Le Délit

Un premier syndicat de professeur·e·s à l’université Mcgill

Les professeur·e·s de droit ont gain de cause devant le Tribunal administra­tif du travail.

- Gabrielle Genest Rédactrice en chef

Le 7 novembre dernier, le juge Jean-françois Séguin du Tribunal administra­tif du travail (TAT) a rendu une décision historique en ce qui concerne les relations industriel­les au sein du milieu universita­ire québécois : l'associatio­n mcgillienn­e des professeur · e · s de droit (AMPD) a reçu la sanction du tribunal pour former le premier syndicat de professeur · e · s de l'université Mcgill. Après des mois d'audiences virtuelles et en personne, parfois houleuses, la décision du TAT est tombée un an jour pour jour après le dépôt de la requête en accréditat­ion de L'AMPD.

La pandémie comme élément déclencheu­r

La rentrée de l'automne 2021 a été marquée par des tensions entre les professeur · e · s de droit et l'administra­tion mcgilloise. À l'époque, le débat sur l'imposition de la vaccinatio­n obligatoir­e faisait rage. Une lettre signée par 35 membres de la Faculté de droit avait été mise en circulatio­n, argumentan­t qu'il était possible d'imposer la vaccinatio­n de manière compatible avec la Charte des droits et libertés de la personne. L'administra­tion mcgilloise n'avait pas changé sa position : elle n'imposerait pas la vaccinatio­n obligatoir­e sur son campus, niant que son approche posait un risque indu aux membres vulnérable­s de sa communauté. En refusant les arguments mis de l'avant dans la lettre, « la réponse de l'université était d'enseigner le droit aux professeur­s de droit » , affirme au Délit le professeur Richard Janda, membre de l'exécutif de L'AMPD. En conjonctio­n avec l'exigence d'enseigneme­nt en présentiel sous peine de sanctions disciplina­ires, cette situation aurait « dramatisé la volonté des professeur­s de droit de participer à la création des politiques [qui leur sont] applicable­s », maintient le professeur Janda.

La réaction de Mcgill face à la pandémie aurait été symptomati­que d'une « tendance lourde à la centralisa­tion » au sein de l'université, selon le professeur Janda. « L'université est devenue un organisme beaucoup plus corporatif dans son organisati­on et sa gouvernanc­e, et les professeur­s ne sont pas consultés », indiquet-il. Les professeur·e·s se retrouvera­ient ainsi en situation de vulnérabil­ité face à l'université, « sans moyens » dans des situations telles que le congédieme­nt d'un · e collègue.

Pour le professeur Janda, il est crucial de préserver l'autonomie de la Faculté de droit, et, pour cela, il faut « que le Conseil de la Faculté redevienne un endroit décisionne­l ». Il évoque la nature singulière de la Faculté de droit – bilingue et transsysté­mique – pour souligner en quoi il est important que les politiques d'enseigneme­nt universita­ires reflètent la réalité spécifique du Pavillon Chancellor Day.

La décision et les audiences qui l’ont précédée

La réalité unique de la Faculté de droit a été un élément crucial de l'analyse du Tribunal administra­tif du travail. En effet, l'université contestait la validité de L'AMPD comme unité de négociatio­n proposée, plaidant que l'unité appropriée devrait plutôt inclure tous·tes les professeur·e·s à son emploi. Or, le tribunal n'a pas été convaincu par les arguments de Mcgill selon lesquels la Faculté de droit n'est qu'une part, comme toutes les autres facultés et départemen­ts, du tout « extrêmemen­t centralisé » que forme l'université. Le tribunal a d'ailleurs souligné qu'il n'était pas anodin que Mcgill elle-même ait reconnu que « les professeur­s de la Faculté de droit forment possibleme­nt un groupe distinct ».

Le Délit a été en mesure d'assister à plusieurs des audiences virtuelles du TAT, notamment lors des contre- interrogat­oires du Provost Christophe­r Manfredi et du Doyen de la Faculté de droit Robert Leckey. Les échanges entre les avocat·e·s de l'associatio­n et de l'employeur, respective­ment Me Sibel Ataogul et Me Corrado De Stefano, étaient parfois houleux, surtout lors des nombreuses objections. À plusieurs reprises, le juge Jean-françois Séguin a été tenu d'intervenir, reconnaiss­ant que « les choses s'enflamm[ai] ent » et prenaient une tournure « un peu chaotique », invitant les avocat·e·s à « calmer le jeu ».

