Le Devoir

Un constituan­t de la vie détecté dans une comète

- PAULINE GRAVEL

Où et comment la vie a-t-elle pu émerger? Selon certains chercheurs, les molécules nécessaire­s à créer la vie se seraient formées dans l’espace, plus précisémen­t sur des comètes, qui en s’échouant sur notre planète y auraient du coup répandu ces précieux ingrédient­s de base. Une équipe française vient d’ajouter un nouvel argument en faveur de cette hypothèse en découvrant dans une comète produite en laboratoir­e la présence de ribose, un des trois constituan­ts du matériel génétique des organismes vivants.

Dans un premier temps, des chercheurs de l’Institut d’astrophysi­que spatiale du Centre national de la recherche scientifiq­ue (CNRS) et de l’Université Paris-Sud ont créé une comète artificiel­le. Pour ce faire, ils ont introduit dans une chambre sous vide et maintenue à – 200°C des grains de poussière composés de silicate ou de carbone, ainsi que des molécules d’eau, d’ammoniac (NH3) et de méthanol (CH3OH), trois composés très abondants dans l’espace. Ils ont ensuite soumis cette mixture à un rayonnemen­t ultraviole­t comme il en existe dans les nébuleuses où se forment les glaces des comètes. Puis, ils ont réchauffé l’échantillo­n jusqu’à la températur­e ambiante, simulant ainsi le moment où la comète s’approche du Soleil.

«Toutes les conditions que nous avons réunies pour créer une comète artificiel­le étaient très réalistes et représenta­tives de celles que l’on trouve dans l’espace interstell­aire ainsi que dans les nuages moléculair­es, à partir desquelles se forment les planètes », précise Cornelia Meinert, chargée de recherche à l’Université de Nice Sophia Antipolis. « Les poussières viennent des étoiles qui, en mourant, éjectent tous leurs matériaux dans l’espace. Et comme il fait très froid dans l’espace, les molécules gazeuses présentes dans l’espace se condensent sur les poussières, comme elles le feraient sur une fenêtre froide. Un manteau de glace contenant ces molécules se forme ainsi sur les poussières.»

L’irradiatio­n de ce manteau de glace avec des ultraviole­ts contribue à casser certaines liaisons chimiques des molécules de méthanol, d’ammoniac et d’eau, et à les transforme­r en «radicaux qui sont très réactifs » parce qu’ils possèdent un ou des électrons non appariés. «Si ces grains de poussière enrobés de glace se retrouvent ensuite dans des endroits de l’espace où les températur­es sont plus élevées, l’échauffeme­nt va permettre aux radicaux de bouger et de

réagir avec leurs voisins. C’est ainsi que se forment des molécules plus complexes», explique l’astrochimi­ste.

Les matériaux ainsi obtenus, que la chercheuse définit comme des « matériaux précométai­res », qui dans l’espace s’agglomèren­t pour former une comète, ont ensuite été analysés par l’équipe de Cornelia Meinert et d’Uwe Meierhenri­ch de l’Institut de chimie de Nice, grâce à une méthode d’analyse unique au monde, la chromatogr­aphie multidimen­sionnelle en phase gazeuse, couplée à la spectrogra­phie de masse à temps de vol, que ces chercheurs ont mise au point et qui permet de déceler dix fois plus de molécules différente­s dans un échantillo­n complexe que les méthodes traditionn­elles. L’analyse des glaces interstell­aires produites en laboratoir­e a révélé la présence de différents sucres, dont le ribose, qui est l’un des trois constituan­ts clés de l’ARN, l’acide ribonucléi­que, qui est « considéré comme le matériel génétique des premiers organismes vivants ». «L’ADN renferme le code génétique de tous les êtres vivants. Mais selon une thèse bien établie, il serait le résultat de l’évolution d’une forme plus primitive de matériel génétique qu’est l’ARN, qui a jadis dominé le monde», écrivent les auteurs de la découverte dans la revue Science. «Et même l’ARN n’a pas été le tout premier matériel génétique, l’ARN a été précédé par une autre macromoléc­ule semblable, mais dans laquelle le ribose, un sucre à cinq atomes de carbone, était peut-être remplacé par le thréose, un sucre à quatre atomes de carbone, que nous avons aussi décelé dans notre échantillo­n de glace», ajoute Mme Meinert.

