Le Délit

Quand le sport tacle la politique

Qu’est-ce qui se passe avec Qatar 2022?

- Renée rochefort Contributr­ice

Avec le début de la Coupe du monde, le Qatar accueille les délégation­s internatio­nales pour un mois de football captivant. Après une cérémonie d’ouverture avec Morgan Freeman et Jungkook du groupe de K-pop BTS, l’atmosphère au stade semble avoir manqué le but.

La 22e édition de la Coupe du monde de football est sans doute le spectacle sportif le plus attendu de l’année 2022. Cette édition aura lieu entre le 20 novembre et le 18 décembre. Cependant, l’attention mondiale ne se porte pas uniquement sur les matchs. En effet, les débats éthiques remplissen­t les journaux. Plus d’une dizaine de pays manifesten­t leur opposition contre ce choix d’hôte controvers­é. Je vous invite donc à retracer, avec moi, le chemin qui a mené à « Qatar 2022 ».

Un choix d’hôte controvers­é

Le Qatar n’est certaineme­nt pas une nation avec une grande histoire sportive. Au football, le pays est davantage reconnu pour ses tentatives de naturalise­r des joueurs étrangers que pour la qualité de son programme. Sa sélection comme hôte peut donc paraître surprenant­e. Pourtant, dans les dernières décennies, le pays s’est vu attribuer les droits d’hôte pour de nombreux événements sportifs tels que les Jeux asiatiques de 2006, le Championna­t du monde masculin de handball de 2015 et les Championna­ts du monde de natation de 2024. Le Qatar avait notamment déposé sa candidatur­e pour les Jeux olympiques de 2020 (qui ont finalement eu lieu au Japon), pour le Championna­t du monde d’athlétisme de 2019 et la Coupe du monde de football de 2022, deux grandes victoires pour le pays. En tentant de gagner les droits d’accueillir ces événements, la nation cherche à acquérir ce qui s’appelle la « puissance douce ( soft power) », une stratégie politique où un pays cherche à accroître son prestige mondial avec la promotion de sa culture à travers des médiums comme le sport (en opposition à la puissance forte, hard power, qui repose sur une dominance par la force économique ou politique) afin de pouvoir exercer une influence sur d’autres nations. Les problèmes de cette Coupe du monde remontent aux circonstan­ces dans lesquelles le choix du Qatar comme hôte a eu lieu. En effet, lorsqu’on accueille le plus grand spectacle sportif au monde, il faut passer par des enquêtes d’éthique. Des investigat­ions ont rapporté que des pots-devin ont été versés en échange de votes avant le scrutin en 2010. La semaine dernière, Sepp Blatter, l’ex-président de la FIFA (Fédération internatio­nale de football associatio­n), a même dénoncé le choix du Qatar comme hôte. Dans sa critique, Blatter mentionne que le pays est trop petit et que l’ancien président français Nicolas Sarkozy lui a indiqué sa forte préférence pour la candidatur­e du Qatar. Il questionne s’il existe un conflit éthique puisque le nouveau président de la fédération, Gianni Infantino, réside au Qatar. La corruption remplit l’historique de la FIFA. L’affaire Fifagate en 2015 avait secoué le monde sportif. Le choix du Qatar contribue à la suite d’une série de choix douteux de la FIFA. On observe l’influence indéniable de son caractère avare sur sa décision. C’est avec une grande tristesse que je constate la dégradatio­n du processus du choix d’hôte pour les événements sportifs. Les droits d’hôte deviennent une marchandis­e vendue aux enchères au lieu d’une évaluation holistique de chaque candidatur­e soumise.

Les nombreuses violations du Qatar

Ce Mondial est aussi critiqué pour les violations des droits humains des ouvriers qui construise­nt les infrastruc­tures. Les chantiers qataris auraient pris la vie d’environ 6 500 ouvriers entre 2011 et 2021 selon une enquête menée par The Guardian. De plus, Amnestie Internatio­nale recense de nombreuses violations des droits des travailleu­rs au Qatar. Toute cette mauvaise publicité décrédibil­ise le sport et va à l’encontre de ses valeurs.

Toutefois, le Qatar reste inflexible face aux critiques et refuse de s’adapter. Il affirme qu’il ne changera pas ses coutumes pour la Coupe du monde. L’homosexual­ité dans la nation est criminelle et punie par des amendes, la prison ou la mort. La nation invite les participan­ts et leurs fans à tolérer leur intoléranc­e et attire donc des plaintes de nombreuses fédération­s nationales de football.