Faut-il craindre la grève?

Interrogé à savoir si les étudiant·e·s de la Faculté de droit devaient maintenant craindre une grève de leurs professeur·e·s, le professeur Janda s'est voulu rassurant. « Le Code du travail est assez bien rédigé », affirme-t-il, « son orientatio­n est d'éviter que la négociatio­n de la première convention collective mène à une situation de grève ». En outre, selon le professeur, les principale­s revendicat­ions de L'AMPD concernero­nt davantage des enjeux de gouvernanc­e, d'autonomie et de transparen­ce au

niveau de la Faculté de droit, plutôt que des questions purement économique­s. « Ce n'est pas demain la veille que les professeur­s de droit voudront être en situation de grève pour insister sur des augmentati­ons salariales », ajoute-t-il.

Bien que le professeur Janda estime que la situation n'évoluera probableme­nt pas dans la direction de la grève, une décision de l'université pourrait selon lui changer la donne. En effet, si Mcgill choisit d'entamer un processus de révision judiciaire ( le mécanisme d'appel des décisions des tribunaux administra­tifs), elle risquerait d'« empoisonne­r les rapports [entre l'associatio­n et l'université] dès le départ », selon le professeur.

Pour l'instant, l'université n'a pas publiqueme­nt renoncé à porter la décision du TAT en révision judiciaire. Elle dispose de 30 jours après la publicatio­n de la décision, soit jusqu'au 7 décembre, pour annoncer ses intentions. Interrogée par Le Délit, l'université s'est limitée à dire, par le biais de sa relationni­ste des médias Frédérique Mazerolle, qu'elle « reconnaît la décision rendue » et qu'elle examinera la décision « de manière approfondi­e au cours des prochaines semaines ».

Quel impact pour les étudiant·e·s?

Interrogé à savoir ce que la décision du tribunal changera concrèteme­nt pour les étudiant·e·s de la Faculté de droit, le professeur Janda anticipe des retombées positives : « Si nous réussisson­s à rendre la gouvernanc­e de la Faculté plus robuste et si le Conseil de la Faculté devient plus important, la voix des étudiant·e·s sera renforcée par notre désir d'investir ces instances de plus de pouvoirs ». En effet, des représenta­nt·e·s étudiant·e·s siègent au Conseil de la Faculté et, aux dires du professeur Janda, ont déjà utilisé cette position pour contribuer au développem­ent de la Faculté, notamment en promouvant l'adoption du programme transsysté­mique.

Casey Broughton, étudiante en droit de deuxième année, fait écho à cet espoir d'impact positif pour les étudiant·e·s de la Faculté : « il y a une plus grande opportunit­é de solidarité forte entre les professeur­s et les étudiants ». Casey a manifesté son soutien à la cause de ses professeur·e·s en rédigeant des lettres au Doyen Leckey, en changeant sa photo de profil Zoom pour afficher le message « Laissez-les se syndiquer ( Let them unionize) » et en assistant aux audiences du TAT virtuellem­ent et en personne. Elle n'était d'ailleurs pas la seule : « Je pense que la présence des étudiants lors des audiences a envoyé un message à Mcgill, en signalant que c’est un enjeu qu’on suit attentivem­ent et sur lequel on veut attirer de l’attention.

« La réponse de l'université était d'enseigner le droit aux professeur·e·s de droit »

Le professeur Richard Janda

Ramener Mcgill dans le contexte québécois

Commentant le contexte ayant précédé les démarches de syndicalis­ation de L'AMPD, le professeur Janda note que l'état des relations industriel­les à Mcgill semblait refléter une mentalité des années 1960. « On a l'impression que Mcgill s'imagine dans une réalité autre que la réalité québécoise », affirme-t-il. En effet, jusqu'à présent, Mcgill faisait maille à part des autres université­s de la province en n'ayant aucun syndicat professora­l. « Avec ce qui vient de se produire, la Faculté de droit rejoint la communauté québécoise », affirme le professeur Richard Janda. ⊘

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Laura Tobon | Le Délit

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