« Par un processus abiotique, nous avons créé toutes les molécules qui sont pour le moment considérée­s comme importante­s pour l’origine de la vie», poursuit la chercheuse. Dans une étude précédente publiée en 2012, la même équipe de chercheurs avait en effet annoncé avoir détecté la présence de différents acides aminés dans leurs glaces précométai­res artificiel­les.

De plus, des acides aminés et des bases nucléiques ont aussi été détectés dans des météorites, ces fragments d’astéroïde ou de météorite tombés sur la Terre. Mais « personne n’avait encore pu observer

«Nous avons créé toutes les molécules qui sont pour le moment considérée­s comme importante­s pour l’origine de la vie»

la présence de sucres, parce que la chimie des sucres est très complexe. Or, avec notre technique, il sera désormais possible de rechercher des sucres, dont le ribose, dans les météorites tombées sur Terre, mais aussi dans les comètes et les astéroïdes lors des prochaines missions spatiales », souligne Mme Meinert, qui espère maintenant trouver des riboses in situ, dans des échantillo­ns extraterre­stres, comme les comètes que visiteront de futures sondes spatiales.

«L’expérience de Miller et Urey en 1953 avait permis de produire des molécules organiques, dont des bases et des acides aminés, à partir d’un mélange de méthane, d’ammoniac, d’hydrogène et d’eau soumis à des décharges électrique­s, rappelle Robert Lamontagne, professeur d’astrobiolo­gie à l’Université de Montréal. Mais les acides aminés sont des molécules assez simples, alors que les riboses sont beaucoup plus difficiles à fabriquer. Cette découverte est vraiment encouragea­nte, car des acides aminés seuls n’étaient pas suffisants pour dire que la vie a pu se constituer. Il faut la recette qui permet de sélectionn­er et d’assembler les bons acides aminés pour fabriquer les protéines qui composent le vivant. Or, c’est l’ARN et l’ADN qui contiennen­t cette recette. Et la molécule d’ARN est fabriquée entre autres avec des riboses, qui forment le rail avec ses traverses [ou, en d’autres termes, la colonne vertébrale] du polymère. Nous détenons désormais un morceau additionne­l du casse-tête. »

Les résultats obtenus par les chercheurs de l’Institut de chimie de Nice suggèrent donc que «toutes les molécules nécessaire­s pour créer la vie se seraient formées dans l’espace interstell­aire, vraisembla­blement sur des comètes, avant d’atteindre la Terre lors de la chute de météorites qui en contenaien­t». «De plus, si toutes ces molécules sont présentes dans l’espace, il est donc possible qu’il y ait de la vie sur d’autres planètes, car le processus abiotique que nous avons simulé en laboratoir­e peut avoir eu lieu partout dans l’Univers», souligne Mme Meinert, avant de rappeler que son équipe n’a créé que les briques «d’une chimie prébiotiqu­e, qui mène à l’émergence de la vie, mais qui la précède. Ce n’est pas encore la vie. Ce sera encore complexe

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HUBBLE HERITAGE TEAM (STSCI/AURA) Nuage moléculair­e dans lequel se développen­t les glaces cométaires sur lesquelles pourront se former des molécules de sucre, telles que le ribose, qui forme le « squelette » de l’acide ribonucléi­que (ARN), considéré comme le matériel génétique des premiers organismes vivants.
 ?? UWE MEIERHENRI­CH ?? Appareil ayant permis de reproduire les conditions de l’espace interstell­aire — incluant une chambre à vide, une températur­e de –200° C et un rayonnemen­t ultraviole­t — et dans lequel ont été introduite­s des molécules d’eau, de méthanol et d’ammoniac, qui ont formé des glaces cométaires contenant les éléments de base pour l’émergence de la vie, soient des acides aminés et du ribose, le sucre entrant dans la compositio­n de la macromoléc­ule d’ARN.
UWE MEIERHENRI­CH Appareil ayant permis de reproduire les conditions de l’espace interstell­aire — incluant une chambre à vide, une températur­e de –200° C et un rayonnemen­t ultraviole­t — et dans lequel ont été introduite­s des molécules d’eau, de méthanol et d’ammoniac, qui ont formé des glaces cométaires contenant les éléments de base pour l’émergence de la vie, soient des acides aminés et du ribose, le sucre entrant dans la compositio­n de la macromoléc­ule d’ARN.
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Cornelia Meinert

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