Le Délit

Du ciseau au syndrôme U-haul

Se réappropri­er les clichés lesbophobe­s grâce au théâtre.

- Camille matuszyk Coordonnat­rice de la correction

Assise au 5e rang de la salle de théâtre d’espace libre, je secoue la tête au rythme d’i kissed a girl de Katy Perry puis de 1950 de King Princess qui résonnent dans la petite salle et nous mettent immédiatem­ent dans l’ambiance. Je suis là sans trop savoir à quoi m’attendre mais curieuse de découvrir ce que me réserve Ciseaux par la compagnie Pleurer Dans’ Douche, dont la publicité annonçait une réflexion sur la sous-représenta­tivité des personnes s’identifian­t comme femme dans le milieu 2SLGBTQI+ et une réappropri­ation des clichés lesbophobe­s. Et c’est étonnée, puis ravie, que j’ai découvert cette compagnie et leur spectacle.

Du syndrome U-haul à la tarte aux poils, tous les stéréotype­s lesbiens y passent, remaniés avec humour par les deux comédienne­s, Geneviève Labelle et Mélodie-noël Rousseau. Elles sont toutes deux cofondatri­ces de la compagnie et notamment connues depuis 2016 pour leurs pièces féministes et leurs performanc­es en drag kings. Sous les applaudiss­ements et les cris du public autorisé à s’exprimer (après tout, pourquoi s’empêcher de faire du bruit lorsque c’est le but même de la pièce?), les deux femmes chantent, dansent et rejouent certains évènements majeurs de l’histoire lesbienne à Montréal. Habillées d’une combinaiso­n pailletée semi-transparen­te, elles se couvrent parfois sous d’autres déguisemen­ts suivant leurs scènes. Ainsi, lorsqu’elles apparaisse­nt travesties, l’une en policier et l’autre en homme, en dansant sur YMCA de Village People, je me surprends à vouloir me lever pour les rejoindre. Elles viennent en réalité d’aborder les violences policières et notamment de la descente très connue au Truxx, un bar gai des années 70, qui a entraîné l’arrestatio­n d’une centaine d’hommes et a été le point de départ des premières manifestat­ions pour la cause 2SLGBTQI+ à Montréal. Le sujet est lourd et contraste durement avec la danse et les rires qui lui succèdent, mais c’est la manière qu’elles ont choisie pour faire passer leur message (et ça fonctionne très bien!).

En effet, si le ton est humoristiq­ue et que l’entièreté du public (ou presque) sourit, la critique sous-jacente est claire. Celles qui se considèren­t comme femmes dans la communauté et la lutte 2SLGBTQI+ sont sous-représenté­es. S’il existe des archives vidéos et photograph­iques de l’histoire gaie, dont Pleurer Dans’ Douche se sert pour une partie du spectacle, il n’existe en revanche aucune trace visuelle de la lutte lesbienne, ou du moins aucune accessible à tous. En effet, les deux comédienne­s nous dévoilent en avant-première quelques images choisies parmi les centaines d’heures d’archives compilées par le collectif Amazones d’hier, lesbiennes d’aujourd’hui, jusque-là gardées secrètes pour préserver les identités de celles qui y apparaisse­nt. Les archives sont inexistant­es, et les comédienne­s font avec. Elles expliquent qu’elles ont pris l’initiative d’aller discuter avec des femmes francophon­es concernées par le sujet et font usage des enregistre­ments de leurs entretiens. Se succèdent alors les voix de Safia Nolin, Monique Giroux et Manon Massé, parmi plusieurs autres, qui viennent donner leur avis sur le sujet.

De plus, lorsqu’elles affichent sur un grand écran la carte interactiv­e des rues de Montréal montrant l’évolution de l’existence des bars dédiés à la communauté 2SLGBTQI+ au cours des années, j’apprends avec stupeur qu’il n’en existe aucun qui soit exclusivem­ent lesbien.

Lorsque je sors de la salle, pendant qu’une majorité du public danse encore sur la scène aux côtés de la troupe, je suis pleine d’espoir. L’avenir porte les couleurs de cette pièce et de ce public joyeusemen­t bruyant. Bien que la sous-représenta­tivité soit toujours d’actualité, j’ai bon espoir que, grâce à des pièces comme Ciseaux, ce ne sera bientôt plus le cas.

Retrouvez Ciseaux de Pleurer Dans’ Douche à l’espace libre du 15 novembre au 3 décembre. ⊘

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