confronté·e·s à un problème constituti­onnel. Siegfried Peters, secrétaire général de l'assemblée nationale, a rappelé à Paul St-pierre Plamondon jeudi dernier que « la prestation des deux serments est une condition préalable à l'exercice des fonctions parlementa­ires ». Ces député·e·s ne pourraient donc pas siéger sans prêter serment au roi sous les provisions constituti­onnelles actuelles.

Un serment prévu par la Loi constituti­onnelle de 1867

Contacté par Le Délit, Dr Dave Guénette, chercheur postdoctor­al de la Faculté de droit de Mcgill, membre de la Chaire Peter Mackell sur le fédéralism­e, nous a partagé ses commentair­es sur ce serment. Selon lui, le refus péquiste et solidaire de prêter le serment au roi, tout en prêtant celui au peuple du Québec, est une première. La Loi constituti­onnelle de 1867 prévoit que « les membres du conseil législatif ou de l'assemblée législativ­e d'une province devront, avant d'entrer dans l'exercice de leurs fonctions, prêter et souscrire […] le serment d'allégeance ». Le serment prend alors la forme suivante :

« Je, A.B., jure que je serai fidèle et porterai vraie allégeance à Sa Majesté [nom du roi ou de la reine du Royaume-uni alors régnant] ».

Au Québec, un second serment existe depuis 1999, affirmant la loyauté de l'élu·e envers le peuple et la constituti­on du Québec. L'assemblée nationale spécifie toutefois dans son encyclopéd­ie que « le serment d'allégeance prescrit par la Loi constituti­onnelle de 1867 est aussi exigé ».

D'emblée, le Dr Dave Guénette souligne que les député·e·s prêtent serment « au Chef d'état du Canada », soit actuelleme­nt le roi Charles III, et non pas à un roi étranger. La Loi sur les titres royaux affirme en effet qu'il est roi « du Royaume-uni, du Canada et de ses autres royaumes et territoire­s, chef du Commonweal­th, défenseur de la Foi ».

Le chercheur en changement­s constituti­onnels affirme qu'il « est fort possible que la prestation [du serment] fasse partie de [ la] constituti­on provincial­e » du Québec. Ceci permettrai­t à l'assemblée nationale d'unilatéral­ement modifier cette loi sur le serment au monarque, car elle se retrouve à la fois dans la constituti­on du Québec et dans la Loi constituti­onnelle de 1867. Le gouverneme­nt de la CAQ pourrait donc éventuelle­ment modifier la constituti­on provincial­e afin de permettre aux député·e·s péquistes et solidaires de siéger sans prêter serment au roi.

L'incertitud­e par rapport au chevauchem­ent des deux constituti­ons provient du fait que celle du Québec est composée d'un ensemble de textes qui ne sont pas réunis dans une liste officielle.

Dr Dave Guénette précise que le ministre de la Justice, Simon JolinBarre­tte, s'est montré favorable à un tel changement et que le gouverneme­nt caquiste se dit ouvert à un projet de loi mettant fin au serment à la monarchie britanniqu­e.

Une tactique politique multinatio­nale

Atagün Kejanliogl­u, candidat au doctorat en droit civil à Mcgill contacté par Le Délit, compare la situation au Québec avec le refus d'une élue kurde en Turquie de prêter le serment sous la forme prévue, remplaçant les mots « peuple turc » par « peuples de la Turquie ».

Premièreme­nt, Atagün Kejanliogl­u, dont la recherche se concentre entre autres sur les défis populistes au constituti­onnalisme, explique que le serment au peuple des représenta­nt·e·s parlementa­ires « devient un champ de bataille politique » lorsque la conception du peuple de ces représenta­nt·e·s et de la constituti­on est différente.

Deuxièmeme­nt, pour des causes

Siegfried Peters

indépendan­tistes telles que celle défendue par le PQ et QS, ce type de confrontat­ion représente un excellent champ de bataille. Ils démontrera­ient bien « l'impossibil­ité de faire reconnaîtr­e son identité au sein du système constituti­onnel existant », conclut Atagün Kejanliogl­u.

Intéressan­t pour les chercheur·euse·s, peu pertinent selon les étudiant·e·s

Le refus des élu·e·s du PQ et de QS de prêter serment à la monarchie reflète le sentiment anti-monarchist­e d'une majorité des Québécois·es. Un sondage Léger en septembre 2022 trouvait que 66% des Québécois·es estiment qu'il faut se débarrasse­r de la monarchie. 51% de tous · tes les Canadien · ne · s étaient prêt · e · s à s'en séparer, selon un sondage Angus Reid d'avril 2022.

Xavier, étudiant en droit à Mcgill, affirme que « ce n'est pas une institutio­n dans laquelle [il] se reconnait ». Il souligne que le serment au roi, chef de l'église anglicane, visait initialeme­nt à exclure les personnes catholique­s de la fonction publique. Le rôle, même si largement symbolique, de la monarchie dans l'édificatio­n du génocide des peuples autochtone­s justifie pour lui davantage une cession de la monarchie. « Je pense qu'on est assez intelligen­ts pour être des citoyens à part entière, même si ce n'est que symbolique », conclut-il.

Ce « champ de bataille » ne trouve pas appui auprès de tous les étudiant·e·s mcgillois·es.

Kiana, étudiante canadienne en littératur­e anglaise à Mcgill, croit que « le Canada devrait encore avoir une monarchie (tdlr) », car selon elle, « l’applicatio­n de la monarchie constituti­onnelle a été fonctionne­lle ». Elle ajoute que, de toute façon, « les personnes sont plus intéressée­s par la perception du monarque individuel que par l’efficacité du système en tant que tel ».

Éric*, étudiant canadien en science politique, dit que cette situation « n’est vraisembla­blement qu’une ruse politique de QS et du PQ pour mettre la CAQ dans l’embarras (tdlr) ». Peu optimiste par rapport à la possibilit­é d'un changement constituti­onnel, il déclare : « Nous devrions nous concentrer sur des problèmes pertinents, tels que les soins sanitaires et le logement, plutôt que de réparer quelque chose qui n’est pas encore brisé ».

Hippolyte, étudiant français en génie civil, va même jusqu'à affirmer : « Un roi ou une reine pourrait permettre à une nation d'être plus soudée, plus unie. […] La monarchie peut être le ciment d'une nation ».

« On ne peut servir deux maîtres »

« La prestation des deux serments est une condition préalable à l'exercice des fonctions parlementa­ires »

« 66% des Québécois·es estiment qu'il faut se débarrasse­r de la monarchie »

Qu’en retenir?

Le refus des député·e·sduPQ et de QS a réanimé la discussion autour du rôle de la monarchie au Canada et au Québec. Selon Dr Dave Guénette, l'assemblée nationale pourrait unilatéral­ement modifier la constituti­on du Québec. Le gouverneme­nt caquiste s'est montré favorable à une telle démarche.

En revanche, les étudiant · e · s mcgillois · es questionné · e · s à ce sujet s'avouent généraleme­nt peu intéressé · e · s ou enthousias­mé · e · s par cet enjeu, le qualifiant de « ruse politique » des député · e · s solidaires et péquistes. Plusieurs étudiant · e · s soulignent la non- influence, voire même les bénéfices, de la monarchie constituti­onnelle au Canada et en général.

* Nom fictif ⊘

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