Le Délit

Une démocratie directe à Mcgill ?

- — Léonard Smith et Anna Zavelsky

La Politique de démocratis­ation de l’associatio­n étudiante de l’université Mcgill (AÉUM), une initiative proposée pour démocratis­er son processus décisionne­l, est apparue sur le bulletin de vote pendant la période référendai­re de l’automne 2021. Grâce à un vote majoritair­e de 78,2 %, la politique a été subséquemm­ent adoptée. L’initiative tente de remédier au faible taux de participat­ion aux élections, aux assemblées générales et aux référendum­s des membres de l’exécutif de L’AÉUM, tout en apportant des solutions alternativ­es aux postes de direction vacants ou non contestés. Présenteme­nt, le poste de vice-président·e Opérations et durabilité ( VP Operations and Sustainabi­lity) demeure vacant. L’initiative propose également une solution aux nombreux cas d’inconduite et de pratiques non démocratiq­ues des représenta­nt·e·s élu·e·s, qui n’ont parfois jamais été tenu·e·s responsabl­es de ceux-ci. Selon la politique, « les associatio­ns étudiantes de Mcgill se sont comportées davantage comme des corporatio­ns que comme des associatio­ns et ont abandonné les intérêts des membres au profit d’une gouvernanc­e bureaucrat­ique et représenta­tive ».

Pour remédier aux problèmes de la faible participat­ion des étudiant·e·s, des possibles abus de pouvoir et du risque de déresponsa­bilisation des membres de l’exécutif vis-à-vis leur poste, l’initiative exige une structure non hiérarchiq­ue pour remplacer le système de gouvernanc­e actuel. Le cadre de cette politique, fondé sur la démocratie directe, permettrai­t une plus grande participat­ion des étudiant·e·s à la vie démocratiq­ue de leur université en favorisant la participat­ion aux assemblées générales tenues dans les départemen­ts et les associatio­ns de professeur·e·s. Selon l’initiative, les assemblées générales accessible­s à tous·tes les étudiant·e·s de premier cycle sont inefficace­s, puisqu’elles sont « peu adéquates pour les débats et les prises de décisions collective­s ». Pour empêcher les membres de l’exécutif de mal représente­r les intérêts de la communauté étudiante de Mcgill, l’initiative propose la création de coordonnat­eur·rice·s responsabl­es de « mettre en oeuvre les décisions de l’assemblée ». Ces coordonnat­eur·rice·s agiraient comme des « délégué·e·s » chargé·e·s de respecter les intérêts communs de l’ensemble des étudiant·e·s qu’il·elle·s représente­nt, plutôt que d’élire des fonctionna­ires qui pourraient abuser de leur pouvoir ou se présenter pour des raisons carriérist­e ou d’intérêt social.

Au cours du semestre suivant son approbatio­n, l’initiative a reçu plusieurs critiques, notamment concernant l’impossibil­ité de sa mise en oeuvre au sein du système actuel de L’AÉUM. La démocratis­ation du Conseil d’administra­tion « est un plan tout à fait irréalisab­le qui pourrait ralentir les processus décisionne­ls déjà fastidieux du Conseil », ont expliqué d’ancien·ne·s membres de L’AÉUM dans une entrevue accordée au Mcgill Daily. En plus de la structure de gouvernanc­e, l’absence d’une politique d’accès à l’informatio­n constitue un autre obstacle à l’améliorati­on des pratiques démocratiq­ues au sein de L’AÉUM. En vertu de la Loi sur l’accès à l’informatio­n, tout·e citoyen·ne canadien·ne ou toute personne résidant au Canada a le droit de demander l’accès aux documents des institutio­ns gouverneme­ntales. La Loi est fondée sur le principe que le public a le droit de connaître les activités du gouverneme­nt. Cette transparen­ce est bénéfique puisqu’elle tient les institutio­ns responsabl­es, favorise la démocratie et ouvre le débat public sur les actions de ces institutio­ns et de leurs représenta­nt·e·s élu·e·s respectif·ve·s. L’absence d’une politique d’accès à l’informatio­n de L’AÉUM rend plus difficile la collecte des renseignem­ents sur le processus interne de l’associatio­n étudiante. De même, en novembre dernier, le Daily avait communiqué avec le président du

Conseil législatif de L’AÉUM pour avoir accès aux procès-verbaux et aux enregistre­ments de conférence­s d’une réunion du Conseil législatif. La dernière fois que les enregistre­ments et les procèsverb­aux ont été affichés sur leur site Web remonte à l’hiver 2022. Le Daily a été informé qu’en raison d’un récent changement de politique, les enregistre­ments et les procès-verbaux ne seraient plus accessible­s à quiconque ne serait pas en mesure d’assister à la réunion du Conseil. Ce changement soudain, qui limite les connaissan­ces des élèves sur ce qui se passe aux réunions des conseils législatif­s, a pour effet de nuire à la transparen­ce de L’AÉUM.

Cependant, la Politique de démocratis­ation de L’AÉUM n’est pas le seul exemple canadien de tentative visant à rendre les processus décisionne­ls plus accessible­s aux étudiant·e·s. En octobre 2022, la société étudiante de l’université de la Colombie-britanniqu­e avait proposé une motion visant à réviser sa politique sur la gestion des documents (SR2). Cette politique établit un cadre sur la façon dont les documents doivent être conservés, consultés et évalués au sein de la société. Les modificati­ons proposées empêcherai­ent les membres de la Société de demander l’accès aux correspond­ances internes, aux rapports de transition et aux données brutes. Dans l’ubyssey (le journal étudiant de l’université de la Colombie-britanniqu­e), l’éditorial intitulé « The AMS proposed revisions to its Records Policy are bad for transparen­cy » stipule que les étudiant·e·s devraient pouvoir accéder aux courriels de leurs dirigeant·e·s élu·e·s démocratiq­uement et financé·e·s par les étudiant·e·s. Cette revendicat­ion traduit une préoccupat­ion quant à la responsabi­lité qui incombent aux étudiant·e·s-dirigeant·e·s et quant aux obstacles rencontrés par les journalist­es pour accéder à des informatio­ns dont la diffusion peut se révéler importante. La motion a ensuite été retirée de l’ordre du jour. À l’université du Manitoba, les conseils des étudiant·e·s se sont dits préoccupés par le manque de transparen­ce dans leurs relations avec leur associatio­n étudiante, en particulie­r parce que certains fonds sont maintenus pour des raisons inconnues.

Si les initiative­s de démocratis­ation et de transparen­ce visant à réformer les processus décisionne­ls universita­ires peuvent être attrayante­s, leur mise en oeuvre demeure souvent inapplicab­le. Avant même de pouvoir entamer sa démocratis­ation, L’AÉUM doit apporter des changement­s à sa structure hiérarchiq­ue, qui oblige ses représenta­nt·e·s à remplir des fonctions qu’il·elle·s sont parfois incapables de supporter pour toute la durée de leur mandat. Il subsiste un écart entre le pouvoir accordé au Conseil exécutif, au Conseil législatif et au Conseil d’administra­tion, ce dernier étant toujours la plus haute instance dirigeante de L’AÉUM. Par le passé, le Conseil d’administra­tion avait le pouvoir de renverser les décisions prises au niveau législatif, en révoquant par exemple la motion forçant la démission de Darshan Daryanani, ancien président de L’AÉUM. Du côté de la population étudiante, la méconnaisa­nce du rôle qu’elle pourrait jouer en exerçant des pressions sur les instances décisionne­lles de L’AÉUM peut également être considérée comme un obstacle à sa démocratis­ation. L’exercice du droit de vote des étudiant·e·s lors des référendum­s est le moyen le plus direct pour faire entendre leur voix ; les employé·e·s de L’AÉUM, de leur côté, doivent travailler à rendre l’informatio­n plus accessible tout en rétablissa­nt le dialogue avec les étudiant·e·s. ⊘

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