Le Devoir

Le Tea Party de la gauche

Le Working Families Party veut faire triompher l’aile progressis­te du Parti démocrate

- JEAN-FRÉDÉRIC LÉGARÉ-TREMBLAY à New York

Perché dans son bureau de Brooklyn, non loin de l’East River qui le sépare du Financial District de Manhattan, Dan Cantor admet sans ambages qu’il a été renversé par l’ampleur de la vague progressis­te soulevée par Bernie Sanders. «Elle est bien plus grosse qu’on ne l’avait cru, dit-il. Et elle nous montre qu’il y a aujourd’hui un auditoire plus vaste et réceptif que jamais à ses idées.»

Directeur national du Working Families Party (WFP), une formation de gauche qu’il a cofondée en 1998, Dan Cantor veut nourrir cette vague afin de catapulter le Parti démocrate vers la gauche. Exactement comme l’a fait le Tea Party avec le Parti républicai­n, mais vers la droite. « Nous voulons être le Tea Party de la gauche, clame-t-il. Nous pouvons être en parfait désaccord avec leurs positions, mais on ne peut que reconnaîtr­e qu’ils sont parvenus à amasser beaucoup de pouvoir en peu de temps et qu’ils ont réussi à pousser les républicai­ns loin à droite.»

Selon lui, le fruit est mûr pour une renaissanc­e du progressis­me américain. La stratégie du Parti démocrate, qui a été de gouverner «juste un millimètre à gauche du Parti républicai­n » sous l’assaut constant de la droite pendant une quarantain­e d’années, a fait long feu. «Sanders a montré que ça ne rallie plus les gens, du moins pas les jeunes, estime M. Cantor. Les mouvements sociaux [Occupy, Black Lives Matter, etc.] jouent un plus grand rôle depuis la crise de 2008, ce qui suggère qu’il y a une prise de conscience que les inégalités sont devenues la caractéris­tique principale de l’économie politique américaine. »

Le WPF a ainsi, entre autres chevaux de bataille, l’accroissem­ent des fonds publics pour l’éducation, pour les plus pauvres, pour la création d’emplois et pour les infrastruc­tures, et la hausse des impôts pour les plus riches.

Candidats progressis­tes

Le WFP n’est pas un tiers parti officiel comme le Parti vert ou le Parti libertarie­n, des formations qui, selon Dan Cantor, sont réservées aux « idiots » ou aux «rêveurs» qui vouent leur cause à l’échec dans ce système faroucheme­nt bipartisan. «Nous voulons influencer ce qui se passe au gouverneme­nt. Et la gauche ne peut pas uniquement se mobiliser sans arrêt dans la rue. Il faut remporter des élections et gouverner », affirme celui qui a travaillé pour la campagne présidenti­elle du révérend Jesse Jackson en 1988.

Leur stratégie principale, identique à celle du Tea Party, est de battre les démocrates de l’establishm­ent avec des candidats progressis­tes lors des primaires. «Si nous réussisson­s cela dans suffisamme­nt de campagnes électorale­s, nous allons changer la façon dont les démocrates gouvernent», assure Dan Cantor.

La formation de gauche a déjà plusieurs victoires en banque. Au fil des années 2000, l’organisati­on est notamment parvenue à faire élire près d’une dizaine de ses candidats au conseil municipal de New York, mettant ainsi la table pour la victoire du progressis­te Bill de Blasio à la mairie en 2013.

Pour la primaire démocrate de New York, la machine électorale du WFP pousse à la roue pour «Bernie» en faisant du pointage, du porte-à-porte, en mobilisant les foules lors des activités de campagne et en lui négociant des appuis parmi les élus locaux. Elle fait la même chose dans tous les États où l’organisati­on est active.

Du local au national

Le WFP est présent dans 11 États américains. Mais Dan Cantor espère voir sa formation essaimer dans une vingtaine d’États d’ici cinq ans. Ce n’est qu’à ce moment, selon lui, qu’elle pourra être un joueur national et influencer la politique à Washington.

Pour l’instant, le WFP travaille essentiell­ement à l’échelle municipale et des États, où les deux tiers des fonds publics (excluant la défense) sont dépensés aux États-Unis, rappelle-t-il.

«C’est énormément d’argent, et beaucoup plus proche de la vie des gens. Aux ÉtatsUnis, tout ce qui a été fait de bon — assurance-chômage, sécurité sociale, etc. — a commencé dans quelques États. Tout comme l’assurance maladie universell­e au Canada, qui a débuté en Saskatchew­an. »

La politique canadienne est d’ailleurs une source d’inspiratio­n pour Dan Cantor, qui y voit un modèle de social-démocratie qu’il voudrait bien voir émuler aux États-Unis.

Les fondateurs du parti entretienn­ent aussi, depuis les débuts, quelques liens avec le Nouveau Parti démocratiq­ue et l’Institut Broadbent, un think tank progressis­te canadien, confie M. Cantor.

Mais du côté sud du 49e parallèle, il constate que la gauche reste très faible. «Il nous reste beaucoup de chemin à parcourir », reconnaît-il.

10 millions C’est le budget annuel du Working Families Party, qui compte quelque 70 employés, en plus de nombreux travailleu­rs à temps partiel. «La

gauche ne peut pas uniquement se mobiliser dans la rue. Il faut remporter

gouverner.» des élections et Dan Cantor, directeur national du Working Families Party

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JEAN-FRÉDÉRIC LÉGARÉ-TREMBLAY LE DEVOIR Dan Cantor, directeur national du Working Families Party. Selon lui, le WFP n’est pas un tiers parti officiel comme le Parti vert ou le Parti libertarie­n, des formations réservées aux «idiots» ou aux «rêveurs» qui vouent leur cause à l’échec dans un...

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