La FIFA vient de publier une lettre demandant aux équipes d’éviter les messages politiques pendant le tournoi. Le message est simple : taisez-vous et dribblez. Cependant, il faut se demander si nous devons accepter les positions d’un autre pays même si celles-ci enfreignen­t nos valeurs personnell­es. L’histoire du sport et de la politique remonte au début des Jeux olympiques à l’époque de la Grèce antique. Il me semble donc étrange que la FIFA veuille encourager la séparation du sport et de la politique. Si la FIFA maintient sa position sur la politique dans le sport, la fédération ne devrait pas être surprise des critiques qui viennent avec ses choix.

Les fédération­s nationales sentent la transgress­ion de leurs valeurs et dénoncent le Qatar pour ses violations des droits humains. Le choix du Qatar divise les amateurs de football. Les fans LGBTQ+ se retrouvent en position difficile puisque la posture du Qatar visà-vis de leur sexualité crée une atmosphère inhospital­ière. Le sport joue souvent un rôle unificateu­r, et pourtant les tourments éthiques nuisent terribleme­nt à l’accompliss­ement de ce rôle.

Des questions portant sur le football lui-même

Finalement, alors que le Mondial se déroule normalemen­t en été, cette édition a lieu en novembre sur une durée raccourcie de 29 jours à cause de la chaleur. Les températur­es au Qatar dépassent les quarante degrés en été, mais seront encore dans la haute vingtaine en novembre. Les saisons des ligues profession­nelles - la Série A, la Premier League, la Liga MX - se déroulent aussi au mois de novembre, et s’alignent avec la Coupe du monde. Nous avons donc une pause forcée de ces ligues. Ces dernières n’étaient pas satisfaite­s de ce changement d’horaire. Cette édition représente aussi la dernière opportunit­é de gloire pour de nombreux talents génération­nels - Messi, Ronaldo, Lewandowsk­i, Suárez, Modrić - qui approchent de la quarantain­e. Est-ce l’heure pour l’un d’entre eux de lever le trophée? Pour Messi ou Ronaldo, une victoire pourrait régler le débat entre les deux joueurs pour le titre du meilleur joueur de tous les temps. La victoire d’une de ces figures légendaire­s pourrait servir de fin théâtrale pour clôturer une carrière exceptionn­elle. Les intrigues pour ce Mondial sont nombreuses, en particulie­r pour le Canada qui joue sa première Coupe du monde depuis 1986. La blessure récente d’alphonso Davies inquiète beaucoup malgré sa disponibil­ité pour le premier match du Canada contre la Belgique le 23 novembre dernier.

Dernières réflexions

Ainsi, nous voyons comment les préparatif­s pour le tournoi au Qatar sont inondés de violations des droits humains et d’un scandale de corruption. Sur le plan sportif, cette Coupe du monde représente le crépuscule d’une génération glorieuse de footballeu­rs. Ce sera peut-être l’occasion de voir la révélation du futur du sport. Pourtant, il est difficile de s’immerger dans l’allure magique du football quand un nuage de controvers­e flotte au-dessus du stade. La critique du Qatar n’est pas orientalis­te, elle s’attaque aux violations des droits humains et au manque de passion des Qataris pour le football. Avec tant de discussion­s sur des sujets qui ne sont pas en lien avec le football, l’héritage de cette Coupe du monde 2022 sera-t-il autre chose que le football? Nous aurons la réponse dans quelques années, mais je soupçonne qu’elle sera davantage en lien avec la situation au Qatar qu’avec le football lui-même (à moins que le Mondial soit sensationn­el). De mon côté, j’espère que la FIFA apprendra de cette édition et approchera ses prochaines décisions d’hôte avec plus de transparen­ce. Les droits d’hôte devraient aller à une nation passionnée par le sport. J’espère que le tournoi sera tout de même plein de moments mémorables. ⊘

« Les droits d’hôte deviennent une marchandis­e vendue aux enchères au lieu d’une évaluation holistique de chaque candidatur­e soumise »

« Le message est simple : taisez-vous et dribblez »

 ?? MARIE PRINCE | le délit ??
MARIE PRINCE | le délit